Live Japon : iPhone, Android... ruée sur les "sumaho"

Karyn Poupée
Publié le 22 octobre 2011 à 10h51
Il se produit au Japon actuellement un des "booms" commerciaux dont les Nippons ont le secret, y compris en période de crise. Après une phase d'amorçage plus ou moins longue qui démarre avec les otaku (monomaniaques) et avant-gardistes, le peuple entier semble soudain se précipiter sur le même article ou la même pratique à une vitesse sidérante. Ces derniers temps, comme le montre le mangaka japonais Taku Nishimura (alias Jean-Paul Nishi), ils ont jeté leur dévolu sur les smartphones, poussés il est vrai par des opérateurs qui se livrent une guerre infernale sur les appareils, tarifs et services associés. N'en jetez plus!

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Désormais, au Japon, on ne dit plus "smartphone", le mot sonne trop étranger, est trop long et trop dur à prononcer. Tous les médias nippons et les particuliers emploient à présent le néologisme "sumaho" (écrit en syllabaire katakana), lequel vient supplanter le terme "garake"(Galapagos keitai denwa), précédemment usité pour désigner les téléphones portables typiquement japonais et quasi invendables ailleurs du fait de fonctions et particularités techniques inutiles dans les autres pays.

La nouvelle popularité des "sumaho" se voit dans les trains et dans les rues, surtout lorsqu'un nouveau modèle est lancé. Les fans japonais de la marque Apple ont ainsi été les premiers au monde, avec les Australiens, vendredi 14 octobre, à prendre possession du dernier modèle de mobile iPhone mis en vente par le géant de l'informatique américain, quelques jours après le décès de son mythique fondateur Steve Jobs. Dans une ambiance bon enfant, des milliers de personnes s'étaient massées aux portes des magasins. Devant l'Apple Store du quartier de Ginza à Tokyo, le naviral amiral de Softbank à Omotesando, ou l'immeuble Design Center de son rival KDDI à Harajuku, des hommes de 20 à 40 ans et quelques demoiselles ont fait le planton durant des heures et même des jours sur le trottoir pour être les premiers servis.

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"Je n'ai jamais fait la queue de ma vie pour acheter quelque chose. Mais je me suis senti obligé cette fois-ci parce que Steve Jobs est décédé et que ce téléphone sera sa création posthume", asuurait Ryosuke Ishinabe, 24 ans, qui a campé trois jours et trois nuits devant le magasin Apple où ont été déposés des monceaux de pommes et de fleurs. Dans le quartier huppé d'Omotesando, plusieurs centaines de personnes faisaient la queue à 7h30 du matin devant le magasin Softbank, situé sur les "Champs Elysées" de Tokyo. "Je suis très impatient et impressionné qu'il y ait autant de monde et de journalistes", a commenté un jeune homme en tête de la longue file d'attente.

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Le populaire PDG de Softbank, Masyoshi Son, a accueilli avec un immense sourire les premiers acheteurs. Et pour cause: l'iPhone, bien que dépourvu de nombre d'atouts présents sur les téléphones portables japonais, fait sa fortune depuis deux à trois ans. "Cet iPhones 4S n'est pas un produit, c'est une oeuvre", s'est exclamé M. Son en saluant la mémoire de Steve Jobs avec lequel il entrenait des relations tant amicales que professionnelles.

"Je suis très heureux que nous puissions offrir l'iPhone et proposer ainsi aux clients un environnement dans lequel ils ont le choix", a rétorqué le patron de KDDI, Takashi Tanaka, ravi d'avoir brisé le monopole de facto dont jouissait jusqu'à présent Softbank sur la gamme iPhone.

