Qu'est ce que le fuku-bukuro ?
En temps normal, le phénomène est déjà impressionnant. Mais pour les fêtes du Nouvel an, il est carrément sidérant. De quoi parle-t-on ? Du battage orchestré par les empires de l'électronique japonais pour pousser les chalands à claquer leurs yens et les empêcher d'aller en dépenser plus chez les concurrents.
Situés à quelques minutes de train les uns des autres au coeur de Tokyo, trois des nombreux hypermarchés de l'électronique de la capitale, Yodobashi Camera (près de la station Akihabara), Bic Camera (aux abords de celle de Yurakucho) et Yamada Denki (à la sortie de Shinagawa), se livrent ainsi une guerre commerciale inimaginable. C'est à celui qui affichera le prix le plus bas et le pourcentage le plus élevé de points de fidélité (donc de réductions à valoir). Et que ça braille dans les micros pour haranguer la foule, et que ça se presse dans les travées surpeuplées pour s'emparer des produits soldés alors que leur prix initial était déjà jugé imbattable.
Ainsi, le 1er et le 2 janvier (jours fériés où ces magasins sont ouverts comme tout le reste de l'année), il y avait clairement des affaires à saisir, à condition toutefois d'accorder sa confiance au vendeur, puisqu'en échange d'un bon prix, le client ne savait pas ce qu'il achetait... Explication : il existe au Japon une tradition dans la plupart des grandes boutiques en tout début d'année: le « fuku-bukuro », le sac de la bonne fortune. Les marchands de vêtements, de cosmétiques, d'accessoires de mode ou d'autres articles enferment dans des sacs opaques un ou plusieurs produits, assignent un prix (très très très inférieur au tarif initial) et les remettent ainsi en rayon. Le client achète presque à l'aveuglette. Généralement, il sait quel(s) type(s) de marchandise(s) se trouve(nt) dans la pochette surprise, mais en ignore la marque, la couleur et autres caractéristiques détaillées.
Les temples de l'électronique respectent aussi cette coutume qui fait fureur dans les grands magasins. Ainsi, mardi et mercredi dernier, pouvait-on apercevoir des hordes de clients à l'entrée du Bic Camera de Yurakucho tenter de rafler le dernier enregistreur haute-définition sur DVD et disque dur (250 Gigaoctets, Go) de marque japonaise (sans plus de précisions), proposé en "fuku-bukuro" à 39.800 yens (240 euros au cours actuel). D'autres se désolaient d'avoir raté des iPod (modèle non précisé) à ... 5.000 yens (30 euros). Il y avait aussi des PC portables de marque nippone récents à 99.800 yens (600 euros) ou encore des appareils photos numériques d'un fabricant japonais, 7 millions de pixels, vendus soit avec une carte SD 1 Go, soit avec un cadre photo à cristaux liquides (LCD), le tout pour 29.800 yens (180 euros).
On vit aussi des petits malins essayer de tricher en jetant un oeil à l'intérieur des sacs scotchés, lorgnant à travers un mince interstice, en vain. Mais sachant qu'aux rayons audiovisuel et informatique, ces immenses royaumes de la high-tech ne vendent pas de camelote, presque uniquement des produits japonais ou de grandes marques étrangères, il n'est guère risqué de profiter de ces bons plans, pour peu qu'on n'ait pas des exigences techniques ultra-précises à satisfaire. Les très mauvaises surprises sont rares, et de toute façon, les produits sont garantis.
Des bonnes affaires à ... faire !
