L'enregistrement des appels débarquera sur iOS 18, mais que dit la loi en France ?

Guillaume Belfiore
Par Guillaume Belfiore, Rédacteur en chef adjoint.
Publié le 19 juin 2024 à 19h27
L'enregistrement et la transcription des appels seront bientôt disponibles avec iOS 18, mais que dit la loi en France à propos de ça ? © MMD Creative / Shutterstock
L'enregistrement et la transcription des appels seront bientôt disponibles avec iOS 18, mais que dit la loi en France à propos de ça ? © MMD Creative / Shutterstock

Parmi les nombreuses fonctionnalités présentées par Apple lors de la conférence WWDC 2024 qui s'est tenue un peu plus tôt en ce mois de juin, Apple a rapidement décrit la possibilité prochaine avec iOS 18 d'enregistrer les appels téléphoniques pour obtenir une transcription de la conversation. Quels sont les enjeux en matière de vie privée pour les participants à un appel ?

Lorsqu'elle est utilisée à bon escient, l'intelligence artificielle peut s'avérer particulièrement pratique. Microsoft, Google et plus récemment Apple ont démontré des applications concrètes pour l'ensemble des utilisateurs de leurs systèmes d'exploitation. Parmi ces dernières, la firme de Cupertino a notamment souligné que les algorithmes de son Apple Intelligence étaient capables d'enregistrer en direct une conversation téléphonique, puis de la retranscrire sous la forme de texte.

Autant dire que pour un journaliste réalisant une interview téléphonique, cette fonctionnalité pourrait se révéler bien utile. D'ici à ce qu'une traduction automatisée soit réalisée dans sa langue natale, on imagine déjà pouvoir communiquer aisément avec n'importe qui à travers le monde, par exemple pour planifier un voyage.

Cependant pour appliquer une transcription ou une traduction, il faut au préalable que la conversation soit enregistrée. Or, cette notion est un peu sensible. Déjà, avons-nous envie que nos conversations soient enregistrées pour que n'importe qui puisse les analyser ? Parce que si dans un premier temps, quelques aficionados vont pouvoir en profiter sur leur iPhone dernier cri, la technologie sera bien évidemment amenée à se généraliser assez vite. D'ailleurs, nous retrouvons déjà à ce jour plusieurs applications dans l'App Store ou sur le Play Store pour procéder à ces enregistrements.

La très brève présentation de la fonctionnalité © Apple
La très brève présentation de la fonctionnalité © Apple

Le cas des enregistrements audio par les entreprises

Nous l'avons déjà tous entendu en appelant un service client : « Cet appel peut être enregistré à des fins de formation et d'amélioration de la qualité du service. Si vous souhaitez ne pas être enregistré, veuillez appuyer sur la touche 1 ou le faire savoir à votre conseiller. » En France, l'archivage des conversations téléphoniques est légalement encadré par le RGPD, dont la bonne application dans l'Hexagone est supervisée par la CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

En premier lieu, avant un enregistrement, il est obligatoire de prévenir son interlocuteur, cela, pour respecter l'article 9 du Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. » La personne doit être informée de l'objectif de l'opération, des destinataires des écoutes ou des enregistrements (service de formation, service client, etc.), de son droit d'opposition, et enfin de son droit d'accès aux enregistrements. Par ailleurs, à moins d'une dérogation particulière, la durée de conservation des enregistrements téléphoniques ne doit pas excéder 6 mois.

Les enregistrements sont souvent mis en place dans les centres de support pour des raisons de formation © LightField Studios / Shutterstock

Le cas des enregistrements audio entre individus

Mais que se passe-t-il dans le cas d'iOS 18, lorsqu'il s'agit non pas d'une entreprise, mais d'un individu qui souhaite procéder à un enregistrement ? Interrogée par nos soins à ce sujet, Nacera Bekhat, cheffe du service des affaires économiques de la CNIL, explique :

Le cas d'un enregistrement entre particuliers n'est pas soumis au RGPD. C'est le cas de tous les traitements/fichiers qui sont mis en œuvre dans un contexte domestique (on parle alors d'exemption domestique, par exemple une personne utilise son carnet d'adresses privé pour inviter par e-mail des amis à une soirée qu'elle organise).

