Live Japon : Monsieur Son, gourou de l'internet nippon

Karyn Poupée
Publié le 19 février 2011 à 12h27
Il a ses admirateurs inconditionnels, ses émules plus ou moins crédules et ses détracteurs fidèles, mais au pays du Soleil-levant il ne laisse pas grand monde indifférent, pas même l'ami mangaka JP Nishi. Aux jeunes Nippons désoeuvrés et en mal d'idées, il fait envie (lisez le manga). Son nom, Masayoshi Son, profession, créateur et PDG du groupe de télécommunications et services en ligne japonais Softbank, lequel prétend devenir la première entreprise mondiale de l'internet. Illusoire? Pas si sûr. Softbank a assurément des atouts en main, à commencer par la ruse et l'entregent de son gourou qui se voit aussi en mentor visionnaire d'une nouvelle génération de patrons nippons aux grandes ambitions.

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Masayoshi Son, d'origine coréenne, est un des PDG qui secouent actuellement le Japon, un empêcheur de tourner en rond, qui forcément dérange, mais qui tranche aussi comparé à la pâleur du monde politique. Mégalomane, il a évidemment un côté démagogique et un ego exacerbé, mais le fait est que ses initiatives tendent plutôt à réussir, même si elles suscitent parfois la risée, apparaissent souvent risquées voire sont perçues comme des missions impossibles. Ce rescapé de la bande de jeunes loups nippons qui ont sauté à pieds joints dans la toile au milieu des années 90 a bel et bien un "plan de vie" comme le caricature JP Nishi. Et M. Son s'y tient. Il n'est de facto pas peu fier d'avoir redressé Vodafone Japon alors qu'on lui annonçait la ruine, ou d'avoir prouvé que l'iPhone d'Apple, obtenu en exclusivité au Japon, rencontre finalement le succès que, lui seul ou presque, avait prédit (mea culpa).

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Se posant en prestataire à l'écoute de "la voix de ses souscripteurs", M. Son poste directement sur Twitter, à longueur de journées et de nuits, des messages en réponse aux interpellations d'abonnés. Et il n'hésite pas à enjoindre à ses troupes de réaliser ce que les clients demandent ou proposent, pour peu qu'il trouve l'idée judicieuse. Sa réponse fétiche dans ce cas: "yarimasho" (faisons-le). Et lorsque la mission est accomplie: "dekimashita" (nous l'avons fait).

Exemples de requêtes qui lui ont été adressées publiquement via Twitter:

- "Pouvez rendre le réseau cellulaire Softbank accessible dans le métro, entre deux stations et pas seulement sur les quais, à Tokyo, Osaka". Réponse: "yarimasho". Résultats: les travaux sont en cours.
- "Pouvez-vous permettre l'envoi gratuit des SMS vers l'Egypte (au moment des manifestations)". Réponse: "dekimashita".
- "Pourquoi ne pas rejoindre les réseaux Wi-Fi développés ici et là pour accélérer la couverture et faciliter l'accès sans engorger le réseau 3G": "yarimasho"
- "Pouvez-vous augmenter les capacités de couverture Wi-Fi pour le Comic Market (plus grand marché des mangas d'amateurs, qui a lieu deux fois par an sur le site d'exposition Tokyo Big Sight, avec la bagatelle de 500.000 participants)": "dekimashita"
- "Distribution gratuite d'adaptateurs de recharge iPad": "dekimashita"

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M. Son revendique ainsi plus de 90 demandes satisfaites ou en cours de réalisation. Sa stratégie d'entreprise autant que ses effets médiatiques marchent, ce qui se traduit dans les chiffres.

Exemple: entre avril et décembre 2010, Softbank a totalisé un chiffre d'affaires de 2250 milliards de yens (20,5 milliards d'euros), en progression de 10% comparé à celui de la même période de 2009, grâce aux nouveaux abonnés à ses services mobiles, attirés par des promotions alléchantes et le téléphone iPhone du groupe américain Apple que Softbank est le seul à proposer au Japon.

La sortie en mai 2010 de la tablette numérique iPad du même Apple a également contribué à l'augmentation du nombre de souscripteurs aux offres de Softbank, lequel n'hésite pas non plus à promouvoir des produits concurrents pour satisfaire tous les types de clients.

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Le bénéfice d'exploitation du groupe pour les neuf mois pris en compte s'est élevé de 32% au montant record de 482 milliards de yens (4,4 milliards d'euros), grâce aux performances de l'activité mobile (rachetée mal en point en 2006 au britannique Vodafone) et à la rentabilité accrue de divers services fixes, dont le portail Yahoo! Japan. Les activités mobiles de Softbank, vache à lait du groupe, ont généré à elles seules un chiffre d'affaires de 1460 milliards de yens (13,3 milliards d'euros), soit quelque 65% du total du groupe. Outre l'augmentation du nombre d'abonnés (+2,52 millions entre avril et décembre), la hausse de leur facture moyenne et les ventes plus importantes de téléphones portables (lors de la souscription ou au moment d'un renouvellement de contrat) ont élevé les revenus. Softbank fut le premier, et est peut-être encore le seul opérateur au monde, qui peut se targuer d'avoir des abonnés qui dépensent plus en échange de données qu'en communications vocales. La facture moyenne mensuelle de chaque client de Softbank est certes encore plus faible que celle des concurrents NTT Docomo et KDDI, mais elle progresse quand la leur régresse. La part correspondant aux communications vocales continue logiquement de baisser, tandis que celle liée aux données s'élève pour représenter désormais 54% du total du revenu mensuel moyen par client.

