Dans quelques semaines, Elite Dangerous va connaître une révolution avec l’arrivée de sa seconde extension et la possibilité de poser le pied hors de notre vaisseau. Profitons-en pour nous pencher sur la genèse de cette franchise homérique – n’ayons pas peur des mots – qui a inspiré de nombreux développeurs et bouleversé la jeunesse de votre humble serviteur. Tadada… tadada… tadada, da, da, da… Tadada… tadada… tadada, da, da, da… Tadadadada… Tadadadada…
Aux antipodes de la bataille des téraflops, de la 4K et des 60 fps, NEO•Classics vous propose un retour vers les origines du jeu vidéo. Du titre 2D en gros pixels au moins lointain jeu à la 3D hésitante, cette chronique vous invite à (re)découvrir les pépites vidéoludiques qui ont ouvert le monde au 10e art...
Vous n’avez pas reconnu le Beau Danube Bleu, intemporelle valse écrite par Johann Strauss fils en 1866 et notamment reprise par Stanley Kubrick dans 2001, l’Odyssée de l’espace ? Qu’importe, il s’agissait de faire un clin d’œil à la fameuse séquence d’appontage d’Elite, qui est elle-même une référence à celle du film du réalisateur britannique, reprise plusieurs fois par la franchise.
8 galaxies et 2 048 systèmes sur moins de 20 Ko
1983. David Braben et Ian Bell n’ont pas 20 ans. Étudiants à Cambridge, ils se rencontrent lors d’un dîner et commencent à travailler sur un projet qui n’a pas encore le nom d’Elite. Un an et demi plus tard – et autant de temps à apprendre l’un de l’autre – Elite est commercialisé par Acornsoft sur Acorn Electron, un ordinateur britannique, inconnu de notre côté de la Manche. Nous sommes septembre 1984, une petite révolution est en marche avec, à la base, un concept redoutable de simplicité.
Dans Elite, le joueur incarne le Commander Jameson, pilote d’un Cobra MKIII arrimé à la station Lave et disposant d’un capital de 100 crédits. À partir de là, plusieurs choix sont possibles et autant de finalités différentes : accumuler un maximum de crédits pour faire évoluer son vaisseau, atteindre le statut de pilote « élite » grâce à ses combats ou découvrir ce qui se cache dans les huit galaxies que comporte l’univers du jeu. Forcément, aujourd’hui, cela fait sourire, mais ces 2 048 systèmes sur huit galaxies sont une prouesse en 1984.
À gauche David Braben et Ian Bell à la sortie d'Elite (1984) et, à droite, David Braben présente Elite Dangerous en 2016
Un chiffre impressionnant, d’autant que les systèmes sont uniques et que tout tient en 20 Ko : et pour cause, il fallait faire avec les limites techniques de l’Acorn Electron et de ses 32 Ko de RAM.
Graphiquement aussi, on pouvait parler « d’exploit ». Alors que les jeux faisaient usage de sprites en bitmap, Elite était en 3D. On ne parlait alors pas de normal map et aucune texture n’était au menu. Elite repose sur de la 3D « fil de fer » qui, en 1984, avait quelque chose de futuriste. Les vaisseaux tournaient sur eux-mêmes de manière fluide… Et l’introduction en faisait la démonstration.
On se souviendra aussi de la difficulté de l’appontage : une séquence qui impliquait de corriger l’assiette du vaisseau par rapport à la station orbitale en rotation constante. Infernal au clavier ! Par la suite, les choses devenaient plus simples grâce à l’achat d’un ordinateur de bord.
Acheter des biens industriels dans un système développé et les vendre sur un monde agricole pour ramener des aliments constituait le début de toute partie, avant que les combats, la piraterie, le mercenariat et, enfin, les Tharghoids ne s’en mêlent.
250 000 lignes de code pour Frontier : Elite II
Ce cocktail détonnant assurait une grande liberté, même si pour rentrer dans Elite, il fallait parvenir à se raconter des histoires. Il y a bien un scénario, mais il est sommaire et la manière de le présenter est pour le moins spartiate. La suite a d’ailleurs notablement amélioré ce point.
Frontier: Elite II est arrivé en 1993 après de multiples portages du jeu originel (BBC, CPC, C64, ST, Amiga, NES, DOS…). Il conserve un canevas identique à celui d'Elite, mais il en étoffe considérablement « l’enveloppe ».
Ainsi, alors qu’Elite dépeint un univers fictif, calculé procéduralement, Frontier reproduit notre galaxie en exploitant des données astronomiques aussi justes que possible. Au choix, on peut débuter la partie dans le système Ross154 ou sur Mars, mais toujours avec un Cobra MKIII et 100 crédits en poche. Le concept n’a pas bougé d’un iota en presque dix ans. David Braben – qui n’est plus accompagné de Ian Bell sur ce projet – a repris la même formule pour lui appliquer la recette de M. Plus.
