L'enregistrement et la transcription des appels seront bientôt disponibles avec iOS 18, mais que dit la loi en France à propos de ça ? © MMD Creative / Shutterstock
L'enregistrement et la transcription des appels seront bientôt disponibles avec iOS 18, mais que dit la loi en France à propos de ça ? © MMD Creative / Shutterstock

Parmi les nombreuses fonctionnalités présentées par Apple lors de la conférence WWDC 2024 qui s'est tenue un peu plus tôt en ce mois de juin, Apple a rapidement décrit la possibilité prochaine avec iOS 18 d'enregistrer les appels téléphoniques pour obtenir une transcription de la conversation. Quels sont les enjeux en matière de vie privée pour les participants à un appel ?

Lorsqu'elle est utilisée à bon escient, l'intelligence artificielle peut s'avérer particulièrement pratique. Microsoft, Google et plus récemment Apple ont démontré des applications concrètes pour l'ensemble des utilisateurs de leurs systèmes d'exploitation. Parmi ces dernières, la firme de Cupertino a notamment souligné que les algorithmes de son Apple Intelligence étaient capables d'enregistrer en direct une conversation téléphonique, puis de la retranscrire sous la forme de texte.

Autant dire que pour un journaliste réalisant une interview téléphonique, cette fonctionnalité pourrait se révéler bien utile. D'ici à ce qu'une traduction automatisée soit réalisée dans sa langue natale, on imagine déjà pouvoir communiquer aisément avec n'importe qui à travers le monde, par exemple pour planifier un voyage.

Cependant pour appliquer une transcription ou une traduction, il faut au préalable que la conversation soit enregistrée. Or, cette notion est un peu sensible. Déjà, avons-nous envie que nos conversations soient enregistrées pour que n'importe qui puisse les analyser ? Parce que si dans un premier temps, quelques aficionados vont pouvoir en profiter sur leur iPhone dernier cri, la technologie sera bien évidemment amenée à se généraliser assez vite. D'ailleurs, nous retrouvons déjà à ce jour plusieurs applications dans l'App Store ou sur le Play Store pour procéder à ces enregistrements.

La très brève présentation de la fonctionnalité © Apple
La très brève présentation de la fonctionnalité © Apple

Le cas des enregistrements audio par les entreprises

Nous l'avons déjà tous entendu en appelant un service client : « Cet appel peut être enregistré à des fins de formation et d'amélioration de la qualité du service. Si vous souhaitez ne pas être enregistré, veuillez appuyer sur la touche 1 ou le faire savoir à votre conseiller. » En France, l'archivage des conversations téléphoniques est légalement encadré par le RGPD, dont la bonne application dans l'Hexagone est supervisée par la CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

En premier lieu, avant un enregistrement, il est obligatoire de prévenir son interlocuteur, cela, pour respecter l'article 9 du Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. » La personne doit être informée de l'objectif de l'opération, des destinataires des écoutes ou des enregistrements (service de formation, service client, etc.), de son droit d'opposition, et enfin de son droit d'accès aux enregistrements. Par ailleurs, à moins d'une dérogation particulière, la durée de conservation des enregistrements téléphoniques ne doit pas excéder 6 mois.

Les enregistrements sont souvent mis en place dans les centres de support pour des raisons de formation © LightField Studios / Shutterstock

Le cas des enregistrements audio entre individus

Mais que se passe-t-il dans le cas d'iOS 18, lorsqu'il s'agit non pas d'une entreprise, mais d'un individu qui souhaite procéder à un enregistrement ? Interrogée par nos soins à ce sujet, Nacera Bekhat, cheffe du service des affaires économiques de la CNIL, explique :

Le cas d'un enregistrement entre particuliers n'est pas soumis au RGPD. C'est le cas de tous les traitements/fichiers qui sont mis en œuvre dans un contexte domestique (on parle alors d'exemption domestique, par exemple une personne utilise son carnet d'adresses privé pour inviter par e-mail des amis à une soirée qu'elle organise).

