L'avenir de la presse est transfrontalier et multimédia, a justifié le Nikkei.
Le surnommé FT, plus que centenaire, peut se targuer d'avoir réussi sa transition sur internet, avec un lectorat en ligne de plus de 500 000 personnes qui représente 70% de son total de fidèles.
Le quotidien Nikkei, lui, comprend deux éditions papier en japonais par jour, une le matin (y compris le dimanche et les jours fériés) tirée à 2,7 millions d'exemplaires et une autre différente et plus légère l'après-midi imprimée à 1,4 million d'exemplaires. La version en ligne compte 430.000 abonnés payants et le site près de 3 millions d'inscrits en tout.
Le Nikkei s'est intéressé au FT il y a moins de deux mois, a obtenu le soutien des banques japonaises et a coupé l'herbe sous le pied des autres prétendants en proposant de régler la somme intégrale en cash. C'est bien connu, les Japonais paient rubis sur l'ongle.
Seulement voilà, l'affaire ne plait pas forcément à tout le monde et les Japonais, dont certains ne sont pas tendres avec leurs propres journaux jugés à la solde des pouvoirs politique et économique, se sont exprimés sur internet de façon inquiète, non pas pour le Nikkei mais pour le FT et son indépendance qui est sa véritable raison d'être.
«Nous n'avons pas l'intention de changer ni le fond ni la forme du Financial Times, tel il est, tel il restera», a d'emblée répondu Tsuneo Kita, président du groupe Nikkei, lors d'une conférence de presse à Tokyo.
«Nous préservons l'indépendance éditoriale, continuez ainsi, c'est ce que nous disons au Financial Times», a insisté le directeur général, Naotoshi Okada.
«Nous avions une relation éditoriale avec le FT depuis des années et je pense que c'est le meilleur partenaire international», a insisté le président.
«Le FT bénéficie de la confiance de nombreux lecteurs non seulement en Europe, mais aussi ailleurs dans le monde, les hommes d'affaires et autres décideurs apprécient la qualité de ses articles comme la profondeur de ses analyses. Les valeurs du Nikkei sont communes à celles du FT», a encore déclaré M. Kita, se disant très heureux de l'accord passé avec Pearson.
Il s'est aussi dit en très bons termes avec John Ridding, le PDG du FT: «il m'a dit un jour ''vous êtes comme moi, avant d'être un patron, vous êtes un journaliste''».
Cela n'a cependant en rien atténué les craintes sur le fait que le Nikkei puisse influencer les articles du FT pour les rendre moins incisifs au risque de faire disparaître un regard extérieur indépendant sur l'économie et la politique du Japon.
Et ce ne sont pas les déclarations de plusieurs minitres exprimant leurs "espoirs" (comme l'a d'ailleurs titré le Nikkei lui-même) qui vont apaiser les esprits: "je me réjouis que grâce au passage du FT sous l'égide du Nikkei, les informations sur l'économie japonaise puissent être exprimées de façon plus exacte à l'attention de la communauté internationale», a notamment réagi le ministre de la Revitalisation économique, Akira Amari. Des propos de même nature ont aussi été tenu par le secrétaire général du gouvernement et le ministre des Affaires étrangères. Les journalistes du FT apprécieront.
Un tweet en japonais de l'auteur de ces lignes expliquant que de telles déclarations seraient en France considérées comme une menace envers la liberté de la presse a suscité un grand intérêt et a été relayé par des centaines d'individus, dont des écrivains et journalistes .
"Ce qui me soucie, c'est l'éventuelle +Nikkeïsation+ du FT", a commenté l'économiste de Mitsubishi UFJ Research Goushi Kataoka, ajoutant "j'espère que ce ne sera pas le cas".
"Le Nikkei EST la Japan Inc. S'il y a un média qui n'a pas la culture du journalisme d'investigation, c'est lui", assène plus crument sur Twitter Masahiro Watanabe, un ex-journaliste du Nikkei fondateur du site "My News Japan", au milieu d'autres commentaires en ligne quant au risque de perdre un regard extérieur non complaisant sur le monde économique japonais.
Selon ce dernier "des journalistes du FT vont partir, c'est certain".
Il est reproché au Nikkei (comme à d'autres journaux nippons) de ne pas enquêter mais de recevoir clef-en-main des informations livrées par des personnes de façon non dénuée d'intérêt. C'est de bonne guerre.
Ayant appris à lire et écrire le japonais avec le Nikkei, je ferais cependant preuve de plus de mansuétude à l'égard de ce journal vieux de plus de 140 ans ( l'appellation d'origine était différente). En effet, le Nikkei est sans nul doute le journal nippon qui s'intéresse le plus à l'activité réelle des entreprises (et pas seulement à leurs résultats financiers), il a un appétit inégalé pour les technologies de l'information et de la communication et y consacre de très nombreux articles, souvent extrêmement bien documentés et précis. Il livre des données très détaillées sur les marchés des appareils grand public qui sont toujours très utiles et bien mises en perspectives.
S'il est vrai qu'on peut être très agacé par le fait que le Nikkei publie des scoops sans arrêt (parce que beaucoup de gens se confient à lui), on peut juger que la malhonnêteté n'est pas de son côté. Il en irait différemment si le FT ne pouvait plus publier librement des articles critiques envers les prises de position du Nikkei ou de ceux qu'il soutient généralement (la droite, le patronat, etc.)