La jeune pousse américaine était devenue un emblème du NewSpace avec sa méthode de production radicale, imprimer en 3D l’ensemble de son lanceur. Mais la réalité a fini par rattraper l’audace et l’entreprise vise à présent 2026 pour le décollage inaugural de sa fusée Terran R, plus classique que prévu.
Dans un secteur aussi concurrentiel que le NewSpace américain, ce groupe de startups qui vise à révolutionner l’accès à l’espace, il faut parfois savoir sortir du lot pour se faire remarquer par les investisseurs. Tim Ellis et Jordan Noone, qui ont fait leurs études ensemble avant de travailler pour Blue Origin et SpaceX, en ont bien conscience en 2015 lorsqu’ils fondent Relativity Space. Leur réflexion, pour trouver une piste qui puisse différencier leur entreprise des autres, est basée sur la production des lanceurs spatiaux.
En effet, concevoir et assembler un étage de fusée est un processus long et très coûteux, qui nécessite par ailleurs des machines de production spécifiques elles aussi incroyablement coûteuses. Le processus est long, et les méthodes traditionnelles par fraisage d’alliage aluminium-lithium génèrent beaucoup de pertes. Or en 2015, on voit l’essor dans l’industrie de nouveaux procédés d’impression 3D métal, avec des propriétés très prometteuses. C’est le déclic, Relativity Space produira des fusées imprimées en 3D. Tout : les moteurs, les conduits, les turbos, les réservoirs sous pression, vraiment tout.
Imprimer tout, sauf les billets
Si cette promesse leur a permis de lever des fonds rapidement, et que les premiers essais de leur moteur Aeon-1 au centre spatial Stennis sont très médiatisés, l’aventure s’annonce complexe sur le plan technique. Car, en effet, imprimer une chambre de combustion, c’est pratique. D’ailleurs, d’autres le font aussi, comme Rocket Lab, avec son moteur-fusée Rutherford, qui est plus petit. Mais imprimer un réservoir de plus de 2 mètres de diamètre et d’une vingtaine de mètres de long, c’est autre chose.
Après plusieurs essais, les équipes de Relativity Space s’aperçoivent qu’elles doivent à leur tour inventer des machines : il n’existe aucune imprimante 3D métallique de cette taille et proposant ce degré de précision. Qu’importe, la startup met en place un portique équipé d’une imprimante géante appelée Stargate, unique en son genre, pendant que les annonces vont bon train et que les levées de fonds se succèdent. En 2019, l’entreprise obtient un premier contrat de lancement, promet d’imprimer « 95 % de son lanceur » et devient une licorne, évaluée à plus d’un milliard de dollars.
Un premier jet, Terran 1
Malgré tout, pour une entreprise qui doit lancer des fusées, il est possible de promettre beaucoup, à un moment il faut faire décoller des fusées. L’entreprise, dont le siège est à Long Beach (Californie), non loin de Rocket Lab ou Virgin Orbit à l’époque, concentre ses efforts sur son premier lanceur Terran 1. C’est en quelque sorte le produit d’appel, qui doit permettre à Relativity Space de mettre en place ses procédés d’assemblage, ses sites de production et son site de lancement à l’autre côté des États-Unis, à Cape Canaveral (le LC-16, tout près des spots d’atterrissage à terre des boosters de SpaceX).
L’architecture de ce lanceur de 35 mètres de haut propulsé au méthane et à l’oxygène liquide est issue d’un désormais classique du genre : 9 moteurs identiques sur le premier étage, un dixième adapté au vide pour propulser le deuxième étage et éjecter le satellite en orbite. Mais Relativity Space a beau vendre des décollages à 10 millions de dollars pièce, le gros du paiement n’intervient qu’à la mise sur orbite…
Le premier décollage de Terran 1 a lieu le 23 mars 2023 et… il est un peu particulier. D’abord, comme pour tout lancement inaugural, Tim Ellis et ses équipes ont prévenu qu’il y avait une forte probabilité d’échec, que l’entreprise repoussait les limites et que dans le cadre d’un développement itératif, cela n’aurait pas beaucoup d’impact. Bref, un raisonnement « façon SpaceX », prenant également en compte que les tirs inauguraux de petits et moyens lanceurs aux États-Unis comme ailleurs n’ont pas un taux de succès très élevé.
