Indiescovery, c'est votre rendez-vous avec le jeu vidéo indépendant. Une chronique libre rédigée avec passion après 2h12 de jeu exactement. Si on vous en parle, c'est qu'on a aimé. Bonne découverte !
Avant propos
Où l'on passe le mur du son...Depuis le début de cette rubrique (oserais-je la nommer « chronique » ?), j'ai souvent parlé de la relation qu'entretient le jeu vidéo avec l'art. Néanmoins, je me suis pour le moment cantonné presque exclusivement au pan visuel de cette relation ô combien complexe. Il faut dire que c'est ce dernier qui saute aux yeux en premier !
Pourtant, la musique, et le son en général, sont tout aussi importants lorsque l'on entend - vous l'avez ? - profiter pleinement de l'expérience proposée par un jeu, que ce soit un cador de l'industrie ou une production plus modeste. Combien de jeux ont été gâchés par un sound design approximatif, une bande originale composée avec les pieds ou un doublage à la qualité laissant à désirer ? À vue de nez, je dirais qu'il en existe des tonnes ; vous en avez peut-être un exemple en tête au moment où vous lisez ces lignes.
Pour ma part, il s'agit inévitablement de Binary Domain. Sorti en 2012, et développé par l'équipe derrière la série des Yakuza, celui-ci nous propulse dans un Japon futuriste, replié sur lui-même, et où les robots ont pris une importance croissante au fil du temps. Dans la peau d'un membre d'une force spéciale traquant les dérives de la robotique, vous devrez aller enquêter au Japon après qu'une attaque d'androïde ait eu lieu.
Alors pourquoi est-ce que je vous en parle messieurs, dames ? Et bien tout simplement parce que le doublage français est... particulier.
À l'époque où je travaillais encore au sein de la rédaction d'un site de jeu vidéo, j'ai pu découvrir ce trailer de la VF du jeu. Un petit bijou que, même aujourd'hui, je regarde avec le sourire aux lèvres en me demandant comment quelqu'un a pu valider un tel casting.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, et même si le choix des doubleurs, ainsi que leur performance est pour le moins discutable, cela ne rend pour autant le titre mauvais. D'ailleurs, cela lui offre un supplément d'âme, surtout qu'en étudiant la chose de plus près, l'utilisation d'accents dans le doublage avait pour but de coller à la version originale japonaise, dont certains personnages, venus des quatre coins du pays, avaient un accent comme celui du Kansai. Mais revenons à nos moutons.
« Des morceaux qui vous hantent, même après avoir terminé le jeu dont ils sont issus »
Le son est un élément indispensable lorsque l'on souhaite profiter pleinement d'un jeu, et pour chaque jeu gâché par ses piètres prestations sonores, il en existe bien trois ou quatre qui procurent une expérience qui marquent au fer rouge. Des morceaux qui vous hantent, même après avoir terminé le jeu dont ils sont issus. Des pistes sonores tellement cultes que quelques notes suffisent à vous renvoyer à votre expérience de jeu et aux moments que vous avez passés en sa compagnie. Quant aux meilleures, elles poussent le vice jusqu'à s'émanciper presque totalement de leur condition de « musique de jeu vidéo », pour gagner une vie propre, qui transcende son média d'origine.
Il existe de nombreux morceaux qui ont marqué ma vie de joueur. Still Alive de Portal bien évidemment, le thème d'ouverture de Megaman 2, Cornered sur la BO de Phoenix Wright : Ace Attorney, le Storm Eagle de Megaman X, le thème de Dragon Quest ou la Balade du Poisson-Rêve de Link's Awakening. Et tant et tant d'autres, autant de souvenirs incarnés par un son, quelques notes égrenées qui vous transportent et vous emportent.
« La musique est essentielle dans le jeu vidéo, et le son l'est tout autant »
Et si la musique est essentielle dans le jeu vidéo, le son l'est tout autant. Le sound design, ainsi que la spatialisation jouent un rôle prépondérant dans la perception que l'on a de l'univers virtuel dans lequel on évolue. Des titres comme Dead Space ou Alien Isolation, qui nous mettent aux prises avec un environnement oppressant, limite claustrophobique, jouent beaucoup sur les sons d'ambiance pour créer une atmosphère tendue. Si l'on parle ici de deux jeux à tendance horrifique, qui reposent essentiellement sur leur ambiance, et nécessitent un sound design aux petits oignons pour entretenir la tension auprès du joueur, il ne faut pas non plus minorer l'importance de la composition sonore pour d'autres types de jeux.
Un jeu de baston par exemple, gagnera grandement à posséder un sound design réfléchi et ajusté à son gameplay. Si on pourrait penser, au premier abord, qu'un tel soin n'a pas sa place pour un jeu appartenant à cette famille, ce serait une erreur. Un bon jeu de combat, en dehors de ses mécaniques de gameplay, c'est aussi des impacts qui sonnent juste, qui retranscrivent la puissance du coup, et permettent de savoir si l'on a bel et bien porté son coup à l'adversaire. Chaque jeu gagne à posséder une palette sonore précise, qui vient en complément des stimuli visuels pour procurer un supplément d'information au joueur.
