Depuis un bon moment déjà, le "tycoon" est l'archétype du jeu de gestion au point que les éditeurs nous l'ont resservi à toutes les sauces : Casino Tycoon, Moon Tycoon, RollerCoaster Tycoon, Sky Resort Tycoon, Zoo Tycoon... J'en passe et des meilleurs. Il en est toutefois un qui sort du lot pour avoir en partie donné ses lettres de noblesse à ce genre particulier. Il s'agit bien sûr de l'illustre Railroad Tycoon développé en 1990 par Sid Meier et son équipe mais depuis, c'est PopTop Software qui tient les rênes de la série.
PopTop Software qui nous revient d'ailleurs aujourd'hui avec le troisième volet qu'il a tout simplement choisi d'intituler Railroad Tycoon 3, facile à retenir ! Après un second épisode qui misait sur un rajeunissement complet de l'interface graphique, il semble bien que ce troisième volet ait moins d'atouts à faire valoir. Les captures d'écrans diffusées tout au long du développement nous présentait bien un nouveau moteur graphique mais un changement de forme pouvait-il justifier à lui seul la commercialisation d'un nouveau jeu ?
Un retour attendu !
Dire que Railroad Tycoon 2 a déjà cinq ans ! Voilà qui ne nous rajeunit pas et qui explique sans doute en grande partie le pourquoi de cette nouvelle version. En cinq ans on peut dire que le jeu vidéo en a vu des évolutions et mêmes des révolutions. Half-Life est sorti puis Counter-Strike a triomphé alors que dans le même temps l'énorme succès de Grand Theft Auto 3 s'est confirmé avec Vice City. Le PC est largement dominé par les titres de stratégie temps réel ou les jeu d'action à la première personne et le domaine de la gestion pure et dure n'est pour ainsi dire plus représenté que par quelques sorties certes régulières mais relativement peu nombreuses. C'est toutefois pour les amateurs de réseaux ferrés que la situation est la plus déconcertante. Alors que les années 90 avaient vu l'avènement de quelques pointures comme Transport Tycoon ou le japonais A-Train, depuis 1999 et la sortie de l'extension Second Century pour Railroad Tycoon 2, c'est le silence radio. Take 2 et PopTop Software préparaient en fait très tranquillement leur retour et ils avaient bien raison car les nombreux amateurs les attendaient au passage à niveau !La souris de la séquence d'introduction est à croquer !
Je gère, tu gères, il gère...
Même les joueurs les moins au fait de la série Railroad Tycoon imaginent sans peine de quoi il retourne dans ce troisième volet. PopTop Software vous propose une nouvelle fois d'enfiler le costume d'entrepreneur en chemins de fer avec pour tâche principale l'enrichissement de la compagnie qui vous emploie. En début de partie, deux choix s'offrent donc aux joueurs qui peuvent décider de s'embarquer pour un scénario "simple" ou bien carrément pour la campagne. Cette dernière est divisée en plusieurs étapes qui fonctionnent indépendamment les unes des autres à la manière des scénarios "simples" justement. En réalité, cette campagne trouve tout son intérêt dans l'aspect progressif des missions qu'elle propose : on commence tout petit et, au fur et à mesure des réussites, les défis deviennent de plus en plus complexes et intéressants. Il est bien sûr vivement conseillé aux débutants de commencer par la campagne au niveau le plus facile mais même les joueurs expérimentés devraient ravaler leur orgueil car le niveau de difficulté est sensiblement plus élevé que ce qui était proposé dans Railroad Tycoon 2. Si la période historique couverte par le jeu est relativement proche (de l'avènement du chemin de fer au milieu du XXIème siècle), il en va tout autrement du modèle économique mis au point par les développeurs.Dans Railroad Tycoon 3, le but est donc de gagner de l'argent et pour ce faire le premier moyen qui vient à l'esprit est bien sûr de mettre en place des voies ferrées, de relier différentes villes entre elles et de faire circuler les petits trains qui achemineront marchandises et passagers entre les différentes métropoles. Jusque là rien de bien original me direz-vous, mais détrompez-vous car contrairement à ce que proposait Railroad Tycoon 2, ici la loi de l'offre et de la demande est beaucoup plus présente. On se rend par exemple très rapidement compte que les prix ne sont pas identiques partout sur la carte et alors que l'épisode précédent prenait simplement en compte la distance qui séparait deux gares, il faut ici jouer avec les difficultés d'approvisionnement et les débouchés potentiels (industries de transformations, populations urbaines). Lorsque enfin on sait qu'il existe des "transports résiduels" invisibles sur la carte mais qui permettent tout de même d'acheminer lentement les marchandises sur de courtes distances, on imagine très bien qu'il sera beaucoup plus difficile de gagner de l'argent dans Railroad Tycoon 3. Dans les premières parties on se demande même comment diable est-il possible de générer le moindre bénéfice. Il faut dire que l'habitude des précédents épisodes joue des tours : ici, et c'est beaucoup plus logique, les liaisons courtes rapportent beaucoup moins qu'elles ne le faisaient auparavant. Pour que sa compagnie décolle malgré tout, le magnat peut tenter de diversifier ses activités comme il le faisait déjà dans les précédentes versions.
