Et quoi de plus naturel, finalement, que l'artiste embrasse la modernité ? Ignoré à ses débuts, David Bowie connaît son premier succès avec Space Oddity, une chanson pile dans l'air du temps : les aventures du Major Tom dérivant dans l'espace, fasciné par le bleu de la planète Terre sortent le 11 juillet 1969, quelques jours avant les premiers pas de Neil Armstrong sur la Lune.
Depuis, la chanson est devenu un hymne pour les astronautes, qui connaît son plus beau développement lorsque le commandant Chris Hadfield l'interprète depuis la Station Spatiale Internationale, le 12 mai 2013. David Bowie s'implique alors personnellement pour autoriser sa diffusion sur YouTube. Initialement prévue pour un an, elle sera prolongée de deux ans, et peut encore être visionnée aujourd'hui.
C'est le début d'une carrière musicale foisonnante, où Bowie, jamais effrayé par le changement et la réinvention de soi, n'hésite pas à transformer complètement son apparence ou son style musical. Pas forcément pionnier mais toujours curieux de nouvelles sonorités, il mêle son rock aux expérimentations synthétiques de Brian Eno dans les magnifiques Heroes ou Low, influencés par Kraftwerk qui lui renvoient l'ascenseur en le croisant dans leur Trans Europe Express (« From station to station in Dusseldorf City, meet Iggy Pop and David Bowie »). Plus tard, dans les années 90, il s'intéresse notamment aux sonorités industrielles et aux rythmes drum'n'bass dans les albums Outside et Earthling.
Bowienet : un FAI dédié aux fans
Mais cette curiosité, et c'est ce qui nous intéresse, David Bowie ne l'applique pas qu'à sa musique : elle dicte l'ensemble de sa démarche. L'exemple le plus caractéristique est son rapport à Internet, une histoire qui remonte déjà aux années 90. Alors que les modems ne commencent qu'à pulluler dans les foyers, il propose déjà son nouveau single d'alors, Telling Lies au téléchargement, en 1996. Deux ans auparavant, il avait cédé à la mode des CD-Rom avec Jump, permettant de réaliser son propre montage de ses clips, même si pour la peine, il n'était pas le seul.En 1998, il va encore plus loin avec Bowienet, un fournisseur d'accès à Internet permettant aux fans de l'artiste d'obtenir des infos et des contenus exclusifs. Avec la possibilité de créer une adresse Bowienet, et l'intégration d'un espace perso de 5 Mo (rappel : on est en 1998 !), on pourrait presque dire qu'il est l'un des premiers artistes à fédérer ses fans sous une forme de réseau social.
Persuadé que l'Internet va révolutionner les relations entre les créateurs et leur public, au point de briser les frontières entre les deux, Bowie ouvre même aux fans les portes de ses chansons : il lance en 1999 un concours dont le but est d'écrire les paroles manquantes d'un de ses nouveaux titres, la première cyber song comme il l'appelle. L'heureux gagnant, un certain Alex Grant, se voit crédité dans son album Hours, pour la chanson What's Really Happening.
The Nomad Soul : Bowie dans un jeu vidéo
L'album Hours connaît une autre déclinaison high tech : il fait figure de bande son pour un jeu vidéo, le mythique Omikron : The Nomad Soul, premier pas du studio Quantic Dream (Heavy Rain, Beyond : Two Souls). Dans la ville futuriste d'Omikron, le joueur peut assister à des concerts virtuels du groupe The Dreamers, dont le chanteur n'est autre qu'un David Bowie modélisé en 3D. Une suite logique pour le créateur de Ziggy Stardust, aux multiples identités. Il joue d'ailleurs deux rôles dans le même jeu puisqu'il prête aussi ses traits à l'hologramme Boz.Et si Nomad Soul a marqué les esprits, ce n'est pas la première apparition de David Bowie dans un jeu vidéo. Ce serait oublier - et c'était notre cas - l'adaptation du film Labyrinth, sorti en 1986 sur Commodore 64. Produit par George Lucas et Jim Henson, ce successeur spirituel de Dark Crystal était un des quelques rôles marquants de Bowie au cinéma. Le jeu vidéo, réalisé par Lucasfilm Games (futur LucasArts), peut être considéré comme un précurseur de leurs nombreux point and click comme Maniac Mansion, The Secret of Monkey Island ou Sam and Max. Et naturellement, le Goblin King campé par Bowie y apparaît tout en gros pixels.
L'industrie du jeu vidéo l'a d'ailleurs célébré d'une certaine manière : Hideo Kojima est notamment connu pour glisser de multiples clins d'oeil à son oeuvre musicale dans plusieurs épisodes de Metal Gear Solid.
Une frustration demeure : la montée en puissance du mobile, des réseaux sociaux et de YouTube se produit alors qu'il a déjà entamé son long silence, de 2003 à 2013. On aurait adoré savoir ce qu'un Bowie au summum de sa productivité aurait fait de l'App Store ou des réseaux sociaux, autrement que pour orchestrer ses ultimes, et énigmatiques réapparitions. En 2013, le clip de son premier titre en 10 ans, Where Are We Now, apparait sur YouTube, sans crier gare, une communication reprise pour les deux vidéos, désormais prophétiques, de Blackstar et Lazarus.
Toujours est-il que même distant, flottant quelque part dans les étoiles comme le vaisseau du Major Tom, David Bowie n'a jamais été au rang des sceptiques et des grincheux, et c'est aussi pour ça qu'on salue ce génie. Conscient de l'inéluctable transformation de l'industrie du disque, il affirmait, dès le début des années 2000, que la musique deviendrait « comme l'électricité ou l'eau courante » et qu'il était inutile de s'opposer à ce processus : l'évolution était une question de survie. Un discours rafraichissant face aux artistes rétrogrades qui s'époumonaient alors contre le téléchargement illégal, puis contre les services de streaming légitimes. Qui remplacera cette étoile désormais éteinte ?