Si l'art doit être un reflet de son temps, l'essor possible d'une société connectée jusque dans son corps ne semblait pas ou peu intéresser les dramaturges contemporains. Pourtant, venus de Belgique, six artistes ont décidé de s'emparer du sujet pour en expérimenter tous les extrêmes, notamment dans leur dernière création intitulée Human Decision.
Comme des jumeaux asexués dans leurs combinaisons aux couleurs binaires, habillés d'un décor à la neutralité toute cybernétique, les six Bruxellois explorent notre futur. Des applications qui s'enclenchent et se désenclenchent dans le corps et autres comiques de situations inédites, Human Decision porte intelligemment le doigt sur nos responsabilités individuelles en tant que décisionnaires : si risque il y a, il est inhérent à notre choix propre et non à la technologie elle-même. N'en déplaise à Molière, ici le rire n'est pas tant une arme qu'une question permanente.
« On est une équipe où il y a pas mal de geeks » avouent-t-ils, questionnés par nos soins. Aveu que l'on ne manquera pas non plus de déceler dans une scénographie sophistiquée, où l'esthétique futuriste est léchée : des jeux de perspective permanents feraient presque passer l'espace de la scène pour un espace virtuel.
Le processus d'identification poussé à son paroxysme
Si la compagnie innove par le choix de ses sujets, elle le fait aussi grâce au parti pris assumé de l'interactivité. C'est peut-être l'enjeu créatif le plus important de Human Decision : grâce au site web de la compagnie, le spectateur est amené à répondre à un questionnaire en ligne, à l'issue duquel il est, en fonction de ses choix, associé à l'un des quatre comédiens (devenus « avatars », pour l'occasion). Connu depuis l'Antiquité, cet étrange et puissant phénomène d'identification aux personnages par le spectateur est ici interrogé, peut-être même décuplé.L'interaction semblerait porter y compris sur le contenu du spectacle : « Chacune de vos réponses aura des conséquences sur le spectacle et sur votre perception. Ce questionnaire nous permettra également de mieux vous connaître et de vous attribuer un avatar ». Mais c'est aussi « une mise en condition du spectateur » explique Louise Baduel, l'une des deux conceptrices de la pièce avec Leslie Mannès, dans laquelle « le spectateur arrive déjà avec un petit bagage de réponses ».
Sur une autre page du site, des « modules » ou « tutoriels du futur » installent déjà le spectateur dans un espace ironique et loufoque. La diversité étonnante des supports préludant à Human Decision fait écho à une réflexion sur la question du « transmédia » (développer un univers fictionnel cohérent sur divers supports médiatiques), née dans le cadre d'une résidence à Montbéliard.
L'échec 2.0
Comme pour le premier spectacle qui donnera son nom à la compagnie, c'est aussi « le portrait du looser » qui est dressé, selon les termes même de System Failure. « Comme les machines ne sont pas infaillibles, les hommes défaillent », événement pour le moins inattendu dans un monde qui a pour raison d'être la performance et l'éviction des erreurs. « Dans l'échec il y a quelque chose de très tendre » poétisera Leslie...Les deux prochaines représentations de Human Decision se dérouleront le 25 et 26 novembre à la Maison de la Culture de Tournai (Belgique), dans le cadre du festival Next. A noter aussi des représentations du spectacle précédent System Failure près de Paris : Le 23/01/16 au théâtre Paul Eluard de Bezons et le 30 et 31/01/16 au théâtre Victor Hugo de Bagneux.
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