« Come get some! », « Let’s rock! » ou « What are you waiting for? Christmas ? ». Autant de répliques cultes tirées du même jeu, prononcées par le même personnage… Et quel personnage ! Duke Nukem et plus précisément Duke Nukem 3D rappellera des souvenirs à plus d’un joueur tant le titre a fait l’effet d’une bombe dans le paysage bien lisse du jeu vidéo. Action et second degré, que demander de plus ?
Aux antipodes de la bataille des téraflops, de la 4K et des 60 fps, NEO•Classics vous propose un retour vers les origines du jeu vidéo. Du titre 2D en gros pixels au moins lointain jeu à la 3D hésitante, cette chronique vous invite à (re)découvrir les pépites vidéoludiques qui ont ouvert le monde au 10e art...
Alors que des personnages emblématiques comme Sonic ou, bien sûr, Mario, restent aujourd’hui encore très populaires, l’inénarrable Duke Nukem ne parlera peut-être à tous les lecteurs de cette chronique. Il a pourtant marqué son temps et, à sa sortie en 1996, on peut dire sans hésiter qu’il a révolutionné le genre du first person shooter.
Un genre encore naissant qui était jusque-là dominé de la tête et des épaules par un studio – id Software – et un jeu, un certain DOOM. Prenant tout le monde par surprise, le trio de 3D Realms (George Broussard, Scott Miller et Todd Replogle) ont donné un magnifique coup de pied dans la fourmilière alors « Hail to the King, baby! ».
« It's time to kick ass and chew bubble gum… And I'm all out of gum »
Le certificat de naissance de Duke Nukem évoque une arrivée sur nos écrans de jeu vidéo le 1er juillet 1991. Nous sommes alors très loin du monde du first person shooter et si Duke Nukem est appelé par la CIA pour mettre un terme aux agissements du Dr. Proton – une espèce de savant fou qui met en place sa propre armée cybernétique pour dominer le monde – c’est à un jeu d’action / plateformes que tout cela nous conduit. La petite équipe d’Apogee Software est alors l’une des reines du shareware, ce format de diffusion des jeux au travers d’une démo gratuite ne contenant souvent que le premier niveau, mais que l'on pouvait ensuite compléter / débloquer en contactant directement l'éditeur.
Certes, on reconnaît le héros, mais Duke Nukem premier du nom est loin de la légende du FPS © ultratee85
Loin d’être désagréable, Duke Nukem premier du nom et sa suite, Duke Nukem II, ne sont pour autant pas des cartons commerciaux. Il faut dire qu’à côté des mastodontes d’éditeurs comme Origin Systems, les titres signés Apogee Software font pâle figure : la réalisation est simpliste, les mécaniques de jeu empruntent beaucoup à des titres références et la comparaison avec ce qui peut se faire sur d’autres plateformes (Turrican, Mega Man) ne plaide pas en faveur des premières aventures de Duke. Pour ne rien arranger, dans le genre action, tous les yeux sont plutôt tournés vers la révolution FPS avec la sortie du prometteur Catacomb 3D, sorte de galop d’essai avant… Wolfenstein 3D.
En 1992, id Software alors partenaire d’Apogee Software distribue – toujours sous forme de shareware – ce qui est souvent considéré comme l’un des premiers véritables FPS. Le jeu est assez basique, mais son mode de représentation, la finesse de son graphisme et la vitesse de son animation suffisent à conquérir les foules, à lancer les bases du fameux DOOM et à donner des idées aux auteurs de Duke Nukem. Emballés par le travail de John Carmack et de ses petits copains, George Broussard et Todd Replogle demandent à Ken Silverman d’imaginer un moteur 3D capable de rivaliser avec celui d’id Software. Le Build était né.
À la manière de l’id Tech 1 – le moteur à la base de DOOM – le Build n’est toutefois pas un véritable moteur 3D. De manière un peu triviale, on le considère plus volontiers comme un 2,5D afin de souligner le fait que la géométrie de son univers est bidimensionnelle. L’astuce vient du fait qu’une composante de hauteur est ajoutée pour chaque secteur avec, parfois, des hauteurs de plafond / plancher différentes. Autre erreur souvent réalisée, le moteur Build n’a pas été inauguré avec la sortie de Duke Nukem 3D : Legend of the Seven Paladins, Witchaven et William Shatner’s TekWar – trois titres absolument mémorables, si, si, j'insiste – sont effectivement publiés avant le messie.
« Don’t have time to play with myself »
Nous sommes le 29 janvier 1996 et l’équipe de 3D Realms reste fidèle au format shareware pour cette première mouture de Duke Nukem 3D. La version finale du jeu n’arrivera que quelques mois plus tard, le 19 avril pour être tout à fait exact, mais dès la sortie de cette première mouture, le succès est au rendez-vous. De base, il ne s’agit pourtant que de reprendre les recettes déjà employées sur DOOM quelques années auparavant. On y contrôle donc un personnage – Duke – dans une vue à la première personne qui ne laisse voir que l’arme en main. Au travers de niveaux plus ou moins linéaires, l’objectif est simple : massacrer un maximum de vilains-pas-beaux qui tentent de nous barrer la route.
