Si l'industrie européenne des lanceurs est surtout constituée autour de grands groupes, plusieurs entreprises du NewSpace émergent pour tenter de bouger les lignes. Elles sont engagées dans une course contre la montre pour tenter de prouver à l'Europe et au monde qu'elles peuvent à leur tour offrir l'orbite.
Où en sont-elles en ce mois de janvier ?
PLD (Espagne) : la pépite à l'éclat terni
Il y a quelques années, la startup espagnole faisait office d'étendard du NewSpace européen. Dynamique avec ses projets de lanceurs récupérables et réutilisables Miura 1 et 5, ils projetaient d'entrer rapidement sur scène et de bousculer les acteurs établis. Créée en 2011, avec un premier allumage moteur « maison » dès 2015, l'entreprise a réussi plusieurs levées de fonds (10M, 1.6M, 1,45M, une promesse de 7M en 2020) ainsi qu'une campagne de qualification de leur parachute de récupération d'étage…
Mais le premier lancement, suborbital, se fait toujours attendre. Il n'est plus prévu aujourd'hui avant fin 2021-2022, à cause d'un échec sur le banc de test en 2019 qui a retardé les travaux de développement sur la propulsion. Ces soucis sont réglés et de nouvelles campagnes de mise à feu ont pu être menées depuis… Mais des rumeurs persistent aujourd'hui sur la mauvaise santé financière de la startup, qui ne fonctionnerait plus qu'en équipe réduite.
Isar Aerospace (Allemagne) : la promesse alléchante
C'est le nouvel acteur européen des lanceurs, qui renverse tout sur son passage. En mars 2018, un groupe de trois étudiants allemands de l'université de Bavière (la TUM, Technische Universität München) fonde Isar Aerospace. Après un an à préparer le design initial de leur lanceur Spectrum, et des débuts modestes, ils ont réussi à lever 17 millions (dont une partie du fonds d'investissement d'Airbus) en décembre 2019, puis 75 millions fin 2020.
L'entreprise promet une cadence de vol possible de 15 décollages par an (et même d'un décollage par semaine, selon les interviews), avec leur lanceur qui dispose d'une technologie unique avec moteurs à l'oxygène-propane. Spectrum ressemblera dans son architecture à Falcon 9 et Electron : 9 moteurs Aquila sur le premier étage, et un modèle identique adapté au vide sur le deuxième étage. Le premier vol orbital est attendu pour début 2022, et l'équipe qui compte maintenant plus d'une centaine d'employés compte bien réussir à tenir la date.
Rocket Factory / OHB (Allemagne) : le géant déguisé
Basée à Augsburg, aussi en Bavière, la Rocket Factory et ses quelques dizaines d'employés ressemble à une bourgeonnante startup. Il ne faudrait pourtant pas trop s'y fier : si la philosophie et la jeunesse sont au rendez-vous, ce sont des « grands » du secteur qui ont installé les bases. Le groupe allemand OHB (plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaire annuel), poids lourd des satellites européens et sous-traitant des lanceurs d'Arianegroup, et son partenaire MT Aerospace ont « lancé » la Rocket Factory. Depuis, les équipes sont pied au plancher. L'entreprise, qui se fait appeler RFA (un clin d'œil moyennement habile au passé de l'Allemagne ?) commercialise son lanceur « One » qui sera finalement capable de transporter jusqu'à 1300 kg en orbite basse dans une architecture originale à 8 moteurs.
L'originalité tiendra peut-être à son accès à un nouveau site de lancement en Norvège, suite à un accord en 2019 : la Rocket Factory devrait pouvoir décoller depuis Andoya dès la fin de l'année 2021. Ses ambitions ne s'arrêtent pas là, avec un autre accord au Centre Spatial Guyanais. Les investissements ne sont pas dévoilés, mais l'entreprise seule a sans doute déjà disposé de plusieurs dizaines de millions d'euros.
HyImpulse Technologies (Allemagne) : le spin-off de l'agence nationale
En 2016, quatre universitaires allemands réussissent à envoyer la petite fusée Heros-3 à 32 kilomètres d'altitude, un record pour un « lanceur étudiant ». Supportés par l'agence spatiale allemande (DLR), ils font avancer leurs idées autour d'un moteur hybride Paraffine – Oxygène efficace et fiable… Avant de quitter l'institution pour former HyImpulse en 2018. Supportés par le groupe IABG et la DLR, l'entreprise vise un premier décollage en 2022 depuis le site suédois de Kiruna (Esrange). La fusée elle-même s'appelle SL-1 et sera théoriquement capable d'emmener une charge utile de 500 kg à une orbite héliosynchrone de 500 km, propulsée par au moins… 12 moteurs ! En effet, le lanceur disposera d'une version à deux étages (8 moteurs sur le premier, 4 sur le second) et une autre avec un étage supérieur à 4 moteurs d'une conception identique mais beaucoup plus petits et moins puissants.
