Les grands acteurs industriels du spatial européen ont repris leurs vols. Et le NewSpace, alors ? Une dizaine de structures luttent pour être la première à atteindre l'orbite et à pérenniser leur activité dans un marché aussi difficile techniquement que concurrentiel. Petit tour d'horizon de leurs avancées récentes.
Dans le secteur des start-up des lanceurs, c'est la course. La course aux financements d'abord, aux contrats ensuite, et surtout la course au développement. Car plus qu'une bonne idée, il faut de bonnes équipes, un site de production, des essais pour les moteurs, puis des étages de fusées avant d'atteindre, enfin, les dernières secondes du compte à rebours. Certains les ont déjà vécues, mais il manque encore la transformation de l'essai…
Espagne : PLD Space
PLD Space, fondée par Raúl Torres en 2011, est sans doute la plus ancienne et l'une des plus respectées des entreprises du « NewSpace européen ». Pour autant, la firme espagnole a déjà connu des hauts et des bas, comme en 2020 où, à la suite de problèmes financiers, il ne restait plus grand monde dans les bureaux.
La fusée Miura-1 et le modèle orbital partiellement réutilisable Miura-5 ont subi des années et des années de retard… jusqu'à l'année dernière, avec un test réussi de Miura-1 en octobre 2023. La fusée « suborbitale » s'est envolée et n'a atteint que 46 kilomètres d'altitude, mais pour autant, l'essai est concluant et replace PLD Space dans le peloton de tête. Cela permet aussi d'attirer de nouveaux investissements.
En 2024, PLD Space a 200 employés et a été la première firme externe à obtenir l'autorisation de s'installer au Centre spatial guyanais, sur l'ancien site de décollage de la fusée Diamant (qui servira également aux essais des démonstrateurs Themis et Calypso). Toutefois, la route n'est pas aussi dégagée qu'il y paraît. D'abord, le deuxième tir de Miura-1 n'a pas eu lieu pour l'instant (un an entre deux campagnes, c'est long), et ensuite, Miura-5 sera-t-elle prête à l'heure pour jouer contre la concurrence ? Elle sera capable d'emporter jusqu'à une tonne en orbite, et elle est annoncée pour 2026.
France : MaiaSpace
La petite structure, issue et supportée par ArianeGroup, poursuit son chemin avec son lanceur orbital réutilisable. Plus puissant que prévu à l'origine, ce dernier marche presque sur les plates-bandes de Vega avec une capacité annoncée de 1,5 tonne en orbite en version « sans retour ».
Le point clé pour cette fusée, toutefois, c'est son moteur méthane-oxygène liquide, Prometheus. C'est la maison mère ArianeGroup qui le développe, et il fera a priori ses premiers essais en vol avec le démonstrateur européen Themis. Ils sont désormais attendus en 2025, tout comme le premier décollage d'essai de MaiaSpace. Un agenda serré ? Sans doute.
Mais il y a aussi des nouvelles encourageantes et toutes chaudes : ce 26 septembre, le CNES a sélectionné MaiaSpace pour utiliser les installations du Centre spatial guyanais auparavant consacrées à Soyouz (l'ELS). Sous cocon depuis 2022, ces dernières seront partiellement détruites, mais la start-up explique vouloir réutiliser un maximum de l'infrastructure déjà en place, avec un positionnement idéal, un peu isolé au CSG et bien placé pour envoyer les étages se poser sur une barge au large lors des lancements. Premier tir commercial ? 2026…
France : Latitude
2024 aura été une année plus complexe que prévu pour Latitude. Il y avait en effet de belles promesses en 2023, avec les premiers essais réussis du moteur Navier pour la future fusée Zéphyr. Mais pour la version de vol, il a fallu reprendre le design, en reprenant et en internalisant la conception de ses turbopompes, ce qui a mené à une version plus puissante du lanceur, mais aussi à des délais de développement supplémentaires.
La start-up installée à Reims se démène actuellement pour préparer des essais de mise à feu sur son nouveau site à l'aéroport de Vatry. Une aventure qui sera à suivre cet hiver, avec également les tests sur un premier étage représentatif avant de le voir partir vers les îles Shetland et de peut-être tenter un premier décollage en 2025, si tout se passe bien d'ici là. Le futur est néanmoins assuré à court terme grâce à des investissements publics dans le cadre du plan France 2030 (15 millions d'euros) cette année.