Railroad Tycoon 3 propose ainsi un très grand nombre d'industries allant du simple élevage de boeufs à la centrale nucléaire en passant pas les traditionnelles mines de fer et fabriques de textile. En tout c'est plus de 50 industries qu'il est possible d'acquérir. Dans un premier temps on se contente souvent d'acheter celles qui sont déjà en place en vérifiant bien sûr leur rentabilité, mais ensuite il devient tout à fait possible de construire ses propres structures afin de s'enrichir encore plus rapidement. Trouver les meilleurs emplacements, les industries les plus profitables et les liaisons les plus fructueuses est un des aspects les plus importants du jeu mais il n'est pas le seul puisque le joueur doit bien évidemment s'occuper avant toute chose de son entreprise de chemin de fer. Nous reviendrons plus tard sur la pose des voies mais sachez de suite qu'il s'agit de l'un des principaux changements par rapport à Railroad Tycoon 2. Ensuite, c'est en effet relativement classique dans la mesure où le choix des locomotives (parmi la quarantaine de modèles disponibles de toutes les époques), la définition des trajets et l'organisation de la cargaison se font presque de la même manière que dans l'épisode précédent. L'interface ne souffre d'ailleurs aucune critique en ce domaine ce qui n'est pas forcément le cas ailleurs.
Trois des nombreuses locomotives disponibles : les modélisations sont très réussies
Il y a quelque chose de pourri au royaume du Tycoon ?
Si ce n'est pas l'élément le plus frappant, l'interface a pourtant entièrement été revue et c'est globalement une réussite. Il faut moins de clics de souris pour obtenir satisfaction et il n'est plus indispensable de passer d'un menu à l'autre, d'une rubrique à l'autre pour trouver la fonction adéquate. Les habitués seront sans doute un peu perdus au départ, mais ils devraient rapidement s'y faire en tout cas en ce qui concerne les aspects positifs de cette interface qui n'est toutefois pas parfaite. Nous avons en effet déjà mentionné que le modèle économique du jeu était beaucoup plus riche. Avant la mise en place d'une nouvelle ligne, il est plus important que jamais de bien regarder la carte pour remarquer les pics d'offres et de demandes afin de ne pas se planter. Hélas, ces cartes ne sont pas forcément très agréable à lire d'autant que pour en proposer toujours plus, PopTop Software a multiplié le nombre de produits disponibles. Ca n'a l'air de rien mais les débutants auront toutes les peines du monde à s'y retrouver et alors que Railroad Tycoon 2 semblait plus accessible que le premier volet, ce troisième opus paraît tout de suite beaucoup plus élitiste. Fort heureusement les développeurs ont tout de même pensé à offrir une sorte d'assistant pour simplifier un peu certaines les tâches et éviter le travail de fourmis qu'est parfois le micro-management. L'organisation de la cargaison des trains peut ainsi être gérée en automatique. L'ordinateur choisit alors en fonction du nombre de wagons maximum que vous avez autorisé, les marchandises les plus lucratives disponibles.On aurait toutefois bien aimé que d'autres assistants soient accessibles pour aider à la prise en main d'un jeu qui malgré sa relative clarté reste trop touffu pour beaucoup de (jeunes) joueurs. Il me faut en effet préciser qu'à côté de la mise en place des voies, de l'organisation des frets et de la gestion des industries "annexes", il reste encore à s'occuper de tout l'aspect purement financier. Il faut bien sûr veiller à engranger les bénéfices mais il faut aussi surveiller la concurrence, ne pas hésiter à investir en bourse sur sa propre compagnie ou bien à se rendre propriétaire d'un concurrent par trop entreprenant. Il est également possible d'émettre de nouvelles actions pour attirer de nouveaux capitaux en vue d'une opération d'expansion ou bien au contraire de rembourser divers emprunts avant que le climat économique mondial ne se dégrade. L'ampleur de la tâche n'est pas feinte et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il y a des choses à faire au cours d'une partie de Railroad Tycoon 3. Les seize missions de la campagne ainsi que les douze scénarios indépendants ou bien encore les modes bac à sable (jeu entièrement libre sans objectifs, ni concurrence) et multijoueurs assurent en principe au jeu une durée de vie exemplaire. Cette importance des défis est là pour palier un défaut propre au genre des "tycoon" : la lassitude. PopTop Software connaît son affaire et tente ainsi de briser la monotonie qui pourrait s'installer en apportant des scénarios aux cartes très variées. Les conditions de victoires changent d'une carte à l'autre mais c'est surtout le relief et la position des différentes villes les unes par rapport aux autres qui ravivent sans cesse l'intérêt du joueur.