Après la sortie de DOOM, une foule de jeux se sont reposés sur ce même concept. Des jeux dont certains vétérans se souviendront sans doute, mais qui n’ont guère laissé de traces dans l’inconscient collectif : Rise of the Triad, Heretic, Marathon, Terminator Future Shock, CyberMage, Blake Stone, TekWar, Hexen, Witchaven… Si Duke Nukem 3D est parvenu à tirer son épingle du jeu, c’est en premier lieu par son côté délicieusement irrévérencieux. Véritable parodie des gros costauds du cinéma américain, ce bon vieux Duke est une caricature des Sylvester Stallone, Arnold Schwarzenegger et autres Dolph Lundgren. Il est grand, bodybuildé, blond avec les cheveux en brosse. Il a foi en ce qu’il fait et place l’Amérique au-dessus de tout le reste… sauf peut-être les jolies filles.
Clichés sur pattes, Duke détonne dans le monde encore très aseptisé du jeu vidéo. Bien sûr, DOOM a mis la violence et les flots d’hémoglobine au premier plan, mais en prenant soin de déshumaniser tout cela : avec Duke, les choses se passent sur Terre avec un héros tout ce qu’il y a plus « humain » et, aussi caricatural soit-il, très attachant. Ah oui, revenons quand même sur le scénario hautement inspiré qui pousse notre héros à partir en croisade. Duke revient de ses folles aventures spatiales – cf. Duke Nukem II – pour prendre des vacances bien méritées à Los Angeles. Vous vous en doutez, les choses ne se passent pas exactement comme prévu et les extra-terrestres sont passés à l’action.
Ils envahissent la Cité des Anges avec la volonté d’asservir l’humanité et de s’emparer de ses femmes dont ils sont tombés amoureux. S’ensuivent trois épisodes – L.A. Meltdown, Lunar Apocalypse et Shrapnel City – qui fonctionnent comme autant d’actes d’un scénario, finalement sans grande importance. Tout au long des 28 niveaux de la partie, l’essentiel pour Duke est surtout de mettre la main sur un maximum d’équipements afin de récupérer les cartes d’accès qui lui permettront de progresser. Des cartes qui sont le plus souvent à récupérer sur les cadavres d’affreux-pas-beaux pas tout à fait disposés à nous simplifier la tâcher.
« Damn! I’m looking good! »
Sur le principe, Duke Nukem 3D semble donc faire plus que des emprunts à ce fameux DOOM. Pourtant, nous l’avons dit, la seule présence du blondinet bodybuildé suffit à distinguer la production 3D Realms du titre d’id Software. Doublé par Jon St. John, Duke a un sens de la répartie que nous avons tenté d’illustrer tout au long des intertitres de cet article. De manière très régulière, en voix-off, Duke intervient ici pour commenter la dégaine des aliens, là pour expliquer qu’il ne faut pas toucher à SA ville de Los Angeles. Des interventions rarement intelligentes, mais souvent très drôles et qui ont beaucoup fait pour le côté mythique de Duke Nukem 3D.
Ces interventions vont de paire avec le souci du détail dont ont fait preuve les développeurs. Ainsi, de nombreux éléments du décor sont interactifs. Cela peut sembler normal aujourd’hui, mais que les robinets des toilettes fonctionnent vraiment, que les lumières puissent s'allumer / s'éteindre ou que les urinoirs soient opérationnels – soulageant au passage notre Duke qui n’hésite pas à nous le faire savoir – était une petite révolution en 1996. On peut tirer sur les boules du billard qui bougent alors sur la table, il est également possible de mettre en marche le projecteur de cinéma pour assister à une représentation d’un film que la morale réprouve.
Cependant, si on se souvient de tous ces détails, c’est aussi que 3D Realms a réalisé un remarquable travail de conception. Par rapport à l’id Tech 1, le moteur Build a d’emblée l’avantage de permettre de lever les yeux au ciel, de baisser le regard et de sauter. Là encore, ça n’a l’air de rien aujourd’hui, mais cela change complètement la perception des choses. Cela autorise une mise en scène plus riche avec des avions qui passent dans le ciel et que l’on peut suivre des yeux, des explosions en chaîne et une immersion plus importante pour le joueur quoi doit davantage scruter l'environnement. Mieux, tout ceci n’est que la partie la plus visible d’un level design remarquablement bien pensé.
Les trois actes du jeu de base – ainsi que le quatrième (The Birth) introduit par l’Atomic Edition – sont l’occasion de proposer des environnements qui changent du tout au tout : un cinéma pour adultes, un club de strip-tease, un supermarché, divers appartements, un restaurant, une station spatiale, un fast-food, une prison, une villa japonaise… Esthétiquement, cela contribue bien sûr à varier les choses et si ça n’a l’air de rien aujourd’hui, c’était encore rare à l’époque. De plus, la construction même des niveaux est originale avec une verticalité de chaque instant : plateformes, promontoires et ennemis en surplomb sont là pour dynamiser l’action.
