We. The Revolution : guillotine et moi

Kevin Gainche
Par Kevin Gainche, Spécialiste gaming.
Publié le 06 avril 2019 à 18h51
Indiescovery 17

Indiescovery, c'est votre rendez-vous avec le jeu vidéo indépendant. Une chronique libre rédigée avec passion après 2h12 de jeu exactement. Si on vous en parle, c'est qu'on a aimé. Bonne découverte !

Avant propos

Où l'on parle d'histoire avec un grand H...

L'avantage du jeu vidéo, à l'instar du cinéma ou de la littérature, réside dans le fait que, au-delà du simple aspect ludique, il est possible d'y explorer à peu près ce que l'on veut. Lieux, époques, thématiques, concepts même, peuvent en effet se retrouver au centre d'une œuvre vidéoludique pour peu que son auteur y trouve un intérêt. Au fil de mes chroniques, j'ai pu évoquer l'art, la musique, le rapport au temps et bien d'autres choses que vous pourrez découvrir si vous n'êtes pas encore allé jeter un œil à mes précédents écrits. Aujourd'hui, j'ai décidé de vous parler d'histoire. Pas d'histoire comme celles que l'on raconte au coin du feu, mais bien de l'Histoire avec un grand H.

« Des reconstitutions, parfois un peu gauchie pour y faire rentrer un dose de fantaisie qui vient alléger le tout »


Car voyez-vous, le jeu vidéo, s'il nous emmène dans sa grand majorité vers les territoires fantasmés que sont la Fantasy, la Science-Fiction, le Fantastique, l'Horreur et cie, se pique aussi par moment de réalisme pour nous faire vivre de grandes fresques tout droit tirée de notre Histoire. Des reconstitutions, parfois un peu gauchies pour y faire rentrer une dose de fantaisie qui vient alléger le tout, mais tout de même basées en grande partie sur des faits et des figures historiques. Une manière de donner un cadre riche à peu de frais (pas besoin de trop se creuser le ciboulot pour créer un monde cohérent quand il suffit de se pencher sur un manuel d'histoire), mais aussi de nous permettre d'expérimenter des moments charnières de l'intérieur. Et c'est sans doute ce dernier aspect le plus intéressant à étudier.

Lorsque l'on pense à la relation entre Histoire et jeu vidéo, il est une période qui vient presque immédiatement en tête tant elle a été utilisée par l'industrie au fil des années. Je parle bien évidemment de la Seconde Guerre mondiale (et de la première guerre mondiale par extension), qui a servi de cadre à une pléthore de titres grands publics, et servie de fondation à quelques-unes des licences les plus juteuses de l'industrie. Call of Duty, Battlefield ou encore Medal of Honor ont toutes trois bâties leur légende sur la Seconde Guerre mondiale, offrant chacune leur vision du conflit, tantôt en misant sur un réalisme crasse, tantôt en prenant un parti pris plus Hollywoodien.

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En sus du tribunal, vous devrez aussi gérer votre vie de famille

Il faut dire que les périodes de conflit, aussi tragique et cynique que soit ce constat, sont les plus propices à raconter des histoires. Ces périodes de crises, surtout à l'échelon mondial, regorgent d'événements et de figures exceptionnelles, qu'il est aisé d'incorporer au sein de leur jeu pour permettre au joueur de vivre une grande aventure. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'Ubisoft à situé la grande majorité des épisodes d'Assassin's Creed durant des périodes de conflits forts. Au fil des épisodes, il a en effet été possible d'aller traîner sa capuche d'assassin pendant les croisades, les révolutions américaines ou françaises, la grande époque de la piraterie ou encore, très récemment, durant la guerre du Péloponnèse.

Et même si Ubi y inclut systématiquement sa mythologie (le combat millénaire entre assassins et templier, ainsi que l'histoire d'une mystérieuse civilisation antérieure à l'humanité), le fond historique reste pour sa part, et dans l'ensemble, parfaitement retranscrit. De quoi revivre des événements marquants, et croiser de nombreuses figures historiques fortes, connues de tous, qui permettent d'ancrer un peu plus leur récit dans notre réalité. À ce titre, les équipes travaillant sur les différents épisodes d'Assassin's Creed s'entourent très régulièrement d'historiens afin de garantir la véracité de leur propos et des lieux qu'ils invitent le joueur à traverser.