Parmi les baladeurs audio-numériques à mémoire Flash 1 Go, qui étaient proposés en "fuku-bukuro" à moins de 5.000 yens (moins de 30 euros), figuraient par exemple des modèles Toshiba Gigabeat de très bonne facture et pas défraîchis. En « soudoyant » un peu un vendeur, l'auteur de ces lignes apprit aussi que les camescopes numériques à 49.800 yens (300 euros) étaient des modèles JVC Everio, avec disque dur de 30 Go et zoom optique x34. Le rabais consentis sur tous les produits ainsi bradés atteint ou dépasse souvent 50%. La ristourne peut être encore relevée en fin de journée pour les « fuku-bukuro » qui peinent à trouver preneurs. Certains parents profitent ainsi de ces ventes exceptionnelles pour offrir un baladeur ou un appareil photo à leur gamin de 12 ans, lequel est évidemment « super content ». On le serait à moins. Seul hic, les meilleures affaires partent en quelques minutes ou quelques heures. Or, les 1er et 2 janvier, deux très belles journées ensoleillées, il y avait plus agréable occupation que d'aller faire le planton devant Bic ou Yodobashi pour se payer une caméra !D'autant qu'outre les « fuku-bukuro », il existe d'autre bons plans moins astreignants. Tous les jours de l'année et à toute heure en effet, on peut saisir de belles affaires temporaires, principalement aux rayons des téléviseurs à écran plat, des ordinateurs ou encore des enregistreurs vidéo de salon.
Des promotions toute l'année ?
Perché sur un tabouret, un préposé s'égosille pour convaincre la clientèle que « le tout nouveau téléviseur Sharp Aquos haute-définition (FullHD) 32 pouces à 148.000 yens (900 euros au lieu de 1.100 euros), fabriqué au Japon (argument massue), c'est une occasion irrésistible »... mais qu'il n'y en a « que cinq en stock » et que donc « c'est maintenant ou jamais ». Et le même d'ajouter dans la foulée, « bien entendu, il y a également 15% de points de fidélité », ce qui signifie que le client qui craque pour cette TV bénéficiera d'une ristourne de 135 euros sur un achat ultérieur. Emballez, c'est vendu. Fini, y en a plus !Les TV Sony ou Matsushita (Panasonic), les PC portables Sharp et Toshiba et de nombreux autres produits sont ainsi régulièrement proposés de façon impromptue à des prix défiant toute concurrence (20 ou 30% moins chers que le tarif habituellement pratiqué dans la même boutique). Cette tactique commerciale, de plus en plus fréquemment employée, incite d'une part les clients à revenir souvent, et permet d'autre part de parvenir à fourguer une télé à un type envoyé par sa femme pour acheter des sacs d'aspirateur ! Trop tentant, pardi.
A noter qu'au Japon, la plupart des fournisseurs ne déterminent pas le prix au détail de leurs produits. Le tarif en rayon est laissé à la discrétion des distributeurs et détaillants qui peuvent ainsi moduler leurs marges et réagir plus facilement aux initiatives des concurrents. De plus, les fabricants enrichissent leurs gammes à un rythme tel que l'arrivée d'une nouvelle variante d'un produit fait illico chuter vertigineusement le prix en rayon du modèle antérieur.
Et voilà pourquoi, au bout du compte, le Japon continue de souffrir de pressions déflationnistes. Les hausses des prix de certains produits (alimentation, essence,...), liées à la flambée mondiale des cours des matières premières et du pétrole, ne suffisent pas en effet à contrebalancer la dégringolade des tarifs de l'électronique et des services de télécommunications, du fait de cette concurrence débridée.
Les chutes de tarifs par rapport à l'an passé sautaient aussi aux yeux au rayon des lecteurs et enregistreurs de DVD haute définition de salon où la domination du clan Blu-ray sur la famille HD DVD est désormais évidente. La raison en est des plus simples : il existe dix fois plus de lecteurs ou enregistreurs de salon au format Blu-ray (Sony, Matsushita, Sharp) que de modèles HD DVD, Toshiba étant le seul à en proposer. On ne sait pas ce qu'il en est dans les boutiques du reste du monde, ni comment les choses évolueront, mais au Japon en tout cas, le Blu-ray fait actuellement, et nettement, la course en tête.