L’univers est plus réaliste, les vaisseaux plus nombreux et un nouveau système de missions à bord des stations est introduit. Nos interlocuteurs ont maintenant un visage, et la 3D, elle, profite de « surfaces pleines ». Mieux, il devient possible de se poser à la surface des planètes ! On traverse les couches nuageuses, on survole d’immenses étendues d’eau et on découvre des cités planétaires. Certes, il faut une belle imagination pour y croire.
Toujours en assembleur, Frontier contient 250 000 lignes de code, mais le jeu garde un côté « compact » avec son unique disquette, à laquelle on ne touche plus de la partie après un chargement initial de quelques dizaines de secondes.
La possibilité de « miner » les astéroïdes s’ajoute aux activités de commerce, à la piraterie et au mercenariat. Deux factions s’opposent maintenant – la Fédération vs. l’Empire – avec des tâches spécifiques et des grades. Enfin, il est possible de changer d’appareil.
Frontier - First Encounters : le nid de bugs
Au total, ce sont 31 vaisseaux qui sont disponibles – et jouables – avec des orientations différentes : il y a des chasseurs légers, des transporteurs, de véritables petits croiseurs de combat et des vaisseaux d’exploration. En dehors de quelques légers bugs, Frontier est une grande réussite qui a confirmé le talent de David Braben, lequel s’est laissé embarquer dans une triste histoire avec le développement du troisième opus, Frontier: First Encounters.
Cette fois, David Braben fait équipe avec l’éditeur GameTek. L’idée est surtout de profiter des progrès techniques des PC pour étoffer Frontier, et on peut avoir l’impression d’une version « étendue » du jeu de 1993.
L’interface est largement revue, de multiples textures sont appliquées à tous les vaisseaux, aux stations et aux planètes alors que l’ensemble profite d’une mise à niveau technique réussie… À condition de faire abstraction des bugs.
À l’époque, First Encounters est l'archétype du jeu sorti avec précipitation de peur de se faire déborder par des concurrents. Il faut dire que dans le même temps, l’Américain Origin développe Privateer, un titre qui reprend le concept d’Elite en lui appliquant le traitement graphique Wing Commander. La richesse des deux univers est toutefois sans commune mesure et on se sent bien plus libre sur First Encounters. Reste que l’aspect graphique, lui, est à des années lumières du titre d’Origin.
David Braben fait alors preuve de solidité et, face aux multiples critiques, il s’attèle à la correction des bugs afin que le jeu ressorte « finalisé ». Hélas, les joueurs accordent rarement une seconde chance et la ressortie du titre est intervenue trop tard : le public était passé à autre chose. Ne restait alors plus que les fans de la première heure, pour qui ce Frontier: First Encounters n’a pas du tout à rougir. À l'époque, il parvenait même à donner un côté épique au scénario avec, notamment, la mission de Mick Turner et de son vaisseau, l’Argent’s Quest.
Un an avant First Encounters sortait Privateer, moins vaste, mais tellement plus maniable © Moby Games
Le rêve du jeu en ligne : Elite Dangerous
Malgré des avancées techniques majeures pour l’époque, avec la systémisation des textures et l’usage de l’ombrage de Gouraud, David Braben n’a pas souhaité poursuivre le développement de la licence. Pendant des années, l’hypothèse d’un Elite IV a été l’objet de rumeurs sans que le principal intéressé ne commente vraiment la chose.
Et finalement, un peu à la surprise générale, voilà que le studio Frontier Developments – monté par David Braben – lance, en novembre 2012, une campagne Kickstarter.
L’idée était de vérifier l’intérêt des joueurs – près de vingt ans après le dernier opus – pour un nouvel Elite. Les univers spatiaux se font rares et les jeux « de vaisseau » sont désormais inexistants. La campagne est un franc succès et après plusieurs bêtas, Elite Dangerous sort le 16 décembre 2014.
La suite n’a plus tout à fait sa place dans NEO•Classics, mais ce quatrième opus répond à tellement d’attentes de la part des fans de la première heure qu’il nous semblait indispensable de l’évoquer ici.
Depuis le premier Elite, on se demandait ce que pourrait donner un jeu où les « autres » seraient incarnés par de vrais humains, un jeu où l’économie évoluerait en fonction des actions des joueurs et où d’immenses tâches pourraient être entreprises à plusieurs. Pour être tout à fait honnête, Elite Dangerous ne répond pas à toutes ces aspirations, mais il coche de nombreuses cases et s’il doit faire avec les débordements liés à toutes les communautés en ligne, le jeu est – comme ses prédécesseurs – rudement doué pour nous pousser à nous raconter des histoires.
Après une première extension – Horizon – autorisant pour la première fois à se déplacer sur les planètes aux commandes d’un rover, Elite Dangerous devrait recevoir avant la fin de l’année le renfort d’une seconde extension, Odyssey. Il sera cette fois question de poser le pied hors de notre vaisseau, de faire équipe et de se la jouer « FPS » au travers de missions variées.
Un moyen d’étendre encore un peu plus la liberté promise depuis 1984 par Elite ?