Les laboratoires pharmaceutiques à l'origine des vaccins contre la COVID-19 auraient expressément demandé au réseau social Twitter de réduire au silence les activistes qui appelaient au partage des brevets avec le reste du monde.
L'affaire révélée par le très sérieux média d'investigation américain The Intercept a tout d'un nouveau scandale pour les grandes entreprises de l'industrie pharmaceutique, et accessoirement pour Twitter. À la toute fin de l'année 2020, une lobbyiste travaillant à l'époque pour Twitter Allemagne et spécialisée dans les politiques publiques, Nina Morschhaeuser, fut alertée par le gouvernement d'outre-Rhin et l'entreprise BioNTech au sujet d'une campagne devant viser, sur le réseau social, les Big Pharma développant un vaccin contre la COVID-19. L'affaire est allée loin, Twitter ayant subi des pressions pour faire taire les militants souhaitant le partage des brevets et la vaccination des populations les plus démunies à l'aide de doses génériques.
Une employée de Twitter aurait reçu une demande de censure appuyée par le gouvernement allemand
Des activistes prévoyaient de lancer sur Twitter une courte campagne de deux jours pour appeler les grands laboratoires pharmaceutiques à lever temporairement les brevets et toute la propriété intellectuelle associés au développement d'un vaccin contre le coronavirus. Une telle mesure aurait contribué à fabriquer sans tarder, et à moindre coût, des vaccins génériques qui auraient permis aux pays sous-développés ou ceux au système de santé chancelant de faire face plus efficacement à la pandémie.
Nina Morschhaeuser fut donc alertée de cette campagne activiste imminente en étant informée par le gouvernement allemand de la possible création de faux comptes, voire de la prise de contrôle des comptes utilisateurs de certains dirigeants des fabricants de vaccins. Si l'ancienne employée de Twitter a tout de suite relayé le mot aux équipes de sécurité de la plateforme à l'oiseau bleu, elle a aussi transmis un e-mail cette fois provenant de la porte-parole de BioNTech, Jasmina Alatovic, lui demandant de « cacher » (donc de masquer) les tweets de comptes qui cibleraient celui de son entreprise, et ce, durant les deux jours de campagne. Tout cela, précise madame Morschhaeuser, au nom de l'Office fédéral de la sécurité des technologies de l'information, un très important organe administratif allemand.
Morschhaeuser a donc demandé à ses collègues de Twitter de surveiller deux hashtags prétendument utilisés par les militants de la levée des brevets (#PeoplesVaccine et #JoinCTAP), ajoutant que le groupe Global Justice Now avait partagé un formulaire en ligne utilisé pour s'inscrire à une journée d'action contre les vaccins.
Tous les moyens sont bons pour contrôler les activistes
Ce qui n'est pas encore tout à fait clair, c'est le rôle exact qu'a eu Twitter et les mesures précises qui ont été prises par l'entreprise californienne pour s'aligner sur la demande de BioNTech, qui dans sa plus stricte interprétation s'apparente tout bonnement à de la censure. BioNTech et le gouvernement prétendaient que cette campagne contre les labos violerait les CGU de Twitter, mais il semblerait que les équipes de sécurité du réseau social n'étaient pas du même avis à l'époque.
En revanche, ce qui est certain, c'est que BioNTech ne s'est pas contentée de demander à Twitter directement de procéder à une modération à sa guise des contenus prônant la levée des brevets. Une organisation à but non lucratif connue sous le nom de Public Good Projects a travaillé en étroite collaboration avec Twitter pour développer des bots pouvant censurer la désinformation sur les vaccins (qu'elle soit futile ou argumentée), et envoyer des demandes directes à la firme de San Francisco, auxquelles étaient jointes des listes de comptes à vérifier et à censurer.
The Intercept a aussi pu mettre la main sur des échanges entre un lobbyiste de Twitter et un responsable de Public Good Projets. La campagne aurait été, accrochez-vous bien, financée par un groupe de pression, appelé BIO, financé par… Moderna et Pfizer, entre autres. Celui-ci était chargé de signaler des contenus sur Twitter, mais aussi sur Facebook et Instagram.
Un lobbying très puissant, qui a aidé à protéger les intérêts colossaux des grands laboratoires pharmaceutiques
Très récemment, au mois de novembre dernier, le Bureau of Investigative Journalism (une ONG britannique spécialisée dans l'investigation) a publié un rapport dans lequel il montre à quel point les grandes entreprises pharmaceutiques ont insisté pour étouffer les efforts de partage des brevets et de levée de la propriété intellectuelle, entrepris par les militants. Un lobbying fut aussi mené pour bloquer le soutien à une dérogation spéciale de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui était nécessaire à la création d'un médicament générique contre le coronavirus. BioNTech aurait réussi, une fois de plus, à obtenir le soutien du gouvernement allemand pour s'opposer à cette dérogation. Et le soutien ensuite apporté par Joe Biden, par l'Inde et par l'Afrique du Sud n'aura rien changé. L'opposition d'autres pays développés fut plus forte.
Sans grande surprise, les associés Pfizer et BioNTech ont ensuite généré des bénéfices record pour l'industrie pharmaceutique, avec un chiffre d'affaires de 37 milliards de dollars pour la seule année 2021 grâce à son vaccin à ARN messager. De son côté, Moderna a engrangé quelque 17,7 milliards de dollars la même année avec son propre vaccin. Et dire que son P.-D.G. marseillais, Stéphane Bancel, vient d'annoncer il y a tout juste une semaine sa volonté d'augmenter le prix du vaccin de… 400 % !
« Essayer d'étouffer la dissidence numérique pendant une pandémie, alors que les tweets et les e-mails sont parmi les seules formes de protestation disponibles pour ceux qui sont enfermés chez eux, est profondément sinistre », regrette le directeur de Global Justice Now, Nick Dearden. Cette affaire nous montre une fois de plus que les intérêts économiques ont pris le pas sur l'éthique, la morale et la santé de millions d'êtres humains laissés sur le bord de la route.
Source : The Intercept