© Moby Games
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Si, chaque année, vous attendez fébrilement l’arrivée des nouvelles versions de PES ou de FIFA. Si le duel entre les seuls jeux de foot actuellement sur le marché vous préoccupe alors c’est que vous n’êtes pas « un vrai ». Qu’on se le dise, il n’existe qu’un seul véritable représentant du genre. Ce monument, c’est Kick Off et nous nous proposons de revenir aujourd’hui sur son cas.

Aux antipodes de la bataille des téraflops, de la 4K et des 60 fps, NEO•Classics vous propose un retour vers les origines du jeu vidéo. Du titre 2D en gros pixels au moins lointain jeu à la 3D hésitante, cette chronique vous invite à (re)découvrir les pépites vidéoludiques qui ont ouvert le monde au 10e art...

Imaginez des jeux vidéo de foot où le ballon colle au pied du joueur. Peu importe la direction imprimée avec le joystick, peu importe les mouvements débiles que l’on peut imposer au joueur, le ballon adhère irrémédiablement à la chaussure. Si cela peut paraître inconcevable aux moins de 40 ans, c’était pourtant le cas sur (presque) tous les jeux vidéo de football avant que ne s’en mêle un certain Dino Dini.

L'affiche est moche... le jeu aussi, il faut bien le reconnaître © Moby Games
L'affiche est moche... le jeu aussi, il faut bien le reconnaître © Moby Games

Kick Off premier du nom : la révolution

Âgé d'à peine vingt ans, totalement inconnu et récemment embauché par la société Anco, Dino Dini se voit confier la mission – un peu casse-gueule au demeurant – de concevoir un jeu de football. Le sport est évidemment très populaire, mais les ordinateurs 16/32-bit – Atari ST et Amiga 500 – n’ont aucun jeu de football digne de ce nom. Dino Dini se met donc au travail alors que lui-même ne pratique pas le football et ne l’apprécie qu’au travers des retransmissions télé des grandes rencontres internationales, surtout celles de l’Angleterre et de l’Italie.

L’idée principale de Dino Dini pendant le – bref – développement de Kick Off est de capturer l’essence du football plutôt que de proposer quelque chose de magnifique. Il n’est donc pas question d’insister sur la représentation des joueurs – qui, il faut l’avouer sont pour le moins sommaires – mais de se focaliser sur la physique du ballon. Dans l’immense majorité des jeux avant Kick Off, le ballon est un accessoire. Nous le disions précédemment, dès lors qu’un joueur s’en empare, il adhère à sa chaussure sans qu’il soit nécessaire de faire le moindre effort pour le conserver, le contrôler.

Vous pensez bien qu’à la sortie de Kick Off au milieu de l’année 1989, c’est une petite révolution. Le ballon a une « existence propre » et durant les premières parties, il faut lutter pour lui imposer notre volonté. Pas mal de joueurs de l’époque critiquent d’ailleurs vertement cet aspect « anti-ludique » et la difficulté qui en découle. Dans Tilt, magazine de référence de l'époque, Kick Off écope d’ailleurs d’un 15 sur 20 quand Microprose Soccer – sorti simultanément – se voit gratifier d’un 18. Mais voilà, passé cette difficulté d’accès, l’intérêt ludique de Kick Off est incomparablement supérieur et qui se souvient de ce Microprose Soccer pourtant développé par un certain, Sensible Software ?

Kick Off 2 considéré comme le meilleur jeu de foot par la Rédaction de Tilt

Kick Off 2 : les progrès, la confirmation

En effet, la question du contrôle de la balle – finalement à la base du football en lui-même – est la clé d’une partie de Kick Off et si la chose est d’abord délicate, la satisfaction n’en est que plus grande au moment de réussir un centre, de repousser un ballon sur la ligne ou de le propulser au fond des filets sur corner ! La vue de dessus est assez nouvelle pour l’époque, mais elle assure un côté plus tactique aux matchs et grâce à la présence d’un petit « radar », on voit immédiatement la position de ses joueurs ainsi que les effets d’un changement de tactique.