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Visuellement, le style low-poly de We ; The Revolution en met plein la tronche

Un souci du détail tellement poussé que les deux derniers épisodes de la série, Origins et Odyssey, se déroulant respectivement en Égypte et Grèce antiques, disposent d'un mode de jeu libre particulièrement intéressant. Ce dernier permet en effet d'explorer la carte du jeu indépendamment de la surcouche narrative et ludique, pour y découvrir les reconstitutions créées par l'équipe annotées par des notices historiques. De quoi découvrir par exemple le processus de momification, ou tout un tas d'autres sujets du même acabit, à la manière d'un musée virtuel.

« Ils proposent des histoires haletantes, menées tambour battant, et souvent fantasmées qui ne reflètent pas toujours la réalité Historique »


Même si ces Assassin's Creed, Call of Duty et autres Battelfield nous emmènent revisiter une partie de l'Histoire, ils restent tout de même des titres « grand spectacle », qui utilisent plus l'Histoire comme un moyen de faire vivre au joueur de grands moments. Ils proposent des histoires haletantes, menées tambour battant, et souvent fantasmées qui ne reflètent pas toujours la réalité historique. Une manière de conserver l'attention du joueur, et le côté ludique d'une telle production. Il est toutefois possible de découvrir d'autres jeux qui utilisent l'Histoire d'une manière un peu plus réaliste pour donner un cadre à une histoire qui elle, tient entièrement de la fiction.

Des titres tels que Red Dead Redemption, surtout le second épisode, ou Kingdom Come Deliverance, utilisent un cadre historique fort, extrêmement précis, pour nous dépeindre un monde cohérent et réaliste. La série des Mafia est aussi un excellent exemple. Ces jeux font montre d'un souci du détail hallucinant, et partagent une même rudesse dans leur approche, surtout du côté du gameplay. Comme pour souligner la difficulté de la vie menée par les protagonistes que l'on nous invite à côtoyer. Dans la plupart des cas, cela accouche de productions absolument fantastiques à parcourir, malgré les quelques concessions que les développeurs doivent faire, d'une manière ou d'une autre, pour conserver un certain attrait ludique.

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A la fin de chaque procès, vous devrez rendre votre jugement, le signer, le cacheter et... en assumer les conséquences

Je pourrais aussi évoquer des titres comme Heart of Iron, Europa Universalis ou encore la série des Total War qui utilisent eux aussi un cadre Historique extrêmement précis pour nous livrer des jeux de stratégie complexes, qui permettent d'explorer les facettes d'une période donnée. Une manière extrêmement intéressante de jouer avec la réalité pour voir « ce qui aurait pu arriver si », tout en restant extrêmement cohérent. Mais je terminerai en parlant de quelques titres indépendants, sortis ces dernières années, qui abordent les thématiques historiques sous un autre angle, plus intimiste cette fois-ci.

« Tous ces jeux nous proposent au contraire de vivre dans la peau de personnes victimes des événements »


Avec des jeux comme Soldats inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, 1979 Revolution : Black Friday, This War of Mine, A Plague Tale : Innocence ou même Enterre-moi, mon amour, les développeurs nous emmènent sur un versant de l'Histoire à des années-lumière de ce que les autres jeux peuvent proposer. Ici, point de héros surpuissant capable de changer le cours d'un conflit à lui tout seul. Tous ces jeux nous proposent au contraire de vivre dans la peau de personnes victimes des événements, de petits rouages qui ne pourront rien faire pour modifier le cours de l'Histoire, et qui devront bien souvent tout faire pour suivre son flot sans se laisser emporter. Une manière aussi de voir l'Histoire par le petit bout de la lorgnette, et d'en voir au final, les aspérités, les horreurs, mais aussi les moments de grâce, loin de l'image un peu idéalisée que l'on peut parfois avoir avec quelques décennies, voir siècle de recul.

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Au bout d'un moment, c'est Paris qui s'ouvre devant vous afin que vous puissiez faire jouer votre influence

Et c'est exactement à cette dernière catégorie de jeu qu'appartient le titre que j'ai décidé d'aborder aujourd'hui. Car We. The Revolution nous invite ni plus ni moins qu'à incarner un juge durant la Révolution française, une période troublée s'il en est, qu'il sera possible de découvrir dans toute... son horreur.

