Le télécopieur n'est donc pas mort au Japon, pays qui n'a pas connu l'ère du Minitel. Il vit même plutôt bien, grâce aux seniors mais pas seulement. Les travailleurs indépendants et les entreprises équipées d'imprimantes/copieurs multifonctionnels sont aussi des consommateurs de ce type de produits que l'on juge carrément obsolètes en Europe et aux Etats-Unis.
Le télécopieur est depuis des décennies un des appareils indispensables de tout foyer japonais, comme la télévision ou l'aspirateur. Le rayon des fax domestiques existe toujours dans les hypermarchés de l'électronique. Dans un Yodobashi Camera de Kawasaki, une des villes de banlieue de Tokyo les plus en pointe dans la promotion des techniques avant-gardistes, une bonne quinzaine de modèles récents sont encore proposés et même mis en avant quasiment à l'entrée du magasin.
Du côté des particuliers, avant l'arrivée d'internet et des e-mails, le fax servait de moyen de correspondance instantanée entre membres distants d'une même famille et entre amis, permettant d'accompagner les messages écrits de dessins par exemple.
C'est avec le fax aussi que l'on passait des commandes par correspondance et effectuait d'autres démarches en tout genre. Grâce au fax, un formulaire peut aisément être rempli à la main et retourné à un organisme avec la signature (ou le cachet personnel).
Et dans une certaine mesure ces pratiques perdurent.
Aujourd'hui encore, des émissions de télévision sollicitent les réactions des téléspectateurs par fax et ont ainsi une batterie de machines de réception de ces contributions écrites.
Encore près de 1,5 million de télécopieurs/téléphones pour particuliers ont été écoulés dans l'archipel en 2013 et 1,2 million en 2014. Un total de 1,1 million est prévu en 2015, selon l'association des industriels des l'information, des communications et des réseaux.
Même ceux qui n'ont pas acheté de nouveau fax récemmment en ont quand même un qui reste branché à la maison, couplé avec le téléphone fixe.
"L'usage des fax se réduit compte tenu de l'adoption massive des ordinateurs et smartphones, mais les plus de 60 ans qui ne sont pas familiers de ces nouveaux outils préfèrent le télécopieur", explique Miyuki Nakayama, porte-parole de Sharp, un des fabricants de ces produits aux côtés de ses compatriotes Panasonic ou Brother.
Les fonctionnalités des fax continuent d'être améliorées: on peut voir le fax sur l'écran couleur sans être obligé de l'imprimer, les récents modèles filtrent désormais les fax frauduleux d'escrocs (une pratique un peu similaire au phishing), ils guident vocalement l'utilisateur, ils permettent d'enregistrer une conversation téléphonique, restent un temps fonctionnels même en cas de coupure de courant (une caractéristique bien utile lors des catastrophes naturelles) et font même pour certains office de terminal de vidéophone de porte d'entrée.
Du fait de ces multiples capacités, "la demande continue d'être forte de la part du public âgé et cela va encore durer un certain temps", précise Mme Nakayama. Plus d'un quart de la population japonaise a plus de 65 ans même les plus jeunes de cette tranche sont encore très pro-fax. Ils peuvent vivre encore 20 ou 30 ans pour la plupart et ce n'est pas certain qu'ils abandonneront entre-temps leur outil favori.
Les seniors nippons ne sont pas les seuls à louer les avantages du fax pour des questions pratiques.
Exemple: les dessinateurs de manga. Après avoir réalisé l'esquisse des pages à paraître dans un mensuel ou hebdomadaire, il leur est plus facile d'échanger ces brouillons par fax avec leur éditeur jusqu'à tomber d'accord sur le scénario pour passer ensuite à la phase de réalisation des planches. Ils pourraient certes scanner ces synopsis/esquisses puis expédier par e-mail, mais ce serait plus long et fastidieux. Et c'est la même chose pour plusieurs autres artisans.
Dans les entreprises et administrations aussi le fax fait parfois de la résistance, par habitude ou parce qu'il est plus simple dans certaines circonstances ou considéré comme plus sûr.
Cette semaine encore, une éditrice à qui l'auteur de ces lignes avait envoyé un e-mail pour solliciter une interview avec un auteur d'essai a prétendu n'avoir jamais reçu le courriel en question et demandé qu'il lui soit renvoyé... par fax !
Une partie des informations relatives au tsunami et à l'accident de Fukushima en 2011 a ainsi été transmise par fax entre l'administration centrale, Tepco et les collectivités locales. Il faut dire que l'accès aux e-mails et aux réseaux mobiles était devenu impossible en de nombreux endroits, mais que le réseau de téléphonie fixe, lui, marchait. Les cabines téléphoniques ont de la même façon été salvatrices.
Qui plus est, lors de catastrophes naturelles (assez fréquentes au Japon), les personnes chargées d'organiser les secours n'ont pas nécessairement des ordinateurs fonctionnels sous la main. L'avantage du fax est qu'on peut transmettre facilement des documents manuscrits depuis n'importe quel endroit disposant d'un accès téléphonique et d'une prise électrique.
Du côté des grandes entreprises, l'ampleur de l'usage du fax est désormais difficile à évaluer, mais il n'est pas rare que des interlocuteurs demandent de retourner des documents de cette façon. Cette fonction de télécopie est en tout cas toujours intégrée dans tous les copieurs/imprimantes multifonctionnels dont se dotent les moyennes et grosses sociétés. Le marché nippon de ces appareils coûteux fabriqués par Canon, Brother, Sharp, Konica Minolta, Kyocera, Fuji Xerox ou encore Ricoh est évalué à 730.000 unités en 2014.