Hélas, et après bien des compliments nous touchons maintenant au point sensible du jeu qui risque de décourager de nombreux investisseurs en herbe, la sauce ne prendra pas avec tout le monde. En effet malgré des qualités bien réelles, le nouveau moteur graphique pourrait bien perdre de nombreux joueurs en route. Plutôt léger, il tourne sur de nombreuses machines et offre un rendu plutôt intéressant des différentes régions du globe. Si les détails et les effets de lumière ne sont pas son fort, il offre ce qu'aucun autre jeu du genre n'avait jusque là offert : une vision claire et précise de la déclivité du terrain, idéal pour placer au mieux ses rails. Mais c'est également ici que se posera un problème pour de nombreux joueurs car il faut bien reconnaître que la gestion des caméras est loin d'être parfaite : il faut jouer entre rotation et "glissement" pour atteindre l'emplacement choisi. De la même manière, le positionnement des gares n'est pas très pratique et on se prend, dans les premières heures, à regretter les petits carrés du premier Railroad Tycoon ! Ce défaut est pratiquement le seul que l'on puisse vraiment formuler à l'encontre de Railroad Tycoon 3 mais il risque bien de dérouter (dégoûter ?) complètement certains joueurs. Pratiquement le seul, car il nous faut également parler de la localisation relativement moyenne du jeu. Si la traduction n'est pas franchement mauvaise avec même quelques petites blagues sympathiques, il y a régulièrement d'importants bugs (textes superposés) qui gênent la lisibilité de certaines annonces !
Les outils sont nombreux et puissants : indispensable pour un chemin de fer rentable
Conclusion
Après quelques minutes de jeu, Railroad Tycoon 3 étonne l'habitué des précédents épisodes par le manque d'intérêt apparent des innovations consenties par les développeurs. Le moteur graphique semble beaucoup moins lisible qu'il ne l'était, la pose des rails paraît bien délicate et l'aspect financier ne change pas grand chose. Il ne faut toutefois pas rester sur cette première impression qui ne reflète pas du tout la qualité du titre de PopTop Software. Les innovations sont peut-être (sûrement même) plus subtiles que celles qui caractérisaient Railroad Tycoon 2 mais elles sont bien là et après quelques heures de jeu les choix graphiques prennent tout leur sens et ce, même si la gestion des caméras ou le graphismes restent un peu décevants. Jamais un jeu de gestion de train n'a permis une telle précision dans les tracés et le relief est maintenant parfaitement perceptible sans qu'il ne gêne autant la vue qu'il pouvait le faire dans Railroad Tycoon 2.Le modèle économique mis en oeuvre est lui aussi bien différent et il ne souffre pratiquement aucune critique. La gestion de l'offre et de la demande est maintenant beaucoup plus complète et réaliste ce qui ne sera pas sans poser quelques problèmes aux débutants mais qui ravira les spécialistes. C'est un peu le paradoxe de Railroad Tycoon 3 qui d'un côté propose une campagne où la progression se fait tout en douceur mais qui de l'autre côté intègre des éléments relativement complexes sans les expliquer suffisamment. On regrettera également que les scénarios ne permettent pas de jouer sur des cartes plus variées, plus étendues et surtout contre plus d'adversaires : on est trop souvent limité à un simple duel.
En définitive et malgré une entrée en matière un peu déconcertante, Railroad Tycoon 3 s'impose comme la référence du genre. Le titre que tout amateur se doit de posséder dans sa logithèque. En revanche, je suis plus que jamais sceptique quant à son attrait pour un public moins habitué. Les néophytes curieux risquent en effet d'être rapidement découragés par une gestion délicate des caméras et un certain flou autour des mécanismes économiques... Mais c'est aussi ce qui fait le charme du jeu !