"Je ne suis pas quelqu'un qui déteste les défis, au contraire", a répondu du tac au tac M. Son, interrogé sur cette nouvelle concurrence, qui va se jouer sur les prix et la qualité de service. Et le même d'affirmer que Softbank est l'opérateur qui, dans le monde, propose l'iPhone "au plus bas tarif", afin de faire croître l'usage des "sumaho". Dans les faits, les clients ne déboursent pas un yen au moment où ils souscrivent et le prix de l'appareil leur est facturé chaque mois en plus de l'abonnement. Mais même dans ce cas le modèle de base est gratuit (mensualité égale à zéro), et le plus haut de gamme ne coûte qu'environ 200 euros en tout au bout de deux ans. Le tarif mensuel du forfait associé voix + données s'élève pour sa part à 5.705 yens (environ 55 euros). Chez KDDI, l'appareil coûtera in fine a peu près le même prix que chez le rival, mais l'abonnement sera un peu plus cher.

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La première manche fut toutefois peut-être remportée le 14 octobre par KDDI, le système informatique de Softbank ayant été victime de dysfonctionnements dès les premières heures de la matinée, un incident qui a encore allongé le temps d'attente des clients. M. Son, qui est un utilisateur plus qu'assidu de Twitter, n'a pas arrêté durant toute la journée de répondre aux questions de clients qui se faisaient refouler des boutiques Softbank du pays par des préposés prétendant que le système était en rideau pour la journée au moins, ce qui, aux dires de M. Son, était inexact. Le demande a été telle cependant, que des personnes continuaient de faire la queue le lendemain et le jour suivant. Les plus malins (ou les moins masochistes), eux, avaient gentiment réservé leur exemplaire dans les grandes surfaces d'électronique comme Bic Camera, au lieu de le faire dans les magasins les plus fréquentés des opérateurs. Ils ont ainsi pu le récupérer en beaucoup moins de temps. En banlieue, en début de semaine, devant les enseignes Bic Camera et Softbank, des panneaux ostentatoires affichaient "iPhone 4S en stock".

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La première variante d'iPhone commercialisée dans l'archipel (qui était la deuxième d'Apple) n'avait pas d'emblée séduit les Nippons (en raison d'une batterie des plus faibles et de maints autres soucis), mais les suivantes ont acquis une grande popularité qui a permis à Softbank de gagner de nombreux nouveaux abonnés pour en totaliser 27 millions, au détriment de KDDI (33,7 millions), qui a traversé un trou d'air lors des premiers mois de transition vers les smartphones. Depuis, la plupart des fabricants de mobiles nippons (Sharp, NEC, Fujitsu, etc.) ont réagi et proposent des appareils rivaux de l'iPhone enrichis de fonctionnalités dont raffolent les Japonais, comme l'alerte anticipée pour les séismes, la réception directe de la télévision hertzienne (One Seg) ou les fonctions de billets de transport et porte-monnaie électroniques. Il n'empêche, l'iPhone continue de faire la course en tête et KDDI est bien content de l'avoir désormais dans sa gamme, même si Softbank argue que son réseau, basé sur la nomre WCDMA HSDPA/HSUPA offre des meilleurs débits que celui de KDDI (CDMA 1x EVDO), en théorie du moins, car la couverture du premier est moins bonne que celle du second.

Le troisième acteur en lice, et numéro un du secteur au Japon, NTT Docomo (59 millions d'abonnés), lui, est encore forcé de jouer sans ce produit vedette, dont il reconnaît les effets. Il a vu partir deux fois et demi plus de clients dans la période de lancement de l'iPhones 4S qu'habituellement, les souscripteurs profitant du système de mobilité qui autorise depuis plusieurs années à changer d'opérateur en conservant le même numéro d'appel.

Face à ce défi, NTT Docomo, qui était sur les rangs pour décrocher la vente de l'iPhone au départ, mais s'est fait couper l'herbe sous le pied par Softbank, pourrait profiter de la brèche ouverte par KDDI pour recommencer à négocier avec Apple. En attendant il a déjà réagi, pas plus tard que mardi dernier. Le pionnier du secteur a présenté à la presse et au gratin du milieu high-tech sa collection hiver-printemps de téléphones portables, axant sa stratégie sur les "smartphones" et une nouvelle gamme de services dédiés.