France : Sirius
Discrète, la start-up française créée en 2020 a gagné ces dernières années une réputation de progrès rapides et sérieux. L'idée est de développer à partir d'un lanceur unique Sirius-1 (175 kilos en orbite basse) toute une gamme plus puissante en multipliant les étages. La firme, même si elle ne vise pas un décollage orbital avant l'année 2026, a fait l'actualité en ce mois de septembre, car elle a sélectionné son site de lancement… en Australie.
Le nouveau « spatioport » d'Arnhem accueillera donc les Français et leur pas de tir, déjà renommé « Le Mans », pour de premiers essais attendus l'année prochaine.
Allemagne : Rocket Factory Augsburg
Ce devait être la première du groupe à tenter un vol orbital en 2024. Tout était sur les rails : les autorisations de tir depuis Saxavord dans les Shetland, les éléments du premier vol testés indépendamment, puis apportés à la fin du printemps sur le site de lancement… Ne restait que la suite et fin du programme d'essais de mise à feu pour le premier étage, testé avec 5 moteurs en mai.
Mais pataras, en août, lors d'un nouvel allumage statique, une turbopompe explose, génère un incendie, et l'ensemble de l'étage y passe. Or, c'est bien cet élément principal de la fusée qui devait servir pour le décollage inaugural ! Depuis un mois, RFA n'a plus posté de nouvelles. Il faut réassembler des moteurs, reconstruire, apprendre de l'erreur… Ce ne sera pas l'affaire d'un mois. Quant à l'orbite, il ne faut plus compter sur 2024 de son côté.
Allemagne : ISAR Aerospace
ISAR et Rocket Factory Augsburg ont toujours été proches l'un de l'autre en matière de développement. La fusée Spectrum, qui bénéficie de très nombreux tests moteurs réalisés en Suède à la base d'Esrange (Kiruna), est actuellement sur sa base de lancement flambant neuve, le spatioport d'Andoya, en Norvège.
Et si la fusée n'est pas prête pour le moment, des activités ont bel et bien déjà eu lieu depuis le mois d'août, générant des interdictions d'accès : remplissages de réservoirs ou même des mises à feu statiques sont au menu. Quant à atteindre l'orbite, c'est un peu plus flou.
Andoya a reçu l'accord gouvernemental pour faire décoller des fusées, mais les équipes allemandes ne sont pas forcément encore prêtes, et il faut que tout se passe bien lors des tests au sol pour que le lanceur ait une chance de s'élancer vers le ciel en 2024. L'entreprise est bien avare en communication… Mais on gardera un œil sur ses annonces d'ici la fin de l'année !
Allemagne : HyImpulse
C'était en mai de cette année, et la nouvelle est restée relativement discrète en France : HyImpulse a réussi un lancement de la version suborbitale de son lanceur propulsé à la paraffine, le SR75. Et pas question d'un vol à basse altitude, la fusée peut effectivement atteindre plus de 250 kilomètres à la verticale au-dessus du site, tout en étant récupérée (ce qui a permis une analyse poussée des données de vol).
Mais les prochains décollages n'auront plus lieu depuis le site australien de Koonibba, et la prochaine SR75 devrait décoller de Saxavord. Le tir est prévu au début de l'année 2025 et devrait paver la voie pour le premier vol orbital. Comme beaucoup d'autres, vous l'avez compris, d'ici 2025-2026.
Il y a bien sûr d'autres acteurs qui ont peu fait l'actualité ces derniers temps. En particulier les Anglais chez Orbex (qui ont tout de même progressé sur le spaceport Sutherland, au nord de l'Écosse) ou Skyrora (qui a des prototypes de fusées atmosphériques). Il y a les Français d'HyPrSpace, qui ont testé leur dernier moteur Terminator, qui servira un jour à propulser leurs fusées, les « space-baguettes ». Vous l'aurez compris, a priori, aucun d'entre eux, à part peut-être ISAR, n'atteindra l'orbite cette année. Mais cela ne veut pas dire que la course n'est pas intense…