La justice américaine vient de mettre un terme aux vélléités de la FCC (Federal Communications Commission - l'agence indépendante de régulation des télécommunications aux Etats-Unis) d'imposer la neutralité du net à tous les opérateurs. Dans une affaire entre cette Arcep à l'américaine et le fournisseur d'accès à Internet Comcast, une cour d'appel fédérale a jugé que la FCC ne pouvait pas forcer les opérateurs à garantir un accès égal à l'intégralité d'Internet sans restriction. Comcast pourra donc s'il le souhaite bloquer ou ralentir certains sites pour permettre à ses abonnés d'accéder plus rapidement à d'autres, comme Youtube.
A l'origine de l'affaire, le bridage des services de partage de fichier en peer-to-peer BitTorrent par le câblo-opérateur Comcast. La FCC considère que le fournisseur d'accès n'a pas à limiter la connexion sur ces services, même s'ils engorgent son trafic. Mais la cour d'appel du district de Columbia vient de trancher en faveur de Comcast. Elle ne jugeait pas le fonds - à savoir le droit ou non de Comcast à brider la connexion de ses abonnés - mais la capacité de la FCC d'imposer l'ouverture du débit aux fournisseurs d'accès.
Cette décision pourrait cependant avoir une issue paradoxale, si le Congrès décide de s'en emparer. La neutralité du net, que tente d'imposer la FCC, est un cheval de bataille de l'administration Obama à l'étranger et en politique intérieure, et les parlementaires américains pourraient décider de modifier la loi pour que les compétences de l'autorité de régulation soient accrues. L'engagement du Congrès dans cette voie est malgré tout loin d'être acquise, après l'épisode clivant de l'assurance santé : les députés et sénateurs démocrates n'auront peut-être pas envie de débuter une nouvelle guerre parlementaire idéologique. Les républicains posent en effet comme principe le droit des opérateurs à décider des services qu'ils proposent et de leur prix. Phil Kerpen, vice-président du groupe de pression conservateur Americans for Prosperity, a même salué cette victoire en estimant que « la FCC n'a aucune légitimité légale pour imposer sa vision dystopique de régulation sous la bannière de la neutralité du net. »
La FCC va donc devoir réviser sa politique de promotion de la neutralité du net. Pour autant, la décision de la cour d'appel ne devrait pas avoir d'impact immédiat sur les consommateurs, puisque ni Comcast ni aucun autre FAI ne bride - ni n'a l'intention de brider - les vitesses de connexions. L'affaire BitTorrent remonte en effet à 2007, et a été réglée depuis. Comcast n'a donc pas fait étalage de sa victoire, puisque ses règles de gestion des vitesses de connexion ont été modifiées. L'opérateur a même temporisé, assurant qu'il restait « engagé en faveur du principe d'Internet ouvert de la FCC. » Il faut dire que Comcast attend en ce moment l'approbation de l'administration fédérale pour l'acquisition de parts majoritaires au sein de NBC Universal, la maison-mère du réseau de télévisions câblées NBC. Certains parlementaires et groupes de consommateurs estiment que Comcast pourrait être tenté de favoriser ses futures chaînes dans ses bouquets, et refusent cette fusion.
Même souci sur l'Internet pour certains représentants d'associations de consommateurs : avec le jugement obtenu hier, Comcast pourrait se réserver le droit de favoriser les services de vidéo en ligne de NBC, en restreignant la vitesse de certains concurrents, comme CBS. Pour d'autres, la FCC paye tout simplement aujourd'hui sa politique de dérégulation massive des services Internet, opérée sous l'administration Bush. Elle ne s'était engagée pour la neutralité du net qu'en 2008, dernière année du mandat du précédent président, mais va désormais « devoir faire plus attention sur la manière dont elle s'y prend »pour imposer sa nouvelle règle, selon Eli M. Noam, professeur d'économie à l'Université de Columbia.