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L'éclaireur de l'internet mobile, qui avait lancé en 1999 le concept i-mode, a aligné 14 nouveaux modèles de smartphones à écran tactile spécialement conçus ou modifiés pour lui par les fabricants japonais NEC, Sharp, Fujitsu, Panasonic, Toshiba, ou les sud-coréens Samsung Electronics et LG Electronics. Visant tous les publics, Docomo s'est autorisé quelques fantaisies, avec par exemple des appareils rose-bobon pour collégiennes (créés avec un magazine féminin pour nymphettes), ou ressemblant à une tablette de chocolat (conçus en collaboration avec un pâtissier).

Les nouveaux modèles de "sumaho" proposés par NTT Docomo sont basés sur le système d'exploitation (OS) Android du groupe américain Google. Parmi ces appareils, quatre sont compatibles avec son réseau Xi (prononcer cross i) reposant sur la technologie LTE (Long Term Evolition), proche de la 4e génération de réseau cellulaire et offrant de meilleurs débits d'échange de données, un facteur important pour profiter pleinement des contenus multimédias en ligne. Rappelons que les trois principaux opérateurs nippons ont fermé déjà depuis des mois leur réseau de deuxième génération équivalent du GSM européens. Tous les souscripteurs utilisent des appareils de 3e génération.

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Afin de faire migrer vers les offres associées aux smartphones ses clients habitués aux services i-mode (sorte de sites internet spécifiques pour les mobiles de Docomo, payants ou gratuits en sus d'un forfait de base de 2 à 3 euros pour l'ensemble), l'opérateur a créé un portail spécial pour "sumaho". Cet espace reprend les menus i-mode et donne un accès simplifié à offres de tiers et à des boutiques de contenus (musiques, vidéos, livres).

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L'opérateur a aussi ouvert un magasin en ligne (dmarket) présentant un ensemble d'applications à télécharger, mieux sélectionnées et classées qu'elles ne le sont habituellement, répondant ainsi aux exigences de qualité des clients japonais. Les Nippons sont en effet du genre à raler si on les oblige à faire leurs emplettes dans une boutique où les produits sont certes bon marché mais où il faut se débattre dans un foutoir infernal avant de trouver ce qu'on veut, et encore. Docomo fait Uniqlo, il sélectionne, trie, range et emballe tout proprement, sans nécessairement que ce soit hors de prix. Quelque 700 entreprises vont initialement accompagner Docomo dans cette démarche "qui est un nouveau défi pour le groupe et constitue un important changement dans la façon d'utiliser les smartphone", a expliqué le patron du groupe, Ryuji Yamada, lors d'une conférence de presse.

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NTT Docomo, qui proposera aussi au Japon le Galaxy Nexus de Samsung, pense vendre plus de 6 millions de smartphones durant l'année budgétaire en cours (avril 2011 à mars 2012). Il met l'accent sur ce type d'appareils qui représentent désormais la moitié des ventes de mobiles au Japon. L'intégration de fonctions propres aux normes et usages au Japon risque cependant de les transformer en "garasuma" (Galapagos smartphone), trop japonais pour s'exporter.

Par ailleurs, face à cette envolée des ventes, les autorités nippones commencent en outre à s'inquiéter des risques de propagation non maîtrisable de virus, au point que la chaîne de télévision publique NHK en fait sa une aux heures de grande écoute, durant le JT de 19 heures. Alors que 130 specimens de virus ont été détectés au Japon, infectant les smartphone sous Android, le gouvernement a réuni un groupe d'experts qui va plancher pour édicter un ensemble de recommandations afin d'éviter une catastrophe high-tech. Des barrières antivirus sont, dit-on, déjà en place chez Softbank et NTT Docomo, et bientôt chez KDDI. A noter qu'aucun virus visant le système iOS des iPhone n'a encore été décelé au Japon.

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