Le dernier Goncourt en téléchargement libre ?
L'affaire, qui a déjà connu un important relais médiatique, prend sa source dans les emprunts qu'aurait effectué Michel Houellebecq au sein de l'encyclopédie Wikipedia pour alimenter certaines descriptions de son dernier roman, La carte et le territoire. Repérés par Vincent Glad, du site slate.fr, ces emprunts avaient été admis par l'auteur, qui n'y voyait pas matière à scandale, invoquant le réalisme littéraire et la pratique du palimpseste à la Perec.
Arrive alors, peu de temps avant la remise du prix Goncourt, Florent Gallaire, qui se présente comme titulaire d'un master en droit. En septembre, il met en ligne, par l'intermédiaire de son blog, une version PDF du roman de Houellebecq, après avoir publié une « analyse juridique » au terme de laquelle il estime démontrer que si Houellebecq s'est servi de contenus issus de Wikipedia sans en citer la provenance, son roman tout entier doit passer sous la licence Creative Commons BY-SA en vigueur sur le site. Il deviendrait en effet une oeuvre composite, tel que défini par le code de la propriété intellectuelle, au sein de laquelle s'applique le droit d'auteur, « sous réserve des droits de l'auteur de l'oeuvre préexistante ».
Creative Commons Vs droit d'auteur
Les pages du site Wikipedia - ici, la « création » - sont en effet protégées par une licence « Creative Commons paternité partage à l'identique », dite Creative Commons BY-SA (share alike). Celle-ci suppose que « si vous modifiez, transformez ou adaptez cette création, vous n'avez le droit de distribuer la création qui en résulte que sous un contrat identique à celui-ci ». Le raisonnement est donc le suivant : si Houellebecq utilise des contenus issus de Wikipedia, protégés par licence CC BY-SA, sa production passe à son tour sous licence identique... et si La carte et le territoire passe sous licence CC BY-SA, il devient en théorie possible et, surtout, légal, de le diffuser gratuitement en ligne, voire même de le modifier.
Le raisonnement est-il spécieux ? Adrienne Alix, présidente de Wikimédia France, émet quelques réserves. « L'usage que M. Houellebecq a fait des articles de Wikipédia n'est pas très clair, mais de là à décréter que tout le livre doit passer sous creative commons, il y a un pas », confie-t-elle à Rue89.
Flammarion, éditeur du roman, ne souscrit logiquement pas à son argumentation et entend bien faire valoir ses droits à l'encontre de ceux qui diffusent l'ouvrage gratuitement. « Nous allons entreprendre des démarches juridiques à l'encontre des intéressés, en commençant par une mise en demeure. Et si cela ne suffit pas, nous engagerons des actions », a ainsi déclaré Gilles Haéri, directeur général des éditions Flammarion, à l'AFP.
Au juge de trancher
« Les licences CC restent soumises au droit français, et chaque licence est d'ailleurs accompagnée d'un disclaimer qui vient relativiser sa portée », commente pour Clubic Régis Jacquin, juriste Affaire et TIC, co-auteur du blog BLIC. « A ma connaissance il n'y a eu aucune action entamée pour faire reconnaître le livre de Houellebecq comme une contrefaçon et décider des conséquences, notamment au regard de la position des auteurs initiaux qui ont laissé leurs travaux sous licence CC-BY-SA ». En attente d'une éventuelle décision de justice, « c'est à priori à l'auteur que revient le droit de choisir les modes de diffusion de son œuvre et non à des tiers, quoi qu'on puisse penser du comportement de Houellebecq », ajoute-t-il.
L'association Wikimedia, chargée d'assurer la promotion et le soutien de Wikipedia en France, partage cette vision des choses et prend d'ailleurs bien soin de se dissocier de la démarche de Florent Gallaire. « Ce sont les personnes qui pourraient s'estimer lésées par l'utilisation que M. Houellebecq a fait de leurs contributions qui peuvent se retourner contre lui et/ou son éditeur par le biais d'un recours en justice », indiquait-elle lundi. Pour l'instant, aucun des contributeurs ne semble s'être manifesté.