Le son est capital pour l'expérience de jeu... et notre jeu du jour, Ape Out, en est un exemple « par-fait ».
Ape Out
par Gabe Cuzzillo, Matt Boch et Bennett Foddy (2019)Ape Out, c'est le fruit du travail de trois compères. Gabe Cuzzillo pour commencer, qui est à l'origine du projet, et a assuré le gros de la programmation et du design. C'est ensuite son compère Matt Boch, avec qui il enseigne au sein de l'université de New York, qu'il a débauché pour s'occuper de la partie sonore (et quelle partie sonore, mais nous y reviendrons bientôt). Dernier membre de ce triumvirat, l'inénarrable Bennett Foddy, en charge de la partie visuelle, que vous connaissez peut-être pour QWOP et Getting Over It with Bennett Foddy. Une équipe de choc qui nous livre un jeu intéressant à plus d'un point, et je m'en vais vous dire pourquoi.
Évacuons dès le départ les considérations bassement techniques en évoquant le principe directeur d'Ape Out. Comme son nom le laisse suggérer si vous pratiquez un tant soit peu la langue de Shakespeare, Ape Out nous cause d'un grand singe qui essaie de se faire la malle. En l'occurrence, un bon gros gorille retenu prisonnier comme sujet d'expérience ou d'amusement, qui a décidé de retrouver sa liberté, et devra faire face à une ribambelle d'humains armés jusqu'aux dents, et bien décidés à lui faire passer l'envie de s'enfuir. Vous devrez donc vous faufiler dans divers environnements, entre laboratoire et immeuble afin de regagner votre liberté, quitte parfois à empoigner vos poursuivants pour les éclater gracieusement contre le premier mur venu, et ainsi éviter de vous faire trouer la peau.
« Car Ape Out est avant tout une expérience jouant avec les limites de la performance artistique »
Simple à prendre en main, Ape Out est un titre nerveux qui vous poussera en une perpétuelle fuite en avant au sein de niveau labyrinthiques et générés aléatoirement, font il faudra apprendre à vous dépatouiller. Mais ce n'est pas là ce qui fait son intérêt, car Ape Out est avant tout une expérience jouant avec les limites de la performance artistique. Pour commencer, Ape Out est un titre à la direction artistique absolument somptueuse. Aplats de couleurs tranchés, image granuleuse, parti pris visuel fort avec cette vue du dessus qui jongle de manière magistrale avec ses perspectives, pour renforcer la sensation oppressante liée à la fuite. Bref, nous sommes face à une très grande réussite artistique qui s'inspire des travaux de Saul Bass.
Mais c'est une fois le casque posé sur les oreilles que tout s'éclaire. Car le travail réalisé sur la partie sonore est une pure merveille qui vient s'agréger au gameplay et à la partie visuelle pour constituer un tout cohérent, et leur donner du sens. C'est Matt Boch qui est à l'origine de cette BO, et autant vous dire que le bonhomme n'a pas fait les choses à moitié. En plus de ses activités professorales, il officie en tant que Creative Director chez Harmonix Music System ou il a bossé Rock Band ou Dance Central. En somme, la musique, ça le connait plutôt pas mal.
« Une bande-son qui lorgne fortement sur la scène du Jazz d'improvisation »
Pour l'occasion, il nous livre une bande-son qui lorgne fortement sur la scène du Jazz d'improvisation, avec une emphase toute particulière sur les percussions. Car voyez-vous, à l'instar des niveaux qui sont générés aléatoirement, la musique se déploiera de manière procédurale dans chaque niveau. Au fur et à mesure de vos actions dans le jeu, la musique évoluera. Attrapez un ennemi et balancez-le contre un mur, et un crash de cymbale viendra ponctuer la gerbe de sang qui en résultera. Traversez un niveau à toute berzingue, et le rythme s'affolera, contribuant à vous pousser toujours plus avant dans votre fuite. Les différents niveaux présents dans le jeu, sont proposés comme autant d'albums à découvrir, disposant chacun de leur propre couleur sonore, comme pour renforcer la relation quasi synésthésique entre le son et l'image.
Ape Out est un petit jeu, que vous pourrez boucler en quelques heures à peine, et je sais d'ores et déjà que quelques esprits chagrins retiendront ça contre lui. Il n'en reste pas moins que durant le temps que vous passerez en sa compagnie, vous ne vous ennuierez pas une seconde, et en prendrez plein la tronche, tant sur le plan visuel que sur le plan auditif. Surtout sur le plan auditif d'ailleurs. Et je parie que vous vous laisserez vite emporter par la frénésie à laquelle vous pousse le jeu dans son ensemble. Cette fuite en avant que j'ai déjà évoqué un peu plus haut, rythmée par le bruit de la caisse claire, du crash des cymbales, et le rythme effréné d'un batteur qui a décidé de faire cracher à sa batterie tout ce qu'elle a dans le ventre.
On vous laisse avec ce trailer du jeu (déjà disponible sur Steam) :