A lire cette chronique hebdomadaire du pays du Soleil-Levant, on pourrait conclure rapidement que les Nippons sont, encore plus que d'autres, férus de high-tech, puisque, de facto, on ne parle ici que d'eux et de cela. Eh bien, le fait est, que ce jugement, qui pourrait être hâtif et partial, n'est en réalité pas si biaisé. Les Japonais sont bel et bien des technophiles, parfois invétérés, autant que des gastronomes, souvent avertis. En voulez-vous une preuve ? La voici !
Tous les ans, le quasi-quotidien du secteur du marketing et de la distribution, le Nikkei Ryutsu Shinbun, établit, sur le modèle des classements de tournois de SUMo (combats de lutteurs japonais), un double hit-parade des produits, services et concepts du millésime écoulé, tous secteurs confondus. Ce palmarès des cartons commerciaux de l'année, baptisé « hit sohin banzuke », a beau balayer très large (de la nourriture aux sports, en passant par les cosmétiques ou les lieux en vogue), la haute technologie s'y taille généralement une part de premier choix, révélant l'appétence des foules pour les produits électroniques et les prestations allant de pair. Le « banzuke » de l'année 2007, dévoilé cette semaine, ne déroge pas à la règle, mieux, il la renforce.
Ainsi sur les cinq premiers du classement, pour la partie est du Japon, c'est-à-dire la région de Tokyo, quatre entrent dans la catégorie high-tech. A l'ouest, la zone d'Osaka, on en dénombre trois. Bref, un « top 10 » à 70% high-tech. « Cette année, les technologies numériques, à la portée de tous, faciles à comprendre, simples à utiliser et commodes sortent du lot », commente pertinemment l'éditorial du journal. Détaillons.
Les incontournables : Nintendo et les puces sans contact
La palme à Tokyo revient à Nintendo, ou plutôt à ses consoles Wii et DS qui ont rejoint nombre de familles nippones au cours des douze mois écoulés. La Wii, sortie fin 2006, s'est déjà arrachée à quelque 4 millions d'exemplaires sur l'Archipel, ce qui signifie qu'elle trône dans près d'un foyer nippon sur dix, alors même que de nombreux ménages sont désormais constitués de personnes âgées et que presque toutes les familles ont déjà au moins une machine de salon (PlayStation, GameCube ou autre). Quant à la DS (ou DS Lite), elle est désormais détenue par 19 millions d'individus au Japon sur une population de 127 millions d'âmes (dont 20% ont plus de 65 ans). Et ce n'est pas fini, le succès s'amplifie du fait de l'étendue croissante du catalogue de jeux tous publics.En face, à Osaka, se placent en tête de liste les porte-monnaie et cartes de crédit électroniques à puce sans contact sur support en plastique ou intégrés dans les téléphones portables. Comme on vous l'a déjà expliqué en détail ici (voir Live Japon : le paiement sans contact, sans souci), ce mode de paiement dématérialisé est en plein boom sur l'archipel où les consommateurs plébiscitent ses aspects pratiques et ludiques. Plus de 70 millions de puces porte-monnaie sont désormais activées. Quant au nombre de transactions, il grimpe en flèche, les petits commerces commençant aussi à adopter la monnaie électronique, dans le sillage des réseaux de supérettes ouvertes 24 heures sur 24 et des chaînes de restauration rapide.
Reconnaissance et enregistrement / affichage HD
Poursuivons. En deuxième place à Tokyo arrivent les technologies de repérage de visages humains pour Appareils photo numériques, lesquels en sont désormais pour la plupart dotés en standard. Finis les clichés ratés où la trombine des amis est malencontreusement sous-exposée et où le visage de l'un est flou tandis que la figure de l'autre saute aux yeux avec ses pupilles écarlates. Un circuit intégré, couplé à un logiciel, ajuste intelligemment les paramètres automatiquement pour limiter les dégâts. Les boîtiers les plus malins sélectionnent même seuls la prise où tout le monde a le sourire ! Elle est pas belle la vie ?En deuxième position à Osaka, se trouvent, dans un registre voisin, les camescopes numériques grand public enregistrant en haute-définition (HD), un type de produits sur lequel se sont rués les pères et mères de famille japonais pour immortaliser les prouesses d'un nouveau né et les regarder sur le téléviseur Full HD à écran plat, lui-même flambant neuf. Cornaqués par les vendeurs des hypermarchés de l'électronique, jamais en mal d'arguments techniques, les Japonais trouvent là de quoi assouvir leur soif incessante de nouveauté et de qualité, autant que leur passion pour les images, une seconde nature. Sony a fait un tabac avec ses modèles de camescopes compacts HD, comme le HDR-SR7, numéro un des ventes pendant plus de trois mois et demi.