Quelques semaines après la sortie de Kick Off sur Atari ST, c’est la version Amiga qui arrive et, avec elle, plusieurs petites améliorations esthétiques comme la disparition de ces disgracieuses bandes vertes sur le terrain. Reste que la véritable évolution c’est avec la sortie de la suite – Kick Off 2 – moins d’un an plus tard. Dino Dini est toujours à la baguette, une fois encore épaulé par un compère de chez Anco, Steve Screech… un compère qui s’invite dans le jeu puisqu’un arbitre – particulièrement généreux en cartons rouges – porte son nom.

Kick Off 2 en version Amiga © Retro Hawk

Kick Off 2 c’est Dino Dini qui vient pour passer la seconde couche et, ce faisant, mettre tout le monde d’accord. En premier lieu, cette suite apporte davantage de décorum à un jeu qui était un peu aride. Les options sont plus nombreuses avec des modes entraînement, championnat ou coupe, de multiples équipes, la possibilité de créer ses propres couleurs et la gestion des ralentis… que l’on peut même refiler aux copains sur disquettes. Des copains que l’on invite aussi pour des matchs à deux, trois voire quatre joueurs en même temps pourvu que l’on dispose du précieux adaptateur.

Plus important, Kick Off 2 revient sur toutes les petites « impuretés » qui venaient gâcher le quotidien des joueurs : le changement de tactique en plein match, la gestion des effets sur la frappe, la puissance au moment du corner ou du coup franc, les remplacements et les gardiens qui se laissent moins facilement bernés par les attaquants… même si le terrible crochet dans la surface de réparation fera encore pleurer dans de nombreuses chaumières et nous ne parlerons pas du fameux but sur lob depuis le milieu de terrain qui pouvaient provoquer bien des crises de nerfs !

Que d'options pour frapper le corner ! (Kick Off 2, Amiga) © Moby Games

Player Manager, la vraie / fausse suite

Quelques mois après la sortie de Kick Off premier du nom, mais avant celle du second opus, Anco et Dino Dini ont imaginé un titre particulier que nous ne pouvions manquer de mentionner ici, même s'il n'est pas à proprement parlé intégré à la franchise Kick Off. Ce titre, c'est Player Manager, un jeu dans lequel nous incarnons un international anglais de 28 ans décidé à relever un nouveau défi dans sa carrière : prendre en main – en tant qu'entraîneur-joueur – une équipe de troisième division pour lui faire gravir, un à un, les échelons de la gloire.

Player Manager intègre donc tout un côté management. Il s'agit de se rendre auprès des joueurs pour consulter leur forme du moment, se pencher sur les contrats, faire un tour sur le marché des transfert pour se débarrasser des « inutiles » et faire signer de futures vedettes, mais aussi définir des tactiques à même de surprendre les adversaires ou rencontrer le board pour vérifier les finances du club. Enfin, il était surtout question d'établir la feuille de match et arriver sur le terrain.

Là, on troquait les tableaux de gestion pour le « moteur » de Kick Off version Extra Time. On dirigeait l'équipe ou seulement son alter ego… une option qui donnait au jeu toute sa saveur : on tremblait en voyant les actions loupées de ses protégés et on ne rêvait que de prendre en main le joystick ! Player Manager insufflait une dynamique différente des autres jeux et votre serviteur a passé des centaines d'heures avec son John Barnes qu'il a poussé jusqu'à 52 ans passés sur les terrains d'une Premier League qui n'en avait pas encore le nom.

Player Manager en version Amiga © Njenkin

Des extensions pour le moins inégales…

Kick Off et, donc, plus encore Kick Off 2 ce sont des sensations inégalées à l’époque. Les puristes ne manqueront pas de faire remarquer que tout cela n’est pas très réaliste et les amateurs d’arcade de souligner que ça manque de « peps ». Nous préférons retenir un plaisir de jeu incroyable et une véritable courbe d’apprentissage comme les jeux de sport n’en avaient que rarement durant les années 80 : chaque match est l’occasion d’apprendre, de mieux gérer ses passes et ses blocages, chaque compétition, l’occasion d’affiner sa tactique, sa maîtrise du tacle.

