Science-fiction et technologies, la recette d'un mariage réussi

Louis-Charles Rostand
Publié le 16 octobre 2014 à 16h08
La science-fiction adopte souvent un postulat de départ réaliste avant de se projeter dans un futur plus ou moins immédiat, dans lequel la technologie et les découvertes scientifiques bouleversent le quotidien de l'humanité. Aujourd'hui, nous utilisons des objets et technologies que la science-fiction avait imaginés voilà plusieurs décennies, sans même nous en rendre compte. Retour sur le futur du passé.

L'Homme a toujours utilisé la science-fiction pour se projeter dans une autre réalité. Parfois, elle concerne des mondes étranges ou parallèles. Parfois, elle offre une relecture d'un épisode passé, en jouant sur l'anachronisme. Souvent, elle envisage un futur plus ou moins proche, en extrapolant ce que pourrait y être la technologie et les connaissances. L'imagination fertile des auteurs, puis des scénaristes et des réalisateurs, a sans cesse alimenté la créativité des chercheurs et des scientifiques, curieux de donner vie à un concept né dans un livre, un film ou une série. Mais l'inverse est tout aussi vrai, et les promesses de la science ont largement profité aux auteurs de science-fiction qui pouvaient extrapoler à partir du réel et du « en devenir ».

Alors qu'il ne nous reste que cinq ans avant de rejoindre le monde dépeint dans Blade Runner (1982), force est de constater qu'il y a peu de chance de voir des voitures voler et des robots à visage humain d'ici-là. Pour autant, l'humanité a fait des avancées gigantesques en quelques décennies (pas toujours pour le meilleur), et la science-fiction d'hier est devenue notre réalité d'aujourd'hui.

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Fondation

Difficile de dater avec précision la naissance de la science-fiction qui, contrairement à la fantasy ou au fantastique, repose sur des bases scientifiques crédibles permettant d'imaginer l'avenir. En faisant cela, les auteurs de science-fiction ont forcément « développé » des technologies extrêmement poussées (médicales, sociales, économiques) que des chercheurs ont ensuite essayé de reproduire, soit parce qu'elles pouvaient représenter une réelle avancée, soit simplement parce qu'elles sont pratiques ou utiles. En regardant autour de nous, et en relisant ou en revoyant des œuvres passées, nous découvrons que notre vie actuelle est envahie par la science-fiction et ses élucubrations d'antan. La littérature fut un terreau fertile durant de longues années, et plusieurs romans ont posé les bases de ce qui fait notre monde moderne.

Prenons l'exemple de la visiophonie - que nous utilisons communément avec Skype et autres Facetime - et qu'Hugo Gernsback professe en 1911 dans Ralph 124C 41+. Il décrit le « Telephot », un appareil qui permet de voir le visage de son interlocuteur durant une conversation. Nous en retrouvons une évolution dans le Metropolis de Frizt Lang en 1927. En 1968, Arthur C. Clarke détaille ce qui est devenu une tablette (type iPad ou Galaxy Tab) dans les pages de son 2001 l'Odyssée de l'espace. Il évoque une « tablette de la taille d'une feuille de papier » qui permet de lire les dernières nouvelles en provenance de la Terre et s'utilise avec « deux doigts ». Restons du côté de 2001, qui formalise aussi le concept de commande vocale tel que nous le connaissons aujourd'hui avec les assistants vocaux du type Siri : 43 ans séparent les deux technologies !


Mais Arthur C. Clarke a eu d'autres « visions » comme les principes du GPS ou de la télévision par satellite, qu'il décrivait en 1945 dans un article publié par Wireless World.

Paradoxe du singe savant

Autre visionnaire : Jules Vernes, dont l'œuvre est jalonnée d'inventions désormais bien réelles. Citons dans le désordre la nourriture lyophilisée, une capsule retombant des étoiles dans la mer, le sous-marin, l'avion, la fusée, les portes automatiques, la radio, la retransmission à distance, ou l'éclairage électrique des rues. Même constat chez Murray Leinster qui, avec Un logic nommé Joe (1946), nous parle d'ordinateurs miniatures et personnels permettant à chacun de se connecter à un réseau.