Les plateformes en ligne et les téléphones mobiles
On passe allègrement la troisième place à Tokyo et Osaka, puisqu'elle n'a rien à voir avec la high-tech pour sauter à la quatrième. A Tokyo, figurent à ce rang les plates-formes en ligne de partage de vidéos ("YouTube" et consorts). Tout comme les Américains et les Européens, les Japonais se sont entichés de ce nouveau mode relationnel, d'autant plus qu'ils ont depuis belle lurette une propension à inonder leurs amis de preuves visuelles de leurs exploits ou de leurs voyages. Autrefois, ils adressaient à leurs proches des albums photos enrichis de légendes par voie postale, aujourd'hui, ils les mettent en ligne des images animées accompagnées de commentaires enjoués, version high-tech d'une pratique pré-existante et massivement répandue. La possibilité de poster des vidéos directement depuis un téléphone mobile/camescope dope en outre le phénomène, les trois quarts des Nippons possèdant et utilisant à qui mieux mieux des terminaux sophistiqués de troisième génération (3G) voire au-delà (3,5G).
Justement, de téléphone mobile il est question en quatrième place à Osaka avec les nouvelles offres tarifaires du troisième opérateur de services cellulaires japonais, Softbank Mobile, repreneur en 2006 des activités du britannique Vodafone sur l'archipel, suite au fiasco de ce dernier, incapable de comprendre le marché local. Softbank a, lui, réussi en un an à effacer la piteuse image laissée par Vodafone sur l'archipel et à redresser la barque pour faire des télécommunications mobiles sa nouvelle vache à lait. Et ce, en proposant des terminaux exclusifs léchés, adaptés aux exigences des Japonais, et en attirant de nouveaux clients avec des forfaits et services compétitifs, quitte à déclarer à ses rivaux (NTT DoCoMo, KDDI) une féroce guerre des prix. Softbank a en outre su tirer parti, autant que faire se peut, de la mise en place fin 2006 de la faculté donnée aux abonnés de changer d'opérateur en conservant leur numéro d'appel.
Les procédures pour bénéficier de cette « portabilité du numéro mobile », bien que payantes, s'effectuent au Japon en quelques heures. Toutefois, l'impact de cette nouvelle législation n'a pas été le principal facteur du succès de Softbank, lequel a surtout su trouver les bons arguments promotionnels. D'ailleurs, ses campagnes de publicité sur les chaînes de TV sont parmi les plus populaires du moment.
Les baladeurs numériques et systèmes d'exploitation
En cinquième position à Tokyo, arrive un produit étranger, le seul : l'incontournable baladeur iPod Touch d'Apple. Si l'iPhone n'est pas disponible au Japon, faute d'être techniquement à la hauteur des besoins pour s'y frayer un marché (puisqu'il n'est pas adapté aux standards 3G), son ersatz iPod Touch, sans fonction de téléphonie, y a reçu comme partout ailleurs un très bon accueil, tant pour son ergonomie tactile innovante que pour son design et pour la marque Apple. Le logo « pomme » jouit en effet sur l'archipel d'un joli prestige dont peu de firmes étrangères du secteur de l'électronique grand public peuvent se prévaloir. Apple fait donc figure d'exception. A tel point d'ailleurs que les empires de l'électronique comme Bic Camera se disputent désormais pour intégrer dans leurs locaux des « Apple Shop », réservant aux produits de la boîte du charismatique Steve Jobs des emplacements de choix.
Mieux, certaines enseignes ont obtenu, et c'est nouveau, le droit d'offrir sur toute la gamme Apple le même type de prestations (service après-vente, formation) que dans les « Apple Store » détenus en propre par le groupe américain dans les grandes villes nippones. Compte-tenu de la puissance de frappe de ces géants du commerce, Apple peut assurément aussi espérer une augmentation significative de ses parts de marché sur les ordinateurs personnels au Japon. En rechercherait-on un indice supplémentaire qu'il suffit de descendre plus bas dans le classement pour dénicher en 17e place à Tokyo les « nouveaux systèmes d'exploitation (OS)», dont bien évidemment, Leopard d'Apple. Cet OS, qui permet à qui le souhaite d'alterner entre interface Mac et Windows, constitue un moyen supplémentaire pour convertir les utilisateurs de PC (par obligation professionnelle) aux machines de la firme yankee (par affinité personnelle).
On verra en fin d'année prochaine si les ordinateurs Apple se glissent dans le top 10 du « hit shohin banzuke 2008 », un palmarès qui ne distingue qu'une infime partie, la crème, du flot incommensurable de nouveautés commerciales qui submergent en permanence les insatiables et intransigeants consommateurs nippons.