We. The Revolution

par Polyslash (2019)

Aussi étonnant que cela puisse paraître, l'équipe derrière ce titre n'est pas le moins du monde française. Polyslash est en effet un studio Polonais qui s'est fait connaître avec le titre Phantaruk, un survival horror dans l'espace, ce qui n'a donc absolument rien à voir avec We. The Revolution. Mais ça, on s'en fiche un peu, car la dernière création de Polyslash est un titre extrêmement intéressant à bien des égards. Pour commencer, il se déroule dans un cadre assez peu usité, qui, en tant que français, nous touche particulièrement : la Révolution française. Et si Assassin's Creed nous a déjà permis de nous balader dans le Paris révolutionnaire, ce titre nous offre une vision bien différente de ces temps troublés.

« Pris entre le peuple, les révolutionnaires, mais aussi sa propre famille, ce bon Fidèle, et donc vous, devrez prendre tout un tas de décisions »


C'est en effet dans la peau d'un juge que l'on vivra toute l'aventure. Un petit bourgeois du nom de Fidèle, joueur et buveur invétéré, jeté en plein cœur de la Révolution et de ses tourments. Jour après jour, Fidèle devra rendre la justice en son tribunal, choisir qui emprisonner, qui relâcher, mais aussi, révolution oblige, qui envoyer à la guillotine lorsque cela est nécessaire. Pris entre le peuple, les révolutionnaires, mais aussi sa propre famille, ce bon Fidèle, et donc vous, devrez prendre tout un tas de décisions qui auront un impact, bon ou mauvais, sur le déroulement des événements, de votre carrière, mais aussi de votre vie.

Car voyez-vous, il n'est pas simple de rendre la justice lorsque la populace gronde, que Robespierre et ses révolutionnaires ont une idée bien précise de la tournure que devraient prendre vos jugements, et que votre famille vous fait bien sentir que vous ne leur prêtez pas assez attention. Ajoutez à cela des intrigues, des complots et tout un tas d'autres rumeurs qui courent à votre sujet, et vous vous rendrez bien vite compte que la justice ne peut pas toujours être rendue comme elle le devrait.

« Dans We. The Revolution, vous devrez en permanence effectuer des choix »


Dans We. The Revolution, vous devrez en permanence effectuer des choix, et c'est là sa principale mécanique de jeu. Durant ses premières heures, le découpage est assez simple : à chaque jour son procès, suivi d'une petite réunion familiale. Au début de chaque procès, vous découvrirez un rapport relatant les faits principaux de l'affaire à traiter, ainsi qu'un ensemble de preuves s'il en existe. À vous ensuite, en étudiant le dossier, de découvrir des questions à poser à l'accusé grâce à un mini-jeu vous proposant d'associer des mots clefs à une catégorie. Pour pimenter la chose, sachez qu'il existe parfois des pièges, et que vous n'aurez le droit qu'à un certain nombre d'erreurs en termes d'associations. Une fois toutes les questions découvertes, ou le nombre d'erreurs atteint, vous pourrez commencer l'interrogatoire du prévenu.

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À côté de chaque question que vous pourrez poser à l'accusée, l'orientation que cela fera prendre au jury

À vous ensuite de poser une, ou toutes les questions découvertes pour orienter l'avis du jury vers telle ou telle sentence. Sachant que les différentes factions ont elles aussi leur opinion sur l'affaire en cours, vous devrez souvent ménager la chèvre et le chou pour ne pas vous aliéner telle ou telle partie de la population. Car se mettre à dos une faction rimera bien souvent avec une destitution (ou pire), et la fin de votre partie. Dès lors, vous vous rendrez compte que vos choix ne seront plus innocents, et que vous devrez parfois céder à l'instinct de survie, et mettre - un tantinet ou complètement - de côté la justice. D'autant plus que votre réputation auprès de chacune des factions influe sur votre capacité à mener à bien certaines affaires, en permettant de débloquer des indices par exemple. De telle sorte que la justice se transforme parfois en une farce avec laquelle vous devrez composer, quitte à ne plus pouvoir vous regarder en face après une affaire aux conséquences désastreuses.