Dans ce cas de figure, l'enregistrement audio d'une personne est donc similaire à la photo, au numéro de téléphone et à l'adresse mail de cette même personne que l'on aurait stockés dans son téléphone. Cependant, tout n'est pas noir ou blanc. Le « contexte domestique » ou amical doit tout de même respecter un cadre légal. Nacera Bekhat ajoute en effet : « Toutefois, d'autres textes (article 9 du Code civil + article 226-1 du Code pénal) interdisent d'enregistrer une conversation privée sans le consentement de l'autre personne partie à la conversation. »

Le consentement reste impératif entre deux individus © MMD Creative / Shutterstock

Ici aussi donc, chaque individu doit avoir au préalable donné son accord pour cet enregistrement. C'est la raison pour laquelle, dans sa très brève présentation de la transcription des appels téléphoniques, Craig Federighi, vice-président de l'ingénierie logicielle chez Apple, précisait : « Le participant sera prévenu, donc personne ne sera pris par surprise. »

Si le consentement de l'interlocuteur n'est pas respecté, en France, la loi est particulièrement sévère. Le fameux article 226-1 du Code pénal dispose :

Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui :
1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé ;
3° En captant, enregistrant ou transmettant, par quelque moyen que ce soit, la localisation en temps réel ou en différé d'une personne sans le consentement de celle-ci.

Dans notre cas de figure, quelques questions restent toutefois en suspens. Si l'interlocuteur est bien mis au courant du fait que la discussion est enregistrée pour une transcription, nous ne savons par exemple pas si ce dernier sera en mesure de désactiver un tel dispositif pour un interlocuteur ou un appel en particulier, avec un simple bouton à l'écran, ou s'il devra nécessairement raccrocher pour refuser. Nous ignorons également l'usage qui sera réservé à ce contenu audio. Sera-t-il strictement utilisé pour synthétiser un échange téléphonique, procéder à une transcription, voire à une traduction ?

Avec un traitement en local, pas de RGPD

La porte-parole de la CNIL ajoute que l'exemption domestique n'est pas applicable aux fournisseurs de ces applications et fonctionnalités si ces derniers traitent les données. Si des sociétés comme Apple « ont accès aux enregistrements, les hébergent, les utilisent pour améliorer leurs services, entraînent une IA… Dans de telles hypothèses, le fournisseur d'application acquiert une responsabilité sur les traitements/fichiers et doit respecter le RGPD. »

Pour sa part, Apple assure que pour des raisons de vie privée et de sécurité, le traitement des algorithmes est confiné en local grâce au neural engine de ses derniers SoC. Puisqu'Apple ne traite pas les données, le stockage des conversations et leur transcription dans le smartphone sont donc indéfinis. En revanche, une synchronisation avec iCloud fera d'Apple un hébergeur pour ces enregistrements audio… On imagine alors que l'exemption domestique s'applique de la même manière que lorsque les contacts de votre carnet d'adresses sont synchronisés sur le cloud.

Cependant, même en local, on pourrait se demander si par la même occasion, ce fichier audio servira à alimenter cet index sémantique décrit par Craig Federighi. En théorie, il serait parfaitement possible pour Apple Intelligence de récupérer des informations au sujet d'un contact spécifique à la suite d'une discussion avec ce dernier pour enrichir son profil : son humeur du moment, ses problèmes, sa situation personnelle ou professionnelle…

L'index sémantique local d'Apple Intelligence © Apple

En cas de litige, un enregistrement audio est-il recevable devant un juge ?

Si vous êtes violemment menacé par téléphone ou détenez l'enregistrement d'une conversation prouvant par exemple une intention d'infraction pénale, ce dernier est-il recevable en justice ?

Selon le site Certea, spécialisé pour les commissaires de justice, plusieurs cas ont fait jurisprudence, et le tribunal a accepté comme preuve plusieurs types de contenus :

  • Des messages (SMS, e-mail, échanges sur des messageries comme WhatsApp ou Signal) ou publications sur les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook ;
  • Des messages vocaux laissés sur le répondeur de la personne ;
  • Des enregistrements d'une conversation téléphonique, à condition encore une fois que la personne apportant un enregistrement audio ou vidéo comme élément de preuve lors d'un procès « en mesure de prouver la connaissance et le consentement de cet enregistrement par la ou les autres personnes enregistrées ».

Toutefois, là non plus, rien n'est véritablement tranché, puisque selon un arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 2020, c'est au juge de décider si la preuve est recevable ou non au regard de l'affaire en cours. Même si l'enregistrement a été effectué à l'insu de l'interlocuteur, « l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble ».

En d'autres termes, s'il s'agit d'une affaire d'adultère assez banale, l'enregistrement n'aura probablement aucune valeur. En revanche, si l'audio joue un rôle majeur dans une affaire de meurtre, le juge pourrait prendre cette preuve en considération.