Dans ce cas de figure, l'enregistrement audio d'une personne est donc similaire à la photo, au numéro de téléphone et à l'adresse mail de cette même personne que l'on aurait stockés dans son téléphone. Cependant, tout n'est pas noir ou blanc. Le « contexte domestique » ou amical doit tout de même respecter un cadre légal. Nacera Bekhat ajoute en effet : « Toutefois, d'autres textes (article 9 du Code civil + article 226-1 du Code pénal) interdisent d'enregistrer une conversation privée sans le consentement de l'autre personne partie à la conversation. »

Le consentement reste impératif entre deux individus © MMD Creative / Shutterstock

Ici aussi donc, chaque individu doit avoir au préalable donné son accord pour cet enregistrement. C'est la raison pour laquelle, dans sa très brève présentation de la transcription des appels téléphoniques, Craig Federighi, vice-président de l'ingénierie logicielle chez Apple, précisait : « Le participant sera prévenu, donc personne ne sera pris par surprise. »

Si le consentement de l'interlocuteur n'est pas respecté, en France, la loi est particulièrement sévère. Le fameux article 226-1 du Code pénal dispose :

Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui :
1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé ;
3° En captant, enregistrant ou transmettant, par quelque moyen que ce soit, la localisation en temps réel ou en différé d'une personne sans le consentement de celle-ci.

Dans notre cas de figure, quelques questions restent toutefois en suspens. Si l'interlocuteur est bien mis au courant du fait que la discussion est enregistrée pour une transcription, nous ne savons par exemple pas si ce dernier sera en mesure de désactiver un tel dispositif pour un interlocuteur ou un appel en particulier, avec un simple bouton à l'écran, ou s'il devra nécessairement raccrocher pour refuser. Nous ignorons également l'usage qui sera réservé à ce contenu audio. Sera-t-il strictement utilisé pour synthétiser un échange téléphonique, procéder à une transcription, voire à une traduction ?

Avec un traitement en local, pas de RGPD

La porte-parole de la CNIL ajoute que l'exemption domestique n'est pas applicable aux fournisseurs de ces applications et fonctionnalités si ces derniers traitent les données. Si des sociétés comme Apple « ont accès aux enregistrements, les hébergent, les utilisent pour améliorer leurs services, entraînent une IA… Dans de telles hypothèses, le fournisseur d'application acquiert une responsabilité sur les traitements/fichiers et doit respecter le RGPD. »

Pour sa part, Apple assure que pour des raisons de vie privée et de sécurité, le traitement des algorithmes est confiné en local grâce au neural engine de ses derniers SoC. Puisqu'Apple ne traite pas les données, le stockage des conversations et leur transcription dans le smartphone sont donc indéfinis. En revanche, une synchronisation avec iCloud fera d'Apple un hébergeur pour ces enregistrements audio… On imagine alors que l'exemption domestique s'applique de la même manière que lorsque les contacts de votre carnet d'adresses sont synchronisés sur le cloud.

Cependant, même en local, on pourrait se demander si par la même occasion, ce fichier audio servira à alimenter cet index sémantique décrit par Craig Federighi. En théorie, il serait parfaitement possible pour Apple Intelligence de récupérer des informations au sujet d'un contact spécifique à la suite d'une discussion avec ce dernier pour enrichir son profil : son humeur du moment, ses problèmes, sa situation personnelle ou professionnelle…

L'index sémantique local d'Apple Intelligence © Apple

En cas de litige, un enregistrement audio est-il recevable devant un juge ?

Si vous êtes violemment menacé par téléphone ou détenez l'enregistrement d'une conversation prouvant par exemple une intention d'infraction pénale, ce dernier est-il recevable en justice ?

Selon le site Certea, spécialisé pour les commissaires de justice, plusieurs cas ont fait jurisprudence, et le tribunal a accepté comme preuve plusieurs types de contenus :

  • Des messages (SMS, e-mail, échanges sur des messageries comme WhatsApp ou Signal) ou publications sur les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook ;
  • Des messages vocaux laissés sur le répondeur de la personne ;
  • Des enregistrements d'une conversation téléphonique, à condition encore une fois que la personne apportant un enregistrement audio ou vidéo comme élément de preuve lors d'un procès « en mesure de prouver la connaissance et le consentement de cet enregistrement par la ou les autres personnes enregistrées ».

