Live Japon: sans électricité, l'été sera chaud...

Karyn Poupée
Publié le 23 avril 2011 à 11h59
Quatorze réacteurs nucléaires alimentant la région de Tokyo stoppés par les séismes de Niigata en 2007 et du nord-est le mois dernier, la mégapole nippone est menacée par des coupures de courant de grande ampleur cet été. Déjà bouleversés par la disparition de 28 000 personnes, tuées ou emportées par le séisme et le tsunami du 11 mars, les Tokyoïtes sont en plus sommés de changer de mode de vie pour éviter d'être plongés dans le noir. Mais, à bien y réfléchir, la vie de famille et de bureau n'en sera pas nécessairement pire, peut-être même meilleure (lisez le manga de l'ami japonais surnommé Jean-Paul Nishi).

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Parce que la tragédie du mois dernier est la pire depuis la Deuxième guerre mondiale, qu'elle s'inscrit dans une période de morosité lancinante depuis le début des années 1990, qu'elle ruine le moral des Japonais, elle est peut-être le début d'un rebond.

Le gouvernement nippon s'apprête à publier des objectifs chiffrés d'économie d'électricité pour particuliers et entreprises, afin de faire face aux pics de consommation estivaux. Selon les calculs de la compagnie d'électricité Tokyo Electric Power (Tepco), exploitante de la centrale de Fukushima, en piteux état, si les foyers et organismes consomment comme d'habitude cet été, la demande pourrait excéder l'offre de 15 millions de kilowatts (kW).

Tepco espère accroître sa capacité de fourniture de 10 millions de kilowatts d'ici à l'été, mais il restera encore 5 millions à combler. « Pour cette raison, nous allons étudier des dispositions, y compris légalement restrictives, afin qu'aux heures où la demande est la plus forte, les particuliers et entreprises diminuent de 15 % à 25 % leur consommation », a précisé le ministère. Cette requête devrait cependant être amoindrie, puisque calculée à partir d'une capacité de production de 50 millions de kilowatts et non de 55 millions, niveau que Tepco espère désormais atteindre en remettant en service des centrales thermiques, installant des groupes électrogènes et exploitant d'autres ressources plus propres, dans la mesure du possible. Les modalités concrètes seront annoncées fin avril. Le gouvernement souhaite en tout cas que les sociétés et l'ensemble des citoyens adoptent des attitudes nouvelles pour atteindre les objectifs fixés. Il est souhaitable que les autorités fassent preuve de pédagogie pour expliquer aux citoyens comment y parvenir individuellement.

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Dans l'immédiat, l'impératif de moins recourir au courant entraîne déjà l'arrivée sur le marché de nouveaux appareils électroniques, électroménagers et informatiques moins voraces, ainsi qu'une accélération du renouvellement d'équipements actuellement trop énergivores. Cette tendance était déjà forte au Japon avant l'accident nucléaire, elle redouble. Il faut s'attendre aussi à une accélération d'implantation de systèmes solaires ou d'éoliennes.

Cette semaine les annonces de nouveaux produits avaient presque toutes un lien avec ce thème. Le groupe diversifié japonais Toshiba a par exemple présenté mercredi 20 des TV de salon et des PC capables de fonctionner sur batterie lors des pics de consommation électrique. « Dans la situation actuelle, nous devons proposer des produits qui permettent d'économiser de l'énergie », a expliqué un directeur de Toshiba, Masaaki Oosumi, lors d'une conférence de presse.

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« En appuyant sur un bouton spécial de la télécommande, on passe de l'alimentation sur secteur au fonctionnement sur batterie. Il est possible de regarder les programmes durant trois heures d'affilée dans ce mode autonome », a précisé M. Oosumi. « Depuis le séisme, les consommateurs japonais portent un intérêt encore plus marqué aux économies de courant », a-t-il souligné. Toshiba promet aussi de proposer à partir de juillet des nouvelles télévisions sans batterie mais plus économes en électricité, dans des proportions de plus de 40% à près de 50% par rapport aux modèles de 2008.

La même tendance est à l'oeuvre chez Sharp, Panasonic ou encore Sony (groupe dont les moyens de production au Japon ont d'ailleurs beaucoup souffert des conséquences du tremblement de terre, du raz-de-marée et de l'accident nucléaire). « A l'avenir aussi, nous allons continuer de faire en sorte que nos produits nécessitent moins d'énergie », a insisté M. Oosumi. Toshiba est un groupe très éclectique dont les activités vont de la production de puces électroniques aux réacteurs nucléaires en passant par les appareils audiovisuels et électroménagers grand public ou les trains. Toshiba est aussi un des fournisseurs d'équipements de la centrale nucléaire de Fukushima, et il a à ce titre une responsabilité particulière dans le règlement de cette crise sans précédent.

Son compatriote Fujitsu a aussi annoncé la commercialisation prochaine de PC destinés aux entreprises, modèles qui sont dotés de la même fonction dite « passage de pic », qui ne consomment rien éteints et très peu en veille, alors que ce type d'engins absorbent généralement de l'électricité quel que soit leur état tant qu'ils sont branchés.