Firefly Aerospace, Rocket Lab ou ABL Space, tous trois concurrents de Relativity, ont tous raté le tir inaugural de leurs lanceurs. D’ailleurs, il est déjà prévu pour les vols suivants une amélioration sur les moteurs et sur l’impression 3D de la fusée. Le tir a lieu, et le premier étage de Terran 1 se comporte exactement comme prévu. Les choses se gâtent juste ensuite, la faute au moteur adapté au vide qui a raté sa séquence d’allumage… Ce qui ne paraît pas dramatique, justement. C’est un coup dur certainement, mais toute startup spatiale doit s’y attendre.
On reprend tout à zéro ?
C’est à ce moment-là que Relativity Space choisit un chemin différent. En effet, quelques jours à peine après l’échec au décollage, l’entreprise annonce l’abandon pur et simple de son lanceur Terran 1. Au placard aussi les moteurs Aeon-1 et leur évolution, les plans, et le fameux lanceur « prêt à imprimer en 60 jours » : place à Terran R. La jeune pousse, désormais valorisée à hauteur de 4 milliards de dollars, préfère passer d’un lanceur imparfait à un autre qui n’existe encore que sur le papier, avec un premier tir désormais annoncé en 2026 !
Étrange ? Sans doute moins lorsqu’on apprend quelques mois plus tard que Relativity rencontre des problèmes pour imprimer ses réservoirs pressurisés. Et peu à peu, le cœur même de la méthode est remis sur la table. Terran R, qui devait être un lanceur aux deux étages réutilisables, imprimé en 3D à partir de rien et sortant de l’assemblage en deux mois, sera beaucoup plus classique. Seule une part de ses éléments seront imprimés grâce au « Stargate », mais la firme s’est alors retrouvée face à un défi, puisqu’elle tablait sur sa propre production, elle n’a pas les outils et les machines pour fabriquer le reste. Donc elle le commande. Notamment, comme l’a relevé Ars Technica, en Europe, d'importantes pièces des réservoirs sont en effet probablement commandées à ArianeGroup : Terran R fait le même diamètre qu’Ariane 6. De la même façon, c’est Beyond Gravity (ex-Ruag) en Suisse qui va livrer les coiffes. Et il y a même eu un imbroglio sur les réseaux sociaux puisque le patron de Relativity Space a montré une photo de sa visite sur le site de production… devant une coiffe d’Ariane 6, et non pas de Terran R.
Une fusée plus conventionnelle
Terran R a également vu ses ambitions de réutilisation à la baisse. Le deuxième étage est désormais à usage unique, à l’instar de la quasi-totalité des autres lanceurs en production ou en développement (à l’exception de Starship et du lanceur de Stoke Space). Quant à la logistique, Relativity Space espère l’amortir grâce à la réutilisation de son booster principal. Car avec ses 5,4 mètres de diamètre, Terran R et ses 13 moteurs devront faire de longs trajets sur barge entre Long Beach (Californie), le site d’essais Stennis (La Nouvelle-Orléans) et Cape Canaveral (Floride).
Mais avant tout, en misant tout sur son grand lanceur, capable d’envoyer jusqu’à 33 tonnes maximum en orbite basse, Relativity Space joue sa survie à l’horizon 2026. La concurrence ne sera pas tendre. Entre Falcon 9/Falcon Heavy qui joue dans la même cour, New Glenn encore plus puissante, Vulcan, Neutron, les candidats se bousculent aux États-Unis. Et n’oublions pas à l’international Ariane 6, la Japonaise H-3 ou l’Indienne LVM3 ! Le pari est d’ampleur. Il n'empêche pour une entreprise encore jeune, le développement réussi d'une génération de nouveaux moteurs-fusées et les travaux vers un lanceur lourd… ce n'est pas rien !
L’imprimante ne va pas au placard
Pourtant, en plus d’avoir eu l’audace de défricher une nouvelle piste technologique, Relativity Space continue d’être bien identifiée sur le segment de l’impression 3D. Ce n'est pas parce que Terran R est à moins de 90 % imprimée que tout est remisé, bien au contraire. Les moteurs et de nombreuses parties de la fusée sont produits avec cette méthode. Et cela pourrait même ouvrir de nouvelles portes à l’entreprise via des contrats avec la défense américaine. En avril dernier, la firme a signé avec l’US Air Force Research Laboratory pour 9 millions de dollars d’étude sur le sujet de la recherche de défaut dans des matériaux imprimés de grande taille. Peut-être une nouvelle piste à l’avenir, si les lanceurs imprimés en 3D n’ont pas la trajectoire espérée…