Réseau mondial encore avec John Brunner : dans Sur l'onde de choc (1977), il s'inspire du livre Future Shock d'Alvin Toffler (1970) pour nous dépeindre une société où les ordinateurs sont tous connectés entre eux dans un réseau mondial, sur lequel un virus attaque les machines ; coup double pour Brunner (Web + virus) ! N'oublions pas Ray Bradbury qui annonce, dans Fahrenheit 451 (1953), les écouteurs intra-auriculaires en écrivant : « dans ses oreilles étaient placés de petits coquillages, radios de la taille d'un dé à coudre, desquelles se déversaient un océan électronique de son, de musique et de paroles ». Enfin, comment passer à côté de Douglas Adams : en 1978, ce dernier entame la création du Guide du voyageur galactique (ou H2G2 pour les intimes) qui développe le principe du traducteur universel, le Babel fish. Le petit poisson vient se loger dans l'oreille pour permettre de comprendre tous les langages. Plus tard, Yahoo! emprunta le nom « BabelFish » pour baptiser son traducteur automatique en ligne.

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Certains évoquent le Paradoxe du singe savant pour expliquer que ces « prédictions » sont plutôt des coïncidences, puisque « des milliers d'auteurs de science-fiction imaginent des dizaines de milliers de futurs différents » et donc forcément, une poignée tombe juste. Il n'empêche que ces visionnaires n'en sont pas moins percutants tant ce qu'ils avaient pressenti a inspiré les concepteurs d'après.

Prométhée post-moderne

Si la littérature a forcément nourri les fantasmes, puis les recherches de nombreux scientifiques et inventeurs, c'est la télévision et le cinéma qui vont enflammer leurs esprits vagabonds, alors même que les scénaristes s'appuient, eux, sur les dernières découvertes en matière de technologie, et les hypothèses scientifiques, parfois délirantes, qui naissent quotidiennement.

Le fer de lance de ce mouvement est assurément Star Trek, série créée par Gene Roddenberry en 1966. Si pour beaucoup, elle reste un programme désuet, à destination d'un public restreint, boutonneux, amateur de sciences, et dans lequel les héros se promènent en pyjama, il ne fait aucun doute que son influence sur les technologies actuelles est colossale. Avec le temps - les séries dérivées et les films aidant - Star Trek est parvenue à toucher un plus large public, même si la série originale, produite entre 1966 et 1969, ne profite pas de la même bienveillance. À l'exception des « vrais » fans, plus communément appelés Trekkies ou Trekkers, Star Trek Classic peine à se défaire de son image kitsch, et beaucoup ignorent (ou réfutent) son impact.


Les pionniers

Martin Cooper est considéré comme l'inventeur du premier portable chez Motorola, et il est le premier à avoir passé un appel téléphonique avec un appareil cellulaire portatif en 1973. Il a toujours reconnu qu'il avait trouvé l'inspiration en regardant le Capitaine Kirk utiliser son communicateur dans Star Trek ! Pour la petite histoire, le premier modèle de téléphone à clapet de Motorola, vendu en 1996, s'appelait le Star TAC.

Nous l'avons vu, plusieurs auteurs avaient imaginé des tablettes numériques bien avant Star Trek. C'est le cas de Douglas Adams dont le célèbre Guide du voyageur galactique fonctionne de la même manière, à savoir un objet électronique plat, connecté à un réseau et utilisé comme encyclopédie et guide de voyage (prémices des applications GPS et tourisme). Mais c'est avec Star Trek : La Nouvelle Génération (1987-1994) que l'idée de la tablette gagne en visibilité grâce aux PADDs (Personal Access Display Devices), que les personnages utilisent pour lire des rapports ou transmettre des informations. Les PADDs ajoutent la notion d'écrans tactiles, omniprésents dans la série, et continuellement utilisés par les protagonistes. Lorsque les concepteurs d'Apple travailleront sur leur première tablette tactile, deux décennies plus tard, ils reprendront la forme et le nom de ces tablettes pour créer... l'iPad.

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Okudagrammes

Mais au-delà des tablettes, c'est bien dans le domaine des interfaces homme-machine que l'empreinte de Star Trek est la plus prégnante. C'est ainsi que les scénaristes mettent au point une interface graphique commune à toutes les séries, appelée LCARS (Library Computer Access and Retrieval System). Des postes de pilotage aux différentes consoles, en passant par les tablettes tactiles, tous les équipements informatiques vus dans la saga exploitent cette même interface. Par la suite, tandis que le LCARS devient plus génériquement une bibliothèque de données, l'interface est baptisée « Okudagramme », nom choisi en référence à Michael Okuda, conseiller technique à l'origine des nouveaux panneaux de contrôle dans la série.

Lorsque Rob Haitani engendre l'interface des premiers Palm en 1993, il s'inspire directement des Okudagrammes, tandis que Mike Kruzeniski, à qui nous devons l'interface du Windows Phone 7, reconnaît des points communs avec les Okudagrammes. On peut donc estimer que ces derniers restent le modèle de toutes les interfaces tactiles que nous connaissons aujourd'hui, d'autant que dans Star Trek, il y avait aussi la possibilité de réorganiser les écrans, les fenêtres et les onglets d'application à sa guise et à la volée !

