L'atterrisseur Odysseus descend vers la surface lunaire, sur cette photo du 22 février. © Intuitive Machines
L'atterrisseur Odysseus descend vers la surface lunaire, sur cette photo du 22 février. © Intuitive Machines

Après un alunissage chaotique le 22 février, le véhicule Nova-C d’Intuitive Machines a tout de même réussi à transmettre ses données durant une semaine. Un exploit technique même s’il était couché sur la surface, réalisé avec des moyens limités. Les équipes à Houston n’ont pas à rougir, elles ont appris... Pour la prochaine fois.

Retour quelques semaines en arrière. Le 15 février, avec quelques jours de report, Falcon 9 décolle du Centre Spatial Kennedy. En apparence, un vol de routine pour SpaceX qui envoie ses fusées vers l’espace deux fois par semaine à présent... Et pourtant, c’est bel et bien une mission lunaire unique qui s’annonce. Le premier tir dédié à Intuitive Machines et leur petit atterrisseur public-privé (en grande partie financé par la NASA) Nova-C, baptisé pour l’occasion Odysseus.

4,3 mètres de haut, 675 kg sur la balance et un moteur principal unique, alimenté au méthane et à l’oxygène liquide, l’objectif de Nova-C est ambitieux : en une semaine, filer droit vers la Lune, vérifier tous ses systèmes, freiner pour s’insérer en orbite puis se poser sur la surface non loin du Pôle Sud, à côté d’un cratère nommé Malapert A. Un challenge pour l’équipe de 250 personnes basée à Houston.

La Terre, observée quelques poignées de minutes après l'éjection de l'atterrisseur, déjà en route pour la Lune. © Intuitive Machines
La Terre, observée quelques poignées de minutes après l'éjection de l'atterrisseur, déjà en route pour la Lune. © Intuitive Machines

Il faut sauver Odysseus en permanence

Et malgré des messages rassurants sur les réseaux sociaux, les défis ont pourtant démarré dès l’éjection d’Odysseus, amené précisément au point voulu par sa fusée Falcon 9. Lors de la mise en route et de l’auto-diagnostic de ses systèmes, le pointeur d’étoiles de l’atterrisseur lunaire ne répond plus. Dès lors, impossible d’orienter précisément Nova-C, qui tourne doucement sur lui-même et communique par de brefs épisodes vers la Terre. Ses batteries se vident lentement... Jusqu’à ce que les équipes arrivent à envoyer un patch logiciel qui réinitialise les pointeurs.

Il restait alors moins de trois heures avant de devoir convoquer une conférence de presse et annoncer la fin de la mission. Selon Steve Altemus, le fondateur et PDG d’Intuitive Machines, ses ingénieurs et techniciens ont rencontré 11 événements de la sorte en 12 jours. Certaines corrections logicielles ont mieux marché que d’autres.

Plus d’altitude ? Pas grave !

Le 16 février, l’entreprise rencontre un souci lié au refroidissement des ergols de son moteur principal, mais réussit avec un peu de retard à l’activer correctement pour ses premières manoeuvres en route pour la Lune. Le 21 février, malgré une nouvelle incertitude sur la trajectoire, Odysseus réussit à freiner et infléchit sa trajectoire de plus de 800 m/s (2880 km/h) pour s’insérer avec succès en orbite lunaire !

C’est déjà une belle réussite de la part des équipes texanes, surtout lorsqu’on compare ce résultat avec celui de l’atterrisseur public-privé Peregrine (Astrobotic) qui avait décollé à peine plus d’un mois avant celui d’Intuitive Machines. Mais le 22 février, alors que tout le monde est déjà à son poste pour commander la descente vers la surface et recevoir anxieusement les données, le véhicule Nova-C échoue à initialiser son altimètre laser. Pire, c'est un oubli physique, une erreur dans la préparation qui empêche de l'allumer pour obtenir l'altitude de l'atterrisseur.

Le site d'atterrissage de Nova-C sur la Lune, observé fin février par l'orbiteur LRO de la NASA et son optique à haute résolution. © NASA

Plus d’instruments ? Toujours pas grave !

A l’image de la surface survolée par Odysseus, les équipes vont alors subir une suite incroyable de montagnes russes. En urgence, l’atterrissage est repoussé d’une orbite, tandis que côté ingénierie, on tente le tout pour le tour : il y a sur les flancs de Nova-C une expérience de la NASA, un instrument que l’on nomme un Lidar, avec un laser qui balaie la surface... Et qui devait étudier les données lors de la descente. Ni une ni deux, le voilà propulsé au rang de capteur principal.