Toutefois, là non plus, rien n'est véritablement tranché, puisque selon un arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 2020, c'est au juge de décider si la preuve est recevable ou non au regard de l'affaire en cours. Même si l'enregistrement a été effectué à l'insu de l'interlocuteur, « l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble ».

En d'autres termes, s'il s'agit d'une affaire d'adultère assez banale, l'enregistrement n'aura probablement aucune valeur. En revanche, si l'audio joue un rôle majeur dans une affaire de meurtre, le juge pourrait prendre cette preuve en considération.

Par Guillaume Belfiore
Rédacteur en chef adjoint

Je suis rédacteur en chef adjoint de Clubic, et plus précisément, je suis responsable du développement éditorial sur la partie Logiciels et Services Web.

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adolphet

De ce que j’ai compris ça sera possible que entre iPhone et l’autre personne au boût du fil sera notifié de l’enregistrement.

Afk

Je vais peut-être avoir un avis à contresens de pas mal de personnes mais je trouve ça ahurissant qu’on fasse des pieds et des mains pour incorporer un simple enregistreur d’appel téléphonique.

Quand on voit la quantité d’abus qui sont fait via des appels indésirables, ou quand on est confronté à une situation qui devrait relever de la justice (harcèlement entre autres), on a aucun moyen facile de pouvoir garder une preuve de ça.

Je comprends les craintes sur les enregistrements de la part de certains qui abuseraient de la fonction mais je ne suis pas sûr que la balance bénéfice/risque soit en faveur du blocage de cette possibilité.

Papy-55

En mettant le téléphone en position main libre on peut déjà enregistrer les appels en utilisant un dictaphone, inclure cette fonctionnalité dans les mobiles ne fera que simplifier les opérations.

Augusto

Alors en fait pour être en plein dedans au niveau pro les enregistrements, y compris à l’insu, en entretien… etc sont tout à fait recevables en justice. Sans aucun souci au civil (prud’hommes, commerce, social…etc) et par contre au pénal il y a une tendance qui dit « à défaut d’autre moyens de preuve ». Ceci étant dit, dans les cas de harcèlement (moral ou sexuel) la charge de la preuve est à l’auteur présumé donc in fine, la victime présumée ne doit que des éléments de faits. Evidemment, on est pas chez les bisounours, et les éléments de preuve sont bienvenus voire indispensables, et donc, enregistrements, y compris à l’insu, sans problème.
Même chose pour la preuve obtenue par des moyens détournés, déloyaux… etc, depuis fin 2023 ça passe. En clair tu fais un imprime écran d’un compte facebook qui ne t’appartient pas et sur lequel tu as des propos inappropriés ben… ça passe.
Donc les enregistrements des appels ben… Carrément oui. Ca calmera bien tout le monde. Et c’est bienvenu vu l’évolution des comportements. Particulièrement en entreprise.

gothax

Sinon sur android et mon lineageOS pendant l’appel je peux enregistrer la conversation d’un simple bouton du mode telephone…
D’ailleurs si je ne fais pas attention mon oreille parfois le declenche

Bon je pense que cest une grande revolution dans le monde apple ???

SATS

Il existe déjà des applis sur le playstore qui font ça très bien. J’ai installé Cube ACR qui fonctionne parfaitement.

Pierro787

J’ai plus simple et plus rapide pour en avoir discuté avec mon avocate il y a un mois.

Si l enregistrement est destiné à apporter une preuve dans une affaire pénale, il sera accepté par le tribunal. Même si l interlocuteur n a pas donné son accord. Pour les affaires civils, de JAF, de tribunal de commerce ou administratif, ce sera refusé.

Ça reprend ce que dit l article. Ça n est accepté que pour les affaires judiciaires les plus graves.

Pierro787

Oui, et sur tous les Xiaomi, il y a l app Xiaomi Dialer qui fonctionne aussi très bien.

Après, ça reste bridable très facilement. Suivant la législation de chaque pays, l appli sera simplement publiée ou rejetée des stores.

Pierro787

Mon avocate ne me dit pas ça et sincèrement, le gars ou la nana qui sort des enregistrements téléphoniques clandestins de son ex pour obtenir la garde des enfants devant le JAF, ça va plus le desservir qu autre chose.

Chaque preuve est appréciée par le juge et dans ce genre d affaire, les coups tordus ont plus de chances d être sanctionnés par les juges qu’utilisé.

Augusto

Un avocat n’est absolument pas un interlocuteur de confiance.