Après avoir expérimenté pendant des années (depuis 1999, avant tout le monde) l'accès à des sites internet mobiles avec des téléphones portables truffés de fonctions inédites en Europe, les Japonais adoptent désormais en masse les surnommés "smartphones" inspirés d'Occident. Ces derniers se différencient essentiellement des modèles nippons antérieurs par le fait que leurs logiciels et fonctions sont plus personnalisables, car reposant sur un système d'exploitation (OS), comme Android de Google, qui autorise et facilite le développement d'applications par des tiers. Les smartphones permettent en outre la consultation des sites internet initialement destinés aux ordinateurs. Les smartphones sont enfins en grande majorité des appareils à large écran tactile.
Bien qu'embrassant la vague mondiale des smatphones, les Japonais le font toutefois à leur façon, puisque la plupart des modèles qu'ils proposent sont différents de ceux commercialisés en Occident, car enrichis de fonctions purement nippones, sans quoi ils ne se vendraient pas autant, à l'exception de l'iPhone d'Apple.
Ces derniers jours, les deux plus importants opérateurs nippons, NTT Docomo et KDDI, ont présenté leurs collections d'été, lesquelles font de facto la part belle aux smartphones. NTT Docomo a ainsi dévoilé 24 nouveaux modèles, dont 9 smartphones sous Android, s'ajoutant aux 3 déjà existants dans sa gamme. KDDI en a ajouté six nouveaux à un éventail qui en comptait déjà à peu près autant. On considère que près de 20 millions de smartphones pourraient être vendus cette année au Japon, soit plus de la moitié du total des mobiles qui devraient trouver preneurs.
Un grand nombre des smartphones proposés au Japon sont conçus par les plus grands fabricants nippons du secteur : Sharp, Panasonic, le trio NEC-Hitachi-Casio, Toshiba, Fujitsu ou encore le bi-national Sony-Ericsson. On note aussi la présence de quelques modèles étrangers, fournis par les sud-coréens Samsung et LG ou le taïwanais HTC, mais ces appareils, bien que basés sur des modèles disponibles hors de l'archipel, sont modifiés pour intégrer les fonctionnalités réclamées par NTT Docomo et KDDI.
Si les opérateurs nippons mettent les bouchées doubles en augmentant l'éventail de smartphones dans leur catalogue, c'est qu'ils perçoivent bien la pertinence de la voie ouverte par Apple et quelques autres. Au départ, beaucoup, l'auteur de ces lignes comprise, pensaient que les Japonais auraient du mal à changer leurs habitudes pour abandonner les téléphones pliables avec pavé numérique réel au profit de modèles de type iPhone, à écran tactile et sans clavier. In fine, essentiel effet de mode aidant, outre les trentenaires, leurs cadets et aînés s'y mettent aussi. Si les Nippons n'ont pas attendu cette transition pour être des utilisateurs très actifs des services de données en ligne et de l'e-mail mobile, le fait est que le meilleur confort visuel offert par les smartphones et la grande facilité à les enrichir d'applications bon marché ou gratuites incitent encore davantage à l'usage. Du coup, les utilisateurs de smartphones souscrivent tous un forfait de données en volume illimité, une formule qui s'avère très lucrative pour les opérateurs et a le mérite de leur garantir des recettes de base stables.
Pour que le marché des smartphones décolle vraiment, il a toutefois fallu que les opérateurs nippons proposent des appareils qui cumulent les avantages des modèles traditionnels et ceux des smartphones. Il a donc fallu intégrer une puce sans contact Felica pour l'ensemble de fonctionnalités "osaifu keitai" (porte-monnaie électronique, passe de transports en commun, cartes de fidélité, etc.). Il a aussi fallu ajouter une puce de réception de la télévision numérique terrestre (One seg). Cela n'était en outre pas encore suffisant pour un grand nombre d'habitués aux sites internet spécifiquement créés pour les mobiles, à savoir les fameux services i-mode de NTT Docomo. Désormais, dans la gamme de smartphones de ce dernier se trouvent des produits hybrides. Ces derniers, qu'on ne verra sans doute pas à l'étranger, vont faciliter la transition et faire passer le marché des smartphones devant celui des "keitai".
D'autres particularités techniques (écran et prises de vues 3D, pavé alphanumérique en plus de l'écran tactile, écran haptique = à retour de force ) et spécificités fonctionnelles ou esthétiques vont assurément pousser les Japonais à renouveler leur portables.
Pour terminer, citons deux produits qui font jaser:
Le modèle Aquos Phone f de Sharp chez Docomo Il s'agit du modèle évoqué plus haut qui est le premier smartphone capable de se recharger en le posant simplement sur un tapis dédié. Ce dernier est lui-même connecté à une prise de courant ou doté d'une batterie qui transmet sa charge à celle du mobile par induction électromagnétique.
Sharp a adopté la technologie sans branchement de son compatriote Sanyo (groupe Panasonic) spécialiste des batteries. Il s'agit de la même technique que celle qui est utilisée pour recharger des télécommandes de console de jeu Wii de Nintendo. A première vue, on pourrait penser que cela est certes pratique mais somme-toute assez gadget. Il est vrai qu'il n'est pas si compliqué de brancher son téléphone à un adaptateur. Mais ce raisonnement de bon sens tombe sous les arguments de NTT Docomo qui voit beaucoup plus loin. NTT Docomo imagine l'intégration de tapis de recharge dans les tables de cafés, les accoudoirs de fauteuils de train, d'avion ou de salles de spectacle, les bureaux, les tableaux de bord de voiture, et d'autres meubles ou équipements de lieux divers où l'on se rend fréquemment et où l'on reste un certain temps. Déjà, la chaîne de cafés Pronto et des cinémas japonais vont commencer à installer ce type de tapis de recharge. Si la technique de Sanyo devient un standard (ce qui est probable au Japon), il sera peut-être un jour possible de recharger son mobile tous les jours sans même le faire chez soi.
Appuyer sur le levier technique est assurément un moyen d'inciter les Japonais à changer de mobile, mais l'aspect esthétique ou ergonomique est tout autant sinon plus efficace. KDDI l'a bien compris, qui a ainsi imaginé avec Casio un smartphone dont l'esthétique rappelle celle de ses populaires montres étanches et résistantes G-Shock. Casio exploite d'ailleurs aussi ce même filon pour ses appareils photo numériques, avec un certain succès.
Mais le modèle de la gamme de KDDI qui risque le plus de faire parler de lui est le smartphone Infobar A01 sous Android. Il s'agit d'une nouvelle variante, sous forme de smartphone, d'une lignée de "keitai" qui avaient déchaîné la chronique il y a quelques années (en 2001, 2003 et 2007) et ont représenté le nec plus ultra de la branchitude tokyoïte. En habillant, tant sur le plan matériel que logiciel, un smartphone en Infobar, KDDI va assurément faire un carton. A côté, le nouvel iPhone blanc d'Apple, que commercialise en exclusivité Softbank, fait un peu pâle figure.