Il n’y a plus le temps de tergiverser, le patch logiciel est transféré sur Odysseus, qui reçoit l’ordre de freiner et de se poser. Mais l’ordinateur de bord a un problème, il n’arrive pas à traiter les données du Lidar en temps réel. Le décalage devient trop important, jusqu’au point de non retour : les données du Lidar deviennent inexploitables à partir de 15 kilomètres d’altitude. L’atterrisseur Nova-C est alors privé de données altimétriques brutes. Il vole à l’aveugle, ou plutôt, c’est l’inverse : il ne lui reste que ses yeux.

A un moment, il faut bien toucher le sol

En effet, Nova-C est équipé, comme tous les véhicules « modernes » (c’est-à-dire ceux qui ont tenté de se poser sur la Lune depuis 2010) d’une capacité d’étude de données par l’image, pour se guider vers le site d’atterrissage prévu et éviter les obstacles qui pourraient apparaître sur les pentes à la dernière minute. C’est ce système optique stéréo qui va sauver la mise à Nova-C. Alors que l’atterrisseur freine et descend, son boîtier de calcul inertiel lui donnait une estimation de freinage et les caméras lui fournissaient les images. Une solution qui lui a permis de s’approcher à 1,5 km du site prévu (une précision peu performante) avec un différentiel entre l’altitude calculée et la véritable surface de seulement 100m. Bon, malgré tout c’est tout de même 100 mètres, aussi Odysseus a-t-il souffert d’un impact bien rugueux avec le sol lunaire...

En réalité, il a touché à la verticale une pente inclinée de 12°, ce qui a immédiatement cassé l’un de ses 6 pieds. Et il est resté debout ! Du moins, quelques secondes. Il s’est ensuite couché sur la pente, appuyé sur un de ses réservoirs d’hélium et une de ses petites plateformes à expériences. Mais pour la première fois depuis 1972, un appareil américain s’est posé sur la Lune et a transmis des données.

Le moment exact où Nova-C a touché le sol et s'est cassé un pied. Pas de chance... © Intuitive Machines

Une semaine active sur la Lune

Au moment de se poser dans la soirée du 22 février, Intuitive Machines n’a pu apporter beaucoup de précisions, ne comprenant pas pourquoi Nova-C était capable de communiquer, avec des signaux dégradés, tout en ayant des problèmes pour joindre le véhicule. Dans la demi-journée suivante, lorsque les équipes ont analysé exactement son orientation, elles ont mieux compris. Ses deux antennes principales envoyaient des signaux qui étaient reflétés par la surface lunaire... A cette exception près, Odysseus se portait bien, ou presque.

L’illumination du véhicule n’est pas optimale, son principal panneau solaire sur le dessus n’étant pas éclairé, il n’y avait plus qu’une seule surface sur son flanc pour tenir le rôle. Mais à condition de bien gérer la batterie, les ingénieurs ont pu contourner le problème. Nova-C a fonctionné jusqu’au 29 février au matin, et il restait une petite marge inutilisée au cas où, pour tenter de réveiller l’atterrisseur dans 3 semaines, après la nuit lunaire.

Vue d'artiste de Nova-C couchée à la surface de la Lune (ne prend pas en compte la surface oblique). © Intuitive Machines

Une réussite ? Si, si !

De son côté, la NASA est heureuse. Evidemment, tout ne s’est pas passé comme prévu. Mais toutes les charges utiles sur Odysseus (sauf une, conçue pour observer le nuage soulevé lors de la manoeuvre d’atterrissage) ont fonctionné et l’agence américaine a pu récupérer environ 650 Mo de données pour ses futures missions lunaires, aussi les objectifs sont-ils remplis. Et bien sûr l’entreprise espère corriger les défauts pour la prochaine fois. D’autres expériences ont pu prendre place, comme l’éjection (différée) d’un petit compagnon-caméra une fois au sol (il était prévu de le larguer à 30m d’altitude, mais comme l’ordinateur est passé de 100 à 0...), mais l’image n’a pas fonctionné.

Odysseus restera pour très longtemps tout seul et couché sur la Lune ! © Intuitive Machines

Grosso modo, Intuitive Machines estime qu’avec tout ce qui a marché ainsi que l’atterrissage lunaire, la mission IM-1 est un important succès. Difficile de leur donner tort lorsqu’on sait tous ceux qui ont raté leur tentative ces dernières années. Après la réussite « tête en bas » de l’atterrisseur japonais SLIM, c’est donc une nouvelle aventure lunaire qui se termine bien. Vivement la suivante !

Source : Arstechnica