Plus de 43 minutes pour le premier épisode ? Il faut bien ça pour dénicher tous les « secrets » © ToxicBarrell
« Your face. Your ass. What’s the difference? »
Un peu à la manière de DOOM – mais là aussi en allant beaucoup plus loin – 3D Realms a pris un malin plaisir à multiplier les chemins alternatifs, les raccourcis, les caches et les bonus. Associé à la verticalité évoquée précédemment, cela donne un jeu où deux orientations deviennent possibles : on peut défourailler dans tous les sens juste pour le plaisir de massacrer de l’alien et foncer vers la sortie ou se lancer dans l’exploration pour découvrir toutes les planques et profiter d’un matériel assez délirant. Bien sûr, l’arsenal compte ce qu’il faut de pétoires en tout genre et Duke Nukem 3D n’avait absolument rien à envier aux cadors du genre.
Mais au-delà des pistolets, fusils à pompe, mitrailleuses et autres lance-roquettes pas très originaux, 3D Realms a intégré des accessoires bien plus étonnants. Il était ainsi possible de jouer avec le shrinker qui réduisait la taille d’ennemis que l’on pouvait ensuite écraser d’un simple geste du pied. Duke disposait aussi de grenades à déclenchement à distance via une télécommande ou du freezer qui congelait les adversaires : un bon coup de pied les faisait alors voler en éclats.
Ajoutons aussi le jetpack pour survoler tout le monde ou l'hologramme parce qu'aussi beau que Duke… il n'y a que Duke. Autant d’éléments qui renouvelaient avec bonheur la manière de massacrer les ennemis en solo comme en multi. En 1996, le multijoueur n’était pas le cœur d’un jeu vidéo, mais Duke Nukem 3D fait partie des jeux qui ont poussé les joueurs PC à se lancer dans les joies du réseau local et des bouchons BNC.
Aux côtés de WarCraft 2, DOOM bien sûr ou encore Command & Conquer, Duke Nukem 3D a peuplé les LAN des années 90. Il n’était pas encore question de jeu compétitif et on se retrouvait en multi pour massacrer les copains avec style et lancer quelques phrases assassines… toute la philosophie de Duke en somme ! Une philosophie d’ailleurs magnifiée par l’aspect technique des choses.
Nous avons bien sûr évoqué la verticalité et la variété des niveaux, mais nous avons pour l’heure complètement passé sous silence le renouveau technique inhérent au moteur Build. En effet, alors que DOOM était quand même sérieusement limité par sa définition d'image en 320 x 200, Duke Nukem 3D arborait fièrement son Super VGA… un vaillant 800 x 600 qui avait d’ailleurs handicapé pas mal de copains à sa sortie : mine de rien, il fallait une bête de course pour en profiter en plein écran.
Un article sur Duke Nukem 3D serait incomplet sans les strippers d'un côté et les pig cops de l'autre © MobyGames
Heureusement, il restait possible de le faire tourner en 640 x 480 ou de légèrement réduire la fenêtre d’affichage pour profiter de quelque chose de beau – enfin pour l’époque, on est d’accord – et de parfaitement fluide. Histoire d’enfoncer le clou, 3D Realms n’avait pas oublié de passer par la case « éditeur de niveaux » et, rapidement, d’innombrables créations se sont échangées sur les BBS (le papy du forum) afin d’ajouter des missions et des arènes de jeu.
Le succès immédiat de Duke Nukem 3D a évidemment poussé les développeurs à rallonger eux-mêmes la sauce avec, nous l’avons dit, la sortie du quatrième acte de la campagne – l’Atomic Edition – mais aussi la commercialisation d’innombrables extensions « officielles » réalisées par d’autres équipes : Duke It Out In D.C., Duke Caribbean: Life’s a Beach, Nuclear Winter, Duke !ZONE, Penthouse Paradise…
Cette volonté de faire feu de tout bois s’est concrétisé par la sortie – rares étaient les jeux PC à avoir droit à ce traitement – de moutures consoles de Duke Nukem 3D que ce soit sur Sony PlayStation, Sega Saturn ou même sur Nintendo 64, une version d’ailleurs assez largement censurée par le constructeur japonais.
Par la suite, 3D Realms a décliné le concept avec Shadow Warrior dès l’année suivante, mais le studio s’est ensuite complètement perdu sur le projet Duke Nukem Forever, le jeu qui a popularisé l’expression « when it’s done » (quand ce sera prêt) et qui est sorti avec plus de douze ans de retard dans une certaine indifférence.
Le monde du jeu vidéo était passé à autre chose et le côté irrévérencieux du personnage n’avait plus la même odeur de souffre qu’au milieu des années 90. O tempora, o mores écrivait Cicéron.