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Pour la petite histoire, la chaîne CBS (qui diffusait Star Trek) propose une application iPad - le Star Trek PADD - qui reproduit LCARS sur la tablette d'Apple. Précisons que cette application est très décriée par les Trekkies.

Poursuivons notre voyage à bord de l'Enterprise puisque c'est là qu'apparaissent aussi les premiers écouteurs Bluetooth : Nyota Uhura (Nichelle Nichols) est l'officier chargé des communications à bord du vaisseau dans la série originale. À ce titre, elle gère les communications avec l'extérieur de l'astronef et utilise pour cela une oreillette ou un écouteur sans fil, simplement logé dans son oreille ! De nos jours, voir quelqu'un dans la rue qui parle tout seul, les mains dans les poches, n'étonne (presque) plus personne. Mais à l'époque, une oreillette comme celle d'Uhura est perçue comme de la science-fiction, d'autant que rien ne la reliait physiquement à un autre appareil.

Autre équipement classique dans Star Trek, le tricordeur conçu pour détecter, enregistrer et analyser, mais dont les fonctions se développent rapidement au fil des épisodes (connexion à un système informatique, passerelle d'interface, soins médicaux). Au milieu des années 1990, la société Vital Technologies s'en inspire intentionnellement pour créer son TR-107 Mark 1 qui vise à remplir diverses tâches scientifiques (mesure d'un champ électromagnétique, thermomètre, baromètre, mesure de la luminosité, etc.). 10 000 exemplaires furent vendus avant que l'entreprise ne disparaisse. Plus proche de nous, Moonblink (développeur sous Android) avait mis au point une application qui imitait le tricordeur en proposant d'analyser le niveau de décibel ou les champs magnétiques par exemple. Non officielle, CBS a demandé à ce qu'elle soit retirée de la boutique Android.

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Retour vers le passé

Si Star Trek s'impose comme un vivier d'idées foisonnant (traducteur universel, hologrammes, commandes vocales), ce n'est pas le seul. Retour vers le futur 2 (1989) est aussi une référence en matière de science-fiction devenue réalité. Le film de Robert Zemeckis fourmille de ces petites choses qui nous faisaient rêver en 1989 et que nous utilisons dorénavant sans y prêter attention.

Rappelons qu'une partie du film installe son action en 2015 - soit l'année prochaine - et que dans ce futur, les tablettes tactiles sont omniprésentes (l'homme qui propose de signer numériquement une pétition pour sauver l'horloge), tout comme la domotique gérée en partie par commande vocale (maison des McFly), le vidéo-chat est monnaie courante (lorsque Marty parle à son patron), les films en 3D occupent les cinémas (Les dents de la mer 19), la sécurité biométrique est entrée dans les mœurs (scanner d'empreinte en remplacement de la clé de la maison), des lunettes vidéos permettent de regarder des films ou la TV (le fils de Marty), les jeux vidéo utilisent des détecteurs de mouvements (Marty tire sur une borne d'arcade), ou encore, Nike commercialise des chaussures qui se lacent automatiquement. Toutes ces inventions fantaisistes à l'époque sont disponibles de nos jours : les tablettes tactiles, la domotique, le vidéo-chat via Skype et consorts, les films en 3D, les contrôles biométriques, les lunettes vidéos avec les casques de Sony ou l'Oculus Rift, les jeux vidéo sans fil avec la Wii ou le Kinect, et même des Nike dotées de l'auto-laçage, que la marque commercialisera en 2015 !


Au final la science-fiction avait bien imaginé, voilà des années, des objets et technologies entrés dans notre quotidien. Mais il y a aussi d'autres domaines, moins orientés grand public, que la SF avait devancés. C'est le cas de l'intelligence artificielle et de la robotique, que des auteurs comme Isaac Asimov, Frank Herbert ou Philip K. Dick ont abordé très tôt dans leurs romans, avant que le cinéma ne s'empare du sujet (Blade Runner, 2001, Terminator, Robocop). Aujourd'hui, voir un robot ou envisager une IA n'étonne plus grand monde, même si nous n'en sommes qu'aux balbutiements. Et lorsque nous regardons les progrès réalisés par la science au cours des vingt dernières années, on se dit que la science-fiction a toutes les chances de voir ses spéculations les plus folles devenir réalité un jour ou l'autre. Un jour pas forcément si loin de nous... Reste la question que soulèvent toutes ces considérations : est-ce la science-fiction qui stimule la science, ou la science qui inspire la science-fiction ? Et si la réponse était simplement « 42 »...
Louis-Charles Rostand
Par Louis-Charles Rostand

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