La filiale nippone de Hewlett Packard propose pour sa part aux entreprises de nouveaux modèles de serveurs qui affichent un rendement énergétique plus élevé et dispersent moins de chaleur, ce qui signifie qu'ils nécessitent aussi moins de système de refroidissement.

Un accessoiriste, Green House, a sorti cette semaine aussi un nouveau chargeur universel de poche pour appareils nomades (mobiles, baladeurs, etc.) à panneau solaire, pourvu en sus d'une batterie et de LED, ce qui lui permet de faire aussi office de source d'alimentation, y compris la nuit, et de lampe de poche. Voilà le genre de produit également utile lors des séismes et qui trouve donc une double utilité face à la menace actuelle.

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Les fabricants de climatiseurs domestiques, l'un des équipements des foyers japonais les plus dévoreurs d'électricité, vont assurément présenter dans les toute prochaines semaines des modèles aux vertus écologiques renforcées et sans doute faire pression auprès du gouvernement pour qu'il réactive un dispositif de ristournes sur les appareils les plus économes. Un tel système, pour les climatiseurs, les réfrigérateurs et les téléviseurs, existait jusqu'à fin mars, dans le cadre des mesures de relance économique.

Les publicités des temples de l'électronique et de l'électroménager, tel Bic Camera, déjà enclins à jouer sur l'argument d'une consommation plus raisonnable d'énergie, accentuent leurs campagnes en ce sens. Le terme « setsuden » (usage modéré de courant) est désormais entonné à qui mieux mieux.

Dans les sites publics, les escaliers mécaniques sont arrêtés, une lumière sur deux est éteinte, les panneaux publicitaires ne sont plus éclairés, économies d'énergie obligent. Dans les galeries marchandes, les rideaux tirés sont plus nombreux que les vitrines illuminées. Shibuya, quartier bruyant, dévergondé et électrique, est plus sourd, sage et sombre. Idem pour Ginza, moins éclatant, ou Shinjuku, moins délirant. Les hauts-parleurs des vendeurs haranguant le passant sont en sourdine, les musiques moins stridentes et beaucoup d'écrans géants éteints, comme la plupart des vitrines aux heures nocturnes. « C'est presque trop, Shibuya ne se ressemble plus », déplorent certains.

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Précédemment toujours sur-éclairées, avec leurs devantures multicolores reconnaissables à plusieurs dizaines de mètres, les milliers de supérettes ouvertes 24 heures sur 24 n'allument plus qu'une partie de leurs plafonniers, laissent éteintes les enseignes bariolées. Elles se démènent pour donner l'exemple. Les Seven-Eleven de la région tokyoïte vont par exemple remplacer tous leurs éclairages par des modèles à diodes électroluminescentes (LED), plus économes, en un temps plus rapide que prévu. Les foyers aussi s'équipent de ce type de luminaire à une cadence accélérée. Le tout incite d'ailleurs les fabricants à mettre les bouchées doubles, voire à faire leur entrée sur ce marché juteux. Ricoh, connu pour ses appareils bureautiques, va ainsi lui aussi lancer une gamme de luminaires à LED, et les autres (Panasonic, Toshiba, NEC, Sharp) notablement élargir leurs gammes.

Même les automates de vente sont mis à contribution. Les groupes de boissons Coca-Cola Japon et Suntory ont décidé de ne pas réfrigérer cet été une partie de leurs distributeurs installés dans les rues et les lieux publics, répondant ainsi aux reproches du gouverneur de Tokyo, Shintaro Ishihara, qui juge ces machines trop gourmandes et inutiles.

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Parmi les initiatives de personnes influentes, citons celles du PDG du groupe japonais de télécommunications et services internet Softbank, Masayoshi Son.

Ce millionnaire de 53 ans a fait part mercredi d'un projet de création d'une organisation prônant l'utilisation d'énergies naturelles et la sortie du nucléaire, en réaction à l'accident de la centrale de Fukushima. On vous a déjà parlé ici de cet incroyable individu, qui, pour le coup, ne manque ni d'énergie, ni d'idées, ni d'arguments, ni d'argent.

M. Son va investir personnellement 1 milliard de yens (8,4 millions d'euros) dans la fondation de cet organisation qui regroupera des scientifiques, mènera des recherches et fera des propositions de mesures pour l'utilisation d'énergies propres renouvelables (solaire, éolienne, géothermique, etc.). Cet entrepreneur très écouté décrie tant et plus l'énergie nucléaire, « en réalité trop chère », la durée inadmissible d'utilisation des réacteurs (plus de 40 ans). Il rêve d'une ceinture de panneaux solaires pour alimenter Tokyo, d'éoliennes, déplorant que ces modes de production soient encore insuffisamment en place dans l'archipel.

M. Son, qui se dit très affecté par la catastrophe qui a dévasté le nord-est de l'archipel le 11 mars et a entraîné l'accident de Fukushima, avait déjà annoncé au début du mois qu'il allait donner 10 milliards de yens (84 millions d'euros) à titre personnel au profit des victimes du séisme et du tsunami. Masayoshi Son répartira cette somme entre la Croix-Rouge japonaise et d'autres organisations d'aide. « Si j'avais un pouvoir d'influence sur les décisions du gouvernement, je l'utiliserais », disait-il vendredi 22 au soir lors d'une conférence, trop modestement peut-être.
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