Kick Off 2 a rapidement rallié tous les suffrages et il est vite devenu LE jeu de football dont tout le monde parle, au moins sur Atari ST et Amiga. Hélas, le succès est un peu monté à la tête d’Anco et ce qui aurait pu constituer un merveilleux tremplin pour un éditeur autrefois plus connu pour ses Strip Pokers que pour ses grandes innovations vidéoludiques, a fini en soupe à la grimace. Plus de quinze ans avant que ce ne soit la mode des DLC, Anco a d’abord multiplié les « suites » à peine améliorée pour surfer sur le succès de Kick Off 2.

Si, si, les joueurs célèbrent un but dans The Final Whistle (Amiga) ! © Njenkin via Youtube

Les plus experts argueront que Kick Off premier du nom avait déjà eu droit à son « extension » avec Kick Off: Extra Time (Prolongations en bon français) qui n’apportait finalement pas grand-chose. Reste que c’est avec Kick Off 2 que les choses ont commencé à partir en vrille. Pensez qu’en moins de dix-huit mois, ce ne sont pas moins de quatre versions supplémentaires de Kick Off 2 qui ont été distribuées : Giants of Europe avec ses 32 équipes européennes, Wining Tactics et son ensemble de vingt tactiques, Return to Europe qui ajouta les trois compétitions de clubs européens.

Seule la dernière, The Final Whistle – qui porte décidément bien son nom – pouvait justifier la dépense. Elle aura été la seule à revenir sur le gameplay du jeu avec une refonte des corners et des coups francs, la gestion du jeu à une touche de balle et l’intégration des retournés acrobatiques. Hélas, mille fois hélas, il s’agissait en quelque sorte du chant du cygne, du baroud d’honneur d’un Dino Dini qui n’allait pas tarder à quitter Anco après de multiples heurts avec Anil Gupta, patron de la société. Heurts à propos desquels on ne saura jamais le fin mot de l’histoire, Gupta est mort en 2003 sans en avoir parlé ouvertement.

Kick Off 3 (Amiga) signe un retour - malheureux - à une représentatin latérale © Moby Games

… et des suites complètement foireuses

Avec le départ de Dino Dini, c’est un peu l’âme de Kick Off qui s’en est allé et si Anco garde la propriété du jeu, cette dernière n’a d'« intellectuelle » que le nom. En effet, malgré sa bonne volonté, Steve Screech est incapable de donner une véritable suite au bijou de Dino Dini. Sorti en 1994 sur Amiga, Kick Off 3 est une catastrophe sur presque toute la ligne. Signe qui ne trompe pas, la vue de dessus qui faisait toute la singularité du jeu est troquée pour une représentation latérale comme pouvaient en proposer tous les jeux « d’avant ».

Plus gênant encore la fameuse conduite de balle « à la Kick Off » est oubliée pour quelque chose de plus accessible, mais aussi de terriblement quelconque. Malgré des critiques plus que mitigées et un succès commercial dont on peut douter, Steve Screech et Anco ont continué sur leur lancée, avec Kick Off 96, Kick Off 97, Kick Off 98, Kick Off World et Kick Off 2002 avant que le décès d’Anil Gupta mette un terme brutal aux activités d’Anco. Cette disparition signa la fin de la franchise qui, de toute façon, n’avait plus rien à voir avec le mythe sorti en 1990.

De son côté, Dino Dini a confirmé son amour pour les jeux de foot avec Goal en 1993. Pour beaucoup, il s’agit de la véritable suite spirituelle de Kick Off 2, mais elle ne donna lieu à aucun autre opus. Pire, vingt ans plus tard et sans que l’on sache très bien pourquoi, Dino Dini a pris la décision de se caricaturer avec la sortie de Kick Off’s Revival en 2016 / 2017 sur PS4 / PC. À peine plus « beau », mais moins complet et surtout moins subtile que l’illustre ancêtre, ce revival du pauvre a porté le coup de grâce à une franchise qui restera dans les mémoires des quarantenaires. Merci pour tout Dino et sans rancune M. Dini !

Kick Off (Atari ST) © Moby Games