En visite à Vernon sur le site historique d'ArianeGroup, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a surpris en annonçant un ambitieux projet « Maia Space » pour un petit lanceur réutilisable à l'horizon 2026. Le NewSpace français sera lui aussi mis en valeur via le plan France Relance.
De belles ambitions, mais il reste beaucoup de questions.
En avant toute
Le site de Vernon, en perte de vitesse ? Ces derniers mois, l'annonce du transfert de l'assemblage des moteurs fusée Vinci vers l'Allemagne faisait grincer des dents. Le ministre Bruno Le Maire est venu rendre le sourire en Normandie ce 6 décembre, avec plusieurs annonces qui vont en réalité faire grimper le nombre de salariés sur place de 830 à 1 000 environ d'ici 2025.
Il y a, c'est vrai, le rapatriement depuis l'Italie de la production de turbopompes… mais la principale nouvelle du jour concerne ArianeGroup, qui va se lancer dans la conception et le développement d'un « mini-lanceur » réutilisable. Il sera basé sur l'étage prototype Thémis, déjà en gestation et destiné à différentes démonstrations technologiques d'ici 2025.
Maia hi, Maia ha…
Le projet de fusée réutilisable made in Vernon s'appellera Maia Space et devra aboutir en 2026 selon Bruno Le Maire, qui souhaite un calendrier très ambitieux pour réagir face à la concurrence. Malgré quelques propos qui peuvent sembler déplacés pour expliquer que « nous aurons notre SpaceX, nous aurons notre Falcon 9 » (ce dernier ne sera pas a priori concurrencé par Maia Space, et vole depuis plus d'une décennie), la présentation du ministre se voulait pragmatique.
Maia ne concurrencera pas Ariane 6, qui restera le porte-drapeau de la stratégie spatiale européenne. Si les caractéristiques précises de ce « mini-lanceur » n'ont pas été dévoilées, Maia utilisera le moteur réutilisable méthane-oxygène liquide actuellement en développement à Vernon, Prometheus, et ArianeGroup compte capitaliser sur les essais de Themis pour disposer d'une base solide pour le premier étage.
Themis en ligne de mire
En effet, une première structure de Themis est déjà en essais en Normandie actuellement, et a réussi ces dernières semaines ses tests de remplissages de réservoirs. Tout cela est encore très préliminaire, mais vise à ajouter rapidement le premier exemplaire de Prometheus pour des essais rapides, avant de l'envoyer en Allemagne pour des allumages représentatifs de véritables durées de vol (il s'agit après tout d'un programme financé partiellement par l'ESA).
Ainsi qu'il avait été annoncé lors d'un déplacement du président Macron en février dernier, Prometheus devait voir ses tests initiaux se dérouler d'ici fin 2021 à Vernon, mais ArianeGroup n'a pas fourni d'informations à ce sujet.
Les tout premiers « sauts » de Themis sont prévus à Kiruna en Suède en 2023, et des tests d'atterrissage sur barge et de profils de vol multimoteurs en 2025 au Centre spatial guyanais à Kourou. Reste que viser 2026 est ambitieux, car il faut en sus développer le deuxième étage, ajouter un système de coiffes performant, travailler sur les infrastructures de lancement, etc. L'état devrait massivement accompagner ArianeGroup dans l'aventure.
On vole, on se pose, on revole, on…
Toutefois, c'est bien une poussée tous azimuts sur le réutilisable que souhaite le ministre via le plan « France Relance ». Il a annoncé que les PME et start-up du « NewSpace français » seraient sollicitées d'ici la fin de l'année par un appel d'offres pour un ou plusieurs micro-lanceurs (donc plus petits que Maia Space), eux aussi réutilisables. Une bonne nouvelle pour les acteurs français, qui pouvaient ces derniers mois se sentir délaissés face au soutien affiché par le gouvernement allemand à ses propres acteurs du NewSpace des lanceurs (qui sont plus avancés aujourd'hui).
Reste que concevoir des lanceurs réutilisables ne peut (et ne devrait) s'envisager que sous un angle de pertinence économique, au-delà de l'exploit technique. SpaceX, si souvent cité comme exemple, ne peut se prévaloir d'un avantage avec Falcon 9 que parce que son modèle économique l'amène à décoller régulièrement pour déployer Starlink… Et se garde bien de publier des chiffres de rentabilité pour son lanceur star.
D'autre part, on peut se demander derrière ces annonces où en est la coopération européenne, nos voisins (en particulier outre-Rhin) développant eux aussi des petits et micro-lanceurs. Et ajouter une question : y a-t-il assez de satellites à envoyer en orbite en Europe pour supporter les espoirs commerciaux d'autant d'acteurs des lanceurs… réutilisables ?
Source : Challenges