JB -Natacha Quester Semeon, bonjour. Comment avez-vous découvert SL ? Selon vous, quels sont les avantages de cet environnement par rapport au web traditionnel ou à d'autres mondes virtuels 2D/3D?
NQS -Je l'ai découvert à l'été 2006 lorsque la première ONG américaine s'y est implantée. C'est dans le cadre de mes activités associatives (Les Humains Associés et la Néthique) que je m'y suis plongée lors de l'hiver 2006 avec Tatiana Faria (architecte dans SL) pour monter ensemble le projet de l'Ile Verte. C'était donc avant la vague médiatique et présidentielle. Notre association est l'une des premières à être présente sur le Web (depuis 1994). Depuis des années, nous explorons aussi les développements et les usages du Net. C'est différent du Web, car on n'est pas sur un site, mais dans un lieu que l'on doit animer, comme il faut le faire pour tout lieu événementiel.
Sur l'Ile Verte, nous avons organisé plus d'une douzaine de conférences diffusées en vidéo live avec des personnalités, des journalistes, des scientifiques. Sur l'Ile Verte nous avons aussi organisé les journées Néthique, et une rencontre spéciale dans le cadre du Grenelle de l'Environnement, avec Nathalie Kosiosko Moriset. Depuis le début nous faisons de la mixed-reality. Il faut bien dire que Second Life n'est rien à côté de ce qu'il sera d'ici quelques années (avec le développement des Cartes Graphiques, du haut débit, de la puissance des serveurs de Linden Lab, et des nouvelles interfaces). Nous serons vraiment dans une réalité virtuelle augmentée. En une année seulement, on a pu voir SL évoluer et devenir plus stable (moins de bogues). Je pense que les serious et social gamers vont faire évoluer les usages de l'ensemble du Web.
JB - Les entreprises présentes dans SL cherchent-elles à communiquer directement avec ses bimondiens ou de manière indirecte à bénéficier d'une image positive dans les médias traditionnels ?
NQS - On a dépassé le stade du buzz facile aujourd'hui. Trop de buzz, tue le buzz. Il y a eu des opérations quasi symboliques qui ont eu un écho médiatique immense, et les résidents ont été très souvent déçus. Bien sûr, il y a une volonté d'acquérir ou de conforter une image positive et innovante, mais s'implanter dans SL demande un budget bel et bien réel et une stratégie communautaire et une vraie esthétique également. Un lieu doit être accueillant, beau. Nous sommes dans un univers immersif dans lequel le visuel compte énormément. Pour la dernière ile produite par ma société I-Marginal, l'Ile Juste pour rire, nous avons conçu et créé une île avec une rive parisienne (des immeubles hausmaniens, un quai de Seine), et une rive québécoise, avec un concept architectural original. Les entreprises apprennent à acquérir les usages, comprendre le mode de fonctionnement des micro-communautés. SL est un monde hypersocial, il faut tout apprendre depuis le début. Il y a une demande participation et de co-création de la part de nombreux résidents. On ne peut saisir et répondre à ces attentes que de l'intérieur.
JB - Sony, Google ou Microsoft semblent s'intéresser à la 3D. Pensez-vous que cette concurrence fragilisera ou, au contraire, consacrera SL ?
Risque de fragiliser ? Pas sûr, car :
1) Il faut faire la part des choses : entre les annonces et la réalisation, il y a parfois un monde.
La mise au point d'un métavers demande énormément de travail, ça ne s'improvise pas, quels que soient les moyens mis en oeuvre. On l'a bien vu avec Sony qui a repoussé au 1er trimestre 2008 le lancement de Home, son jeu de communauté virtuelle en 3D destiné à sa console Playstation 3, pour essayer d'en améliorer la qualité.
2) Il faut comparer ce qui est comparable : le monde de Sony, ou celui sur lequel travaille M6 en ce moment, Genderz, ne sont pas des mondes que le résident peut construire à sa guise. Ils n'ont pas les mêmes fonctions, ni les mêmes usages, ne sont pas destinés aux mêmes personnes. L'ensemble du contenu de Second Life a été construit (cela représente en temps inimaginable) par les résidents eux-mêmes. Cela ne devient plus un "jeu" dès que l'on se lance dans la création.
3) Si chacun cherche à maximiser l'ouverture de son univers, il est très difficile de faire un monde entièrement compatible sur toutes les plateformes (Mac, PC, Linux) et tenant compte du parc installé (notamment les cartes graphiques et les processeurs).
L'arrivée de nouveaux acteurs de poids, Google ou Microsoft, aux côtés de Sun (Wonderland) et (Innovate Quick), tout comme le développement des métavers -à l'instar de deux mondes chinois récents (1) -pourrait renforcer la position de Linden Lab en montrant que les mondes virtuels ne sont pas une mode, mais une tendance lourde dans l'évolution des usages. Et SL est sans doute le plus en avance actuellement.
Enfin, tous ces acteurs ont intérêt à travailler à l'interopérabilité pour augmenter leurs nombres de résidents potentiels. Elle semble se mettre en place petit à petit. On pourra peut être un jour prochain passer de Second Life dans HiPiHi avec son avatar directement comme on change de région dans SL. Les deux entreprises sont d'ailleurs en discussion à ce sujet.
Pour Philip Rosedale, créateur de Second Life "SL est encore tout petit par rapport à ce que ça va devenir. Je prédis que l'univers de SL va devenir plus grand que le Web lui-même.(2)" L'essentiel, je crois, c'est que dans un avenir proche une grande partie du Web sera en 3D, on pourra, avec son avatar, lire son courriel, consulter des pages HTML, regarder des vidéos et travailler ensemble sur des documents partagés dans un monde virtuel persistant. La question n'est plus, à mon avis, faut-il s'y mettre, mais comment le faireŠ.
JB - Natacha Quester-Semeon, je vous remercie.
(1) Les métavers chinois, HiPiHi : http://www.hipihi.com/index_english.html
et uWorld : http://www.uwo3d.com/c/index.html
Genderz : http://www.genderz.fr
(2) Propos recueillis par Jean-Rémi Deléage et Sacha Quester-Séméon, SLCC, Chicago, août 2007