"Du temps de Vodafone, le nombre d'abonnés stagnait, voire régressait. Depuis que nous avons racheté, nous avons élevé de près de 10 millions le nombre de souscripteurs, pour le porter à 24,4 millions fin décembre", se félicite M. Son, rappelant en outre que les publicités télévisées de Softbank sont plébiscitées depuis quatre ans, primées "marque de l'année 2010" pour le quatrième millésime de suite, du jamais vu.

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L'ambition de Softbank ? Etre le premier groupe mondial de l'internet, grâce au poids croissant de l'accès à la toile via les smartphones et tablettes multimédias et à un porte-feuille de services dominants en Asie, première population mondiale d'internautes. "En 2015 au Japon, les tablettes seront aussi nombreuses que les ordinateurs fixes et portables regroupés", prédit notamment M. Son, ami et admirateur de Steve Jobs, fondateur charismatique et tête pensante d'Apple. Softbank se voit aussi en premier distributeur mondial de contenus internet en partenariat avec Vodafone, Verizon et China Mobile, avec au total plus d'un milliard de clients.

Au Japon (127 millions d'habitants, presque autant d'abonnés mobiles), Softbank vise, à une échéance non définie, un total de 40 millions de souscriptions, pariant notamment sur le fait que chaque individu utilisera plusieurs terminaux, à l'instar des salariés de son groupe. Tous les employés de Softbank, soit plus de 20 000, ont en effet reçu un iPhone et un iPad, ce qui in fine représenterait non pas une dépense, mais une notable économie compte tenu de la moindre utilisation de papier et d'une meilleure productivité. "Softbank est peut-être la seule entreprise au monde dont 100% des salariés sont ainsi équipés", se vante M. Son. Fin financier, il a fait les comptes: le gain est, selon lui, de 840 euros par mois par salarié (460 euros pour le temps gagné, 85 euros pour l'économie de papier et 295 euros pour la réduction des heures supplémentaires). "Nous entrons dans une ère où chaque foyer comptera plus de dix appareils nomades connectés à internet", assure M. Son.

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Désormais plus concentré sur ses activités mobiles et la distribution de contenus (plutôt que sur les tuyaux), Softbank a vu s'affaiblir ses services fixes, en raison de la régression des abonnements à internet par technique ADSL, en voie de forte régression au Japon. C'est pourtant grâce à cette première offensive qu'il s'était fait connaître au tout début des années 2000 en offrant gratuitement dans les rues de Tokyo des modems ADSL et plusieurs semaines d'utilisation gratuite, le tout pour capter rapidement une clientèle massive. Maintenant que M. Son mise davantage sur l'internet mobile, il plaide pour un partage des infrastructures et propose l'accès par fibre optique, via l'usage du réseau de NTT.

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Par ailleurs, pour mener sa conquête internationale, Softbank a investi ou s'est associé à un impressionnant ensemble de sociétés déjà bien implantées ou dans lesquelles M. Son voit un important potentiel: Yahoo! Japan (contrôlé par Softbank et numéro un au Japon devant Google), Ustream Asia (vidéo), MySpace (plate-forme communautaire), Zynga (jeux). Ces derniers temps, ses cibles favorites sont les firmes chinoises, le pays voisin étant le plus gros marché de l'internet et de la téléphonie mobile avec, qui plus est, une clientèle culturellement proche de celle du Japon. Softbank est ainsi allié (ou actionnaire) de nombreuses sociétés chinoises juteuses ou prometteuses dont Yahoo! China, le géant Alibaba et ses filiales (site marchand Taobao par exemple), Alipay, copie chinoise de Paypal, Nuomi, le Groupon de Chine affilié à Renren, équivalent chinois de Facebook, et bien d'autres encore.

La plus récente proie se nomme Synacast, opérateur de PPLive, un site chinois de diffusion en ligne simultanée de chaînes de télévision, portail "qui compte 100 millions de téléspectateurs actifs" avec une durée exceptionnelle d'audience. Objectif de M. Son: transformer PPLive en multinationale offrant toutes les grandes chaînes du monde, des milliers, rien que cela. Le même en profite pour critiquer vertement les chaînes de télévision nippones qui intentent des procès aux gérants de services qui rediffusent leurs émissions pour les Japonais expatriés. Selon M. Son, la Chine comptera 880 millions d'internautes en 2015, contre 120 millions au Japon, d'où l'intérêt de chasser sur les terres de l'Empire du milieu. Le groupe Softbank, qui prévoit d'investir près de 4 milliards d'euros cette année et rembourse sans souci les prêts colossaux contractés pour le rachat de Vodafone Japan affiche clairement une stratégie panasiatique, jugeant que le Japon est un modèle et que la croissance phénoménale de ses voisins est une formidable chance.

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M. Son se présente aussi en pygmalion. L'homme s'est donné pour mission de former son successeur, de mettre le pied à l'étrier à une nouvelle génération de dirigeants. Il a créé pour cela la Softbank Académie, une sorte d'université ouverte à 1.000 des 20.000 salariés du groupe, quarteron parmi lequel sera opérée une sélection finale de 100 têtes. Des personalités, reconnues pour leurs talents de meneurs d'équipe ou de gestionnaires, vont contribuer à la formation de ces postulants, M. Son prévenant néanmoins qu'il leur faudra des années avant d'avoir la stature nécessaire pour prendre sa place.

Lui-même donne des cours dans cette nouvelle institution interne. Sa deuxième prestation portait notamment sur la nécessité, la difficulté et la responsabilité des prises de décision importantes, avec 30 exemples concrets puisés dans les annales du groupe, se mettant là encore en scène façon gourou. Softbank n'est certes pas éminemment connue en Europe, mais si parmi les lecteurs d'aucuns ont des velléités de faire un bout de carrière en Asie, c'est assurément un nom à retenir, une entreprise à surveiller.

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