Et si vous vous demandez pourquoi le « NewSpace Allemand » est si vigoureux, en plus des soutiens industriels, l'agence allemande s'est engagée à fournir 25 millions d'euros à l'entreprise qui réussirait à envoyer deux vols vers l'orbite en 2022 et 2023…
Orbex (Royaume-Uni) : les Ecossais aux grandes ambitions
Souvent présentée comme anglaise, la startup Orbex est pourtant basée à Forres, en Ecosse… Et prévoit de lancer ses fusées depuis le site écossais de A' Mhòine, tout au Nord du pays. Une identité marquée pour cette entreprise fondée en 2015-16. Avec sa fusée « Prime », Orbex vise l'orbite basse comme ses compétitrices, le tout avec un mélange de nouveautés côté carburants (utilisation de propane et d'oxygène liquide) ou côté structure (utilisation massive de l'impression 3D).
Souvent mise face à RocketLab qui a beaucoup de points communs, Orbex souffre de la comparaison. Le premier lancement orbital n'est attendu que début 2022… Cela étant, la startup a déjà attiré des contrats pour l'envoi de satellites en orbite (Prime peut envoyer 150 kg à 500 km d'altitude), et son financement a bondi de 24 millions de dollars supplémentaires fin 2020.
Skyrora (Royaume-Uni) : la fusée aux travailleurs ukrainiens
Ce sont les « autres Ecossais » basés à Edinburgh. L'entreprise, qui revendique une approche pratique pour développer ses lanceurs (avec de tout petits vols d'abord, puis des lancements suborbitaux avant une première tentative orbitale prévue avec Skyrora-XL en 2022) abreuve régulièrement les réseaux sociaux avec les essais de ses moteurs et de ses fusées prototypes Skylark.
Pourtant Skyrora, c'est aussi une entreprise ukrainienne avec plus d'une centaine d'employés basés sur place, ce qui permet de réduire les coûts. Si les capacités de son micro-lanceur ne sont pas encore connues, on sait d'ores et déjà que le moteur du lanceur est produit en impression 3D et qu'il utilise de l'éco-kérosène produit à partir de matière plastique recyclée. Si l'entreprise a déjà dépassé 80 km d'altitude lors d'un test et dispose de plusieurs lettres d'intentions pour de futurs lancements, il faudra rester prudents sur le début effectif de ses vols…
Venture Orbital Systems (France) : petit budget et grandes idées
Stanislas Maximin et son équipe, depuis leurs nouveaux locaux à Reims, ont de la suite dans les idées. Un micro-lanceur Zephyr plus petit que les autres (70kg de capacité en orbite basse héliosynchrone) mais qui compenserait par une conception économique et fiable, et des technologies d'impression 3D baissant le prix de ses futurs moteurs Navier.
Installée un peu plus tard que ses concurrents européens, Venture Orbital Systems a tout de même levé 750000 euros fin 2020, et ambitionne une équipe de 100 personnes en 2023, avant un premier tir orbital en 2024. Soutenue par ArianeGroup et le CNES qui lui ouvrent leurs installations notamment pour les tests moteurs, Venture surprendra peut-être ses (très nombreux) concurrents. Mais attention, les places sont chères… Venture Orbital Systems espère lever 70 millions d'euros en 3 ans.
ARCA (Roumanie) : un peu de spectacle
Pour certains, les responsables d'ARCA ne sont ni plus ni moins que des arnaqueurs, promettant toujours plus au fur et à mesure que leurs essais échouent. Après des annonces fracassantes depuis les USA en 2017 (des vols suborbitaux en 2 mois, l'orbite en 6 mois) grâce à un moteur aérospike révolutionnaire qui n'a finalement jamais été testé au banc d'essai, l'équipe a rapatrié un peu plus tard toutes ses activités en Roumanie. L'entreprise, qui existe depuis le début des années 2000 et peut se targuer de plusieurs contrats de tests avec l'ESA, n'est pas restée les bras croisés.
Depuis fin 2018 elle vante un incroyable moteur à… eau chaude. Malgré les critiques, plusieurs tests se mise à feu statique ont l'air d'avoir satisfait les responsables, qui tiennent à montrer leur concept de « lanceur vert » avec un premier étage réutilisable équipé du fameux moteur à eau. Les derniers tests n'ont pas marché ? Qu'à cela ne tienne, les annonces pour de nouvelles aventures sont déjà en cours pour 2021. Si toutefois un essai à taille réelle pouvait concrétiser ces promesses, l'entreprise ferait un grand pas pour le spatial… Et pour sa propre crédibilité.