Des milliers de postes seront supprimés dans le monde - dont 3.500 au Japon. La restructuration qui s'annonce sera douloureuse, mais la direction du groupe estime ne pas avoir d'autre choix pour en finir avec les déficits massifs pour recouvrer une profitabilité durable.
"Nous visons en gros une réduction de 10% de notre main-d'oeuvre mondiale", a précisé Kozo Takahashi, le patron de Sharp qui compte au total près de 50 000 salariés.
"Nous sommes désolés", s'est-il excusé auprès des actionnaires qui n'ont guère été surpris par le bilan désastreux présenté, puisqu'il avait (comme d'habitude) largement été éventé dans la presse nippone (laquelle bénéficie en général de fuites bien orchestrées pouvant servir de ballon d'essai avant la prise de décisions définitives).
Si M. Takahashi, qui dirige Sharp depuis mi-2013, était tout fier l'an passé d'afficher un bénéfice net, après deux années noires, il était cette fois tout penaud devant les centaines de journalistes sur les dents qui se sont rués à sa conférence de presse. Elle a par moment failli virer au procès, si ce n'est à la toute fin en pugilat quand la meute de cameramen et reporters se sont rués sur lui.
Sharp a déploré une perte nette de 222 milliards de yens (1,7 milliard d'euros) pour l'année comptable 2014/15 close en mars et s'est abstenu de donner une estimation de résultat net pour 2015/16. Il a dû se résoudre à fermer des lignes de production de dalles LCD et panneaux solaires, et a donc été obligé d'enregistrer des dépréciations d'actifs au Japon comme à l'étranger. Il avait déjà affiché un résultat net négatif de 376 milliards en 2011/12 et de 545 milliards l'année suivante.
Face à une situation qui virerait à la faillite si les banques n'avaient pas été sollicitées (peut-être sous la pression du gouvernement) pour venir à la rescousse du groupe. Sharp va recevoir 100 milliards de yens (environ 750 millions d'euros) de chacune des mégabanques Mitsubishi Tokyo UFJ et Mizuho via l'émission d'actions préférentielles, et 25 milliards de la part d'un fonds, afin de rembourser des dettes. Ce procédé lui a immédiatement valu une nouvelle sanction de l'agence de notation financière Standard & Poor's qui considère que Sharp est désormais à la limite de la cession de paiement. S&P menace même de le classer en "défaut sélectif" (insolvable) si les actionnaires approuvent l'apport des banques selon une méthode assimilée à un échange de créances contre des actifs lors de leur assemblée générale dans les prochaines semaines.
Sharp a aussi songé un temps à réduire de 99% son capital pour passer à un million de yens ou moins afin de revenir dans la catégorie PME et de bénéficier des avantages fiscaux allant de pair avec ce statut. L'idée a finalement été abandonnée après des commentaires peu enthouisastes du minitre de l'Industrie (lequel ne s'est probablement jamais vraiment intéressé à Sharp mais a bien été obligé de faire semblant quand les journalistes l'ont interrogé à ce propos).
Reste que Sharp a quand même décidé de réduire substantiellement son capital afin de "rapidement améliorer la position financière et de préparer une politique capitalistique plus dynamique et flexible", a expliqué la direction.
Par ailleurs, le groupe va remodeler sa structure. Les principales activités vont être placées dans cinq sociétés séparées (électronique grand public, énergie, solutions d'entreprises, composants et enfin écrans LCD). L'objectif est de donner plus de transparence à la gestion des différentes divisions et de faciliter les éventuels partenariats assortis de prises de participations avec des firmes tierces, par exemple Hon Hai (Foxconn) dans le domaine des LCD (une option à l'étude du côté du groupe taïwanais connu pour assembler les produits Apple).Sharp entend bien en effet, mais ce ne sera pas facile, cultiver ce qui a fait sa force depuis des décennies: les avancées dans le domaine des LCD, notamment pour les mobiles. Ce fournisseur d'écrans pour les iPhone veut capter "une clientèle stable grâce à des technologies supérieures".
Parallèlement, Sharp va en finir avec les TV et produits électroniques en Europe, abandonner les téléviseurs aux Etats-Unis où sera examinée la possibilité d'une alliance, afin de "concentrer ses ressources sur le Japon et le reste de l'Asie", a indiqué M. Takahashi.
La firme, qui au début du 20e siècle produisait des crayons bien taillés (sharp) et boucles de ceinturons, va néanmoins continuer à offrir des solutions professionnelles en dehors de l'Asie, notamment dans le domaine de la gestion de l'énergie (panneaux solaires, batteries, etc.), ainsi que des composants (caméras de smartphones, capteurs divers).
Sharp, qui procure aussi des écrans de smartphone au sud-coréen Samsung (un de ses actionnaires), a récemment été fragilisé par la concurrence, ainsi que par les mouvements défavorables des monnaies sur la production délocalisée d'appareils électroménagers destinés au marché japonais. Le yen fort en 2009 est devenu faible en 2014, et l'avantage financier de fabriquer hors de l'archipel s'est transformé en inconvénient.
Si la maison Sharp se montre cependant confiante quant à sa capacité à redevenir une entreprise rentable, les donneurs d'ordre à la Bourse de Tokyo paraissent en revanche beaucoup plus sceptiques. Il faut dire qu'ils ont été pour le moins échaudés par des précédents pas si lointains. Beaucoup considèrent que Sharp a commis des erreurs stratégiques au cours de la dernière décennie, notamment à cause d'une véritable fuite en avant dans les investissements en moyens phénoménaux de production pour les dalles LCD. Les changements conjoncturels ont rendu illusoire la vision idyllique que les dirigeants d'alors avaient. Résultat, plusieurs patrons se sont épuisés depuis à tenter de redresser la barre, en vain jusqu'à présent. L'actuel, Kozo Takahashi, ne s'avoue pas vaincu par l'échec de l'an passé: il est prêt à mener à son terme le plan d'objectif triennal 2015-2018 qu'il a présenté cette semaine. La mansuétude n'étant pas forcément la valeur la mieux répandue au Japon, rien ne dit qu'il y parviendra.