Le déroulement d'une journée en jeu est régulièrement ponctué de petites cinématiques sous forme de bande dessinée. Des cases s'affichant les unes après les autres pour raconter une petite histoire, narrée par la voix du personnage principal, et qui nous permettent de découvrir des situations le plus souvent tragiques. Une personne lynchée au détour d'une rue. Des hommes et des femmes assassinés à cause d'un ordre que vous avez, ou n'avez pas sanctionné. De toutes petites scènes qui viennent s'accumuler pour dresser un portrait sombre, à hauteur d'homme, de cette période de notre histoire. Une violence tous les instants qui atteint son paroxysme après la construction de la guillotine, qui ajoute la peine de mort à votre arsenal de peines à administrer.

« Car vous n'aurez pas le choix. Au bout d'un moment, et malgré toute votre bonne volonté, vous serez obligé de condamner quelqu'un à mort »


Car vous n'aurez pas le choix. Au bout d'un moment, et malgré toute votre bonne volonté, vous serez obligé de condamner quelqu'un à mort, et outre l'horreur même de cet acte (que vous devrez signer de votre main, comme chacune de vos condamnations), cette cérémonie de la décapitation prend un tour tout à fait cynique. Il vous sera en effet possible, avant d'exécuter la sentence, de haranguer la foule dans l'espoir de gagner son soutien, ce qui se traduira en jeu par des points de réputation supplémentaires. À vous alors de fabriquer un petit discours susceptible de plaire à votre auditoire en jouant sur la manipulation, l'humour ou la haine du prévenu. De quoi vous procurer un avantage mathématique selon les règles du jeu, mais à l'impact moral et psychologique plus que discutable.

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Lorsque le couperet tombe...

Au fur et à mesure des heures de jeu, de nouvelles mécaniques viennent s'ajouter à celle du procès, vous permettant par exemple d'étendre votre influence sur Paris en recrutant des agents capables de vous soutenir dans différents quartiers, ou d'apaiser les tensions auprès d'une faction ou d'une autre. Des complots contre vous pourront se dessiner dans l'ombre, afin de vous faire tomber de votre piédestal. Au terme de ma session de jeu, je n'ai fait que gratter la surface des mécaniques proposées par We. The Revolution, mais je dois bien avouer que cela n'a fait qu'attiser ma curiosité.

De ce que j'ai pu en juger, le titre de Polyslash n'est pas parfait, proposant parfois des événements un poil trop manichéens, ou utilisant des ficelles un peu grosses dans sa narration. Mais le fond du propos, et la manière qu'il a de nous forcer la main par moment est révélateur... dans la mesure où cela nous oblige à voir qu'une décision ne peut être de notre seul fait. Qu'une multitude de raisons extérieures viennent influer sur nos choix, quitte à ce que cela nous oblige à aller à l'encontre de notre volonté la plus profonde. Cela traduit bien les pressions d'une telle époque, sa rudesse, sa violence.

« Je pense que ce genre de jeu, qui nous permet de vivre de l'intérieur une période aussi charnière, est nécessaire »


Si We. The Revolution ne nous conte pas forcément l'Histoire telle qu'elle s'est véritablement déroulée, il nous permet de saisir, assez précisément, le climat délétère de cette période et de mettre entre les mains du joueur le poids des âmes qui est chargé de juger. Une position qu'il y a peu de chance d'expérimenter dans le réel. Outil ludique autant que pédagogique, le sujet de notre Indiescovery de la semaine est un OVNI qui ne plaira peut-être pas aux amateurs de « triple A style popcorn » mais que je vous recommande chaudement.

On vous laisse avec ce trailer du jeu (déjà disponible sur Steam) :

Kevin Gainche
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Commentaires (2)
shibany69

J’ai vraiment pris plaisir à lire ce test bien tourné et qui donne envie d’essayer le jeu. Merci!
Attention cependant aux coquilles!

Mx34

Pour ma part j’ai testé le jeu, je n’ai pas accroché car je trouve le début très mal amené. Même si je suis sûr qu’après le jeu en vaut la chandelle, mais j’aime pas que l’on m’oblige a jouer un personnage dans lequel je ne me reconnais pas. Dès le départ on vous oblige a être un alcoolique et joueur invétéré et vous pousse a faire un choix entre votre famille ou l’alcool et le jeu. Et forcement si on choisi l’un, l’autre n’aime pas.
Donc je ne suis malheureusement pas aller plus loin.

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