La péniche Alphenaar a effectué son voyage inaugural dans la journée d’hier, entre la ville d’Alphen-sur-le-Rhin et le port de Moerdijk, aux Pays-Bas. Sa particularité ? Disposer d’une propulsion électrique alimentée par des batteries amovibles placées dans des conteneurs facilement échangeables lors de chaque arrêt.
À terme, les concepteurs de l’Alphenaar souhaiteraient généraliser le transport fluvial électrique à tous les Pays-Bas et à une partie de l’Europe.
Alphenaar : le transporteur de bières à batteries amovibles
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le navire de transport fluvial Alphenaar est original. D’une part, il transporte principalement de la bière, puisqu’il est exploité par la compagnie de transport CCT pour le compte de son client Heineken. Avec plus de 70 000 conteneurs exportés chaque année à partir du port de Rotterdam, Heineken a bien compris l’intérêt de disposer de moyens de transports non polluants, qui auront également l’avantage de réduire ses coûts d’exploitation.
D’autre part, ce bateau à propulsion électrique, s’il n’est pas le premier du genre, présente la particularité d’être doté de batteries amovibles échangeables. L’Alphenaar a en effet été conçu par ZES (Zero Emission Services), une coentreprise regroupant la banque ING, le spécialiste de l’industrie maritime Wartsila, le port de Rotterdam et le spécialiste français de l’énergie ENGIE. Pour fonctionner, la péniche exploite des moteurs électriques conventionnels. Toutefois, ces derniers ne sont pas alimentés par de l’énergie stockée à l’intérieur de la coque, mais par de gigantesques batteries intégrées dans des conteneurs disposés sur le pont, à côté de la marchandise.
Chaque conteneur, appelé ZESpack, embarque 2 000 kWh d’énergie, ce qui permet à une barge de naviguer entre 2 et 4 heures selon sa configuration. Avec deux ZESpack, l’autonomie d’une péniche est alors de 60 à 120 kilomètres. Arrivée à destination, la péniche peut débarquer ses ZESpack déchargés et les remplacer par des batteries pleines, le tout en moins de 15 minutes. Et le « consommateur » ne paye que ce qu'il consomme, en plus du forfait de location des batteries ZESpack. De quoi réduire sérieusement le coût d'achat des péniches, qui n'intègrent pas les batteries, tout en permettant d'adapter facilement le système de propulsion aux prochaines générations de batteries.
Développer un réseau de « stations services » électriques
Ce modèle se prête particulièrement bien au trafic intense entre des usines et des ports situés à proximité. C’est d’ailleurs en ce sens qu’avait été développé le premier porte-conteneurs électrique en Norvège, afin de réaliser des navettes quotidiennes entre des sites industriels et des ports internationaux. Le système proposé par ZESpack a cependant le gros avantage de ne pas imposer de longs temps de charge, ce qui donne lieu à des rotations plus rapides. En contrepartie, cette solution nécessite de développer des infrastructures au sol, ce qui limite les possibilités de déplacement aux fleuves, rivières et canaux desservis par ZES.
En toute logique, le groupe industriel va donc chercher à valider cette première expérience avec l’Alphenaar d’Heineken et à développer son concept autour des autres sites industriels du groupe. Pour l’instant, la première ligne ne dépasse pas le port de Moerdijk, mais une implantation à Rotterdam est souhaitée à court terme afin d’ouvrir la voie à de nouveaux clients, et donc à une extension rapide de ce réseau qui se veut décarboné. L’objectif est de couvrir tout le territoire national et, si possible, de s’imposer comme un standard au niveau aérien, avec des ZESpack pouvant être adaptés aussi bien à l’emport de batteries que d’hydrogène.
Du greenwashing fluvial ?
ZES se veut ainsi très rassurant sur l’aspect non polluant de sa solution ZESpack. Non seulement les moteurs électriques n’émettent pas de particules, mais les conteneurs de batteries seront rechargés, dans les infrastructures portuaires, via de l’énergie 100 % renouvelable. Promis, juré. Mais, dans le même temps, ZES annonce que ces ZESpack, quand ils seront au sol, seront reliés au réseau électrique général, qu’ils contribueront à alimenter et à stabiliser lorsque cela est nécessaire. Dès lors, tout porte à croire que les ZESpack ne seront pas rechargés par leurs propres éoliennes et panneaux solaires, mais bien par le réseau général qui est lui-même alimenté par toutes sortes de centrales de production, vertes ou non.
Si les Pays-Bas sont connus pour leurs parcs éoliens et leurs grandes implantations photovoltaïques, la très grande majorité de l’électricité reste produite à partir d’énergies fossiles (76 % en 2019). Et, à quelques exceptions près, dont la France, c’est encore le cas dans une bonne partie de l’Europe. Dès lors, la proposition de ZES n’est-elle qu’une énième tentative de greenwashing ? Pas vraiment. Déjà car même si une partie de l’électricité des futures barges électriques provient d’énergies fossiles, les barges à moteurs thermiques consomment, elles, 100 % d’énergies fossiles. De plus, le réseau électrique néerlandais se décarbone lentement mais progressivement. Et des solutions telles que les ZESpack, qui mettraient aussi des années à se déployer massivement, pourraient soutenir cette croissance des énergies vertes.
En effet, le gros défaut du solaire et de l’éolien reste leur intermittence, avec une production nulle lors des nuits sans vent par exemple. La possibilité de pouvoir utiliser les ZESpack comme autant de mini-centrales capables d’alimenter ponctuellement le réseau et de compenser en partie cette intermittence est donc un argument marketing sérieux pour ZES, aussi bien auprès des clients finaux que des autorités néerlandaises. À voir si l’entreprise réussira à tirer son épingle du jeu au milieu de toutes les initiatives qui tentent d’aller dans ce sens.
Source : Electrek