La cérémonie de signature a eu lieu samedi en milieu d'après-midi à Osaka, où se trouvent le siège de Sharp et un immense complexe industriel de production de dalles LCD que le pionnier japonais du secteur gère déjà en commun avec Hon Hai depuis plusieurs années. C'est dire s'ils se connaissent bien. Pour autant, les discussions entre les deux parties ont été ardues avant de trouver un compromis. En effet, le 25 février, Sharp annonçait accepter l'offre de rachat par Hon Hai, mais il a fallu ensuite plus d'un mois pour trouver un nouveau compromis, car entretemps, Sharp a fourni à Hon Hai de nouveaux documents qui ont nécessité des examens attentifs. La situation financière de Sharp est en effet loin d'être florissante et la direction de Hon Hai s'est méfiée, tout en prenant ce prétexte pour réduire de 100 milliards de yens le prix de sa proposition initiale.
Le compromis a été validé le 30 mars par les conseils d'administration des deux sociétés, puis annoncé dans la foulée, et samedi marquait donc le jour officiel de l'accord.
"Un jour important » selon le flamboyant patron de Hon Hai, Terry Gou, qui s'est longuement exprimé et a fait une véritable déclaration d'amour à Sharp lors d'une conférence de presse conjointe avec son homologue (plus terne) de Sharp, Kozo Takahashi. Un journaliste un peu sceptique sur la sincérité dudit M. Gou (il est vrai perçu comme un peu bluffeur et roublard) a été promptement remis en place: « le prix ne sera pas changé, nous avons signé", a rétorqué M. Gou. Et de promettre: «je ferai pour Sharp tout mon possible, comme je le fais comme pour ma propre entreprise. Je pense que Sharp a un très grand potentiel, mais n'a plus d'argent pour investir, et nous sommes là pour l'aider financièrement, parce que cette société, cette marque a encore beaucoup à faire et a encore les faveurs des clients, notamment au Japon, dans nombre de domaines où elle fait la course en tête (TV, purificateurs d'air, etc.)", a complété M. Gou.
M. Takahashi, lui, apparaissait un peu comme le subordonné (ce qu'il va devenir au demeurant), un rien intimidé par le charisme du gourou Gou qui n'a pas sa langue dans sa poche.
"Je remercie Terry Gou et toutes les personnes de Hon Hai qui nous ont permis d'en arriver là", a déclaré M. Takahashi. "Cet accord va contribuer à l'expansion de nos activités avec des synergies importantes", a-t-il assuré. Selon lui, outre les écrans, la robotique et l'internet des objets sont des domaines dans lesquels il faudra compter avec l'alliance Sharp/ Hon Hai qui, à certains égards, rappelle le cas Nissan / Renault quand le constructeur français était devenu le premier actionnaire de son homologue nippon en grande difficulté.
Pendant de longues minutes ensuite, M. Gou n'a cessé de dire tout le bien qu'il pensait du pays du Soleil-Levant et de Sharp. "J'aime le Japon et depuis plus de 30 ans j'ai une relation profonde avec ce pays. Je suis venu la première fois pour mon 30e anniversaire, j'ai désormais 66 ans. Mais aujourd'hui est un jour important pour Hon Hai et Sharp, une entreprise que j'aime d'autant plus qu'elle porte les gènes de l'innovation", a souligné le patron de Hon Hai, plus grand assembleur mondial de produits électroniques.
Puis il a disserté sur technologies de Sharp, « à commencer par celles des écrans IGZO (du noms des oxydes employés pour les cristaux liquides), des LCD qui sont utilisés dans de très nombreux produits, dont les smartphones, tablettes ». Il s'est aussi félicité de mettre la main sur les techniques de dalles 8K (écrans de quelque 33 millions de pixels) dont le monde pourra profiter lors des JO de Tokyo en 2020 ».
En devenant la maison mère de Sharp, Hon Hai (et donc Terry Gou) réalise un rêve qui n'est pas nécessairement bien perçu par tout le monde au Japon, puisque c'est un fleuron qui change de pavillon, alors même qu'existait une proposition concurrente d'un fonds d'investissement nippon qui voulait diviser Sharp en plusieurs firmes et fusionner son activité LCD avec Japan Display. Mais Sharp a préféré son intégrité à sa nationalité.
"Certains se demandent pourquoi une société japonaise qui a une histoire de plus de 100 ans a choisi de se marier avec une taïwanaise. La réponse est que le monde est plat et les entreprises y sont des entités sociales sans frontières qui travaillent pour tous. Sharp n'est pas une firme japonaise, elle est mondiale. Hon Hai n'est ni taïwanaise, ni chinoise, mais mondiale", a philosophé M. Gou.
Etait présent à ses côté un numéro deux de Hon Hai, Tai Jeng-wu, un des hommes-clefs des négociations, qui parle japonais et a salué « le respect dû à une entreprise qui a plus de 100 ans ». Et le même d'annoncer son intention de créer à Osaka un musée des innovations de Sharp depuis son origine au début du XXe siècle, quand la firme fabriquait des boucles de ceinturons et des crayons.
"Nous parlons des forces de Sharp, pas de ses faiblesses. Et les forces de Sharp sont la R&D, les technologies, l'innovation, les écrans, etc. et de notre côté le rendement, l'échelle industrielle, la présence internationale", a souligné M. Gou sans pour autant donner les détails de sa stratégie pour remettre Sharp d'aplomb.
Quant à M. Takashi, dont on pensait qu'il pourrait peut-être démissionner dès ce samedi, il a assuré que tout le personnel de Sharp était pleinement conscient du fait que le redressement du groupe ne se ferait pas sans des efforts importants. Avec Hon Hai, Sharp va continuer de développer ses écrans à cristaux liquides (LCD) mais aussi s'atteler à façonner des écrans organiques électroluminescents (OEL ou Oled), pour pouvoir notamment continuer de servir son plus important client du moment, Apple, dont on dit qu'il est en train de préparer des iPhone OEL. Hon Hai est bien placé pour le savoir, c'est lui qui assemble les appareils portant la marque « pomme ».