Si le Christ débarquait au XXIe siècle, que penserait-il de la société que les humains ont bâtie ? L’auteur de comics Sean Murphy imagine, dans un futur proche, une télé-réalité centrée sur le clone de Jésus, et signe sans doute l’un des ouvrages les plus marquants de sa bibliographie.
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Nous nous donnons 5 citations et 5 paragraphes pour vous convaincre.
Punk Rock Jesus (2013)
de Sean Murphy
L'histoire commence en 2019, alors que les producteurs de télé-réalité poussent toujours plus loin le concept, glauque, de leurs émissions. Leur dernière innovation : cloner Jésus ! À partir d’un morceau d’ADN, qui aurait été retrouvé sur le Suaire de Turin, ils vont créé Chris, un bébé présenté comme le clone… du Christ.
Dès sa naissance, Chris fera alors l’objet d’un programme télévisé spécial, pour que le monde entier puisse suivre les moindres de ses faits et gestes, en direct.
« Le sang des enfoirés qui ont fait ça coulera dans les rues de Belfast »
Pourtant, l’histoire ne s’ouvre pas sur la naissance de Chris. On suit en fait Thomas, futur garde du corps de l'enfant et de sa mère, Gwen. Thomas a grandi en Irlande, à Belfast, en pleine guerre civile. Un conflit sanglant qui voit s'affronter catholiques et protestants, et dont Thomas deviendra, par la force des choses, un sinistre soldat.
Le décor est posé : dans les rues brumeuses de Belfast ou dans l’immeuble high-tech de la télé-réalité qui suit la vie de Chris, Punk Rock Jesus va questionner les religions monothéistes, et les violences qu'elles engendrent.
« Si je dois faire renaître le Christ pour ça, alors je le ferai »
Des années plus tard, Thomas, en quête de rédemption, offre ses services à Ophis, la fameuse société portant le projet fou de créer le clone de Jésus. Il y rencontre alors Gwen, la jeune femme vierge choisie pour être la mère de Chris, déjà attaquée par les détracteurs de l'émission.
Et pour cause, dès sa naissance, et même un peu avant, l’enfant est au cœur des débats, et Thomas a fort à faire. D’un côté, les adorateurs voient Chris comme le messie revenu sur terre, avant le jugement dernier. De l'autre, les fanatiques se bousculent à la grille d’Ophis pour mettre fin à l’enfermement de leur « guide ».
Avec son trait anguleux et blindé de hachures sombres, Sean Murphy questionne ainsi le christianisme, les monothéismes et à travers eux, le concept même de religion, dans un pays où la plupart des présidents ont prêté serment sur la Bible.
« Il n’y a aucune preuve réelle de l’existence d’un homme appelé Jésus Christ »
Punk Rock Jesus se déroule sur plusieurs années, au cours desquelles on voit Chris grandir, devenir adolescent. L'occasion pour l'auteur de nous présenter, au fil du temps et des pages, les différents partis en présence : à la télévision, un professeur avec une grosse barbe choque tout le monde en faisant remarquer qu’on ne sait même pas si Jésus Christ a vraiment existé. Daisy Milton, leader de la « nouvelle Amérique Chrétienne », échafaude des plans toujours plus compliqués pour libérer le « messie », alors même que le monde entier a les yeux rivés sur chaque minute de la vie de Chris… Dépassant les seules questions religieuses, Punk Rock Jesus, dépeint en fait l'histoire d'un monde qui évolue, et pas dans le bon sens.
Au fur et à mesure que Chris grandit, on découvre une société ravagée par ses contradictions, se raccrochant à cette télé-réalité comme s’il s’agissait de sa dernière chance de rédemption. Les événements malencontreux s’enchaînent, dopés par une production assoiffée d’audimat et d’argent, et peu à peu, on se rend compte que ce n'est plus le « fils de Dieu », mais la télévision, qui est devenue la religion principale de tous les spectateurs.
« Nous sommes la nouvelle Amérique chrétienne et nous demandons l'arrêt immédiat de cette imposture ! »
Dans cet album, Sean Murphy parvient à créer une histoire accrocheuse, passionnante, alors que la plupart de ses personnages sont relativement détestables. Thomas a pas mal de morts sur la conscience, Slate, l’initiateur du show télévisé, est un monstre assoiffé d’argent ; les défenseurs de Chris sont soutenus par les lobbys ultra-religieux et pro-armes, ses détracteurs méprisent les confessions religieuses des autres… En bref, chaque « camp » est vicié, et même Chris et Gwen, outils impuissants de cette mascarade, seront peu à peu corrompus.
L’auteur le prouve ici, il est un as quand il s'agit de représenter le drame et la violence. Dans Tokyo Ghost, avec Rick Remender au scénario, il dépeignait déjà un Japon du futur, où l’humanité a été happée par les écrans, créant une véritable dépendance. Dans ces œuvres, tout le monde en prend pour son grade, et le pire, c’est qu’on en redemande.
Dans Punk Rock Jesus à nouveau, sa vision de la société ne s'embarrasse d’aucun filtre, elle est à la fois honnête et terrible. Avec ses grosses motos, ses crânes rasés et ses fusils d’assaut fièrement portés en bandoulière, le roman graphique dresse un violent portrait d’une Amérique fanatique.
« J’essayais de marcher sur l’eau ! Je faisais un miracle »
Et au milieu de tout ça, il y a Chris.
Comment se développer sainement quand le monde entier a les yeux rivés sur nous, et qu’on s’imagine que le bonhomme sur la croix est notre papa ? Je n’en dirai pas plus, pour ne pas vous gâcher la suite de l’histoire, mais vous noterez que la couverture de l’ouvrage est plutôt édifiante.
Sean Murphy est un auteur de comics très représenté en France : vous pourrez facilement retrouver des œuvres telles que Off Road, Joe l’aventure intérieure, The Wake et bien sûr Batman White Knight. Mais de mon point de vue, Punk Rock Jesus est son ouvrage le plus marquant et le plus personnel. Un album coup de poing qui ne laissera personne indifférent…
Punk Rock Jesus (2013) est édité chez Urban Comics.