Un article-fleuve paru aujourd'hui sur le site américain Vulture révèle deux informations majeures sur Red Dead Redemption 2. La première est que la campagne solo du jeu durerait environ 60 heures. La seconde est que pour parvenir à ce résultat, les équipes de développement ont dû enchaîner des semaines de 100 heures de travail acharné. Érigé par Rockstar comme argument marketing, ces semaines de "crunch" intensives sont vertement dénoncées par de nombreux développeurs sur Twitter.
D'un point de vue extérieur, il n'est peut-être pas évident de comprendre le problème. Après tout, qui n'a pas passé des nuits blanches à peaufiner un dossier important ? Il faut pourtant prendre conscience que dans le milieu du développement de jeu vidéo, la pratique du crunch est autrement plus intense, et infiniment plus étirée dans le temps.
Dans le très long article publié aujourd'hui sur Vulture, on apprend notamment que les équipes de Dan Houser (directeur créatif de Rockstar Games) ont enchaîné les semaines de 100 heures "à plusieurs reprises en 2018". Un mal nécessaire, sans doute, pour garantir aux futurs acheteurs de Red Dead Redemption 2 la qualité à laquelle ils ont droit après un développement long de 7 ans. Mais pour de nombreux développeurs, minimiser l'impact psychologique de telles pratiques est au mieux inconséquent, au pire dangereux.
"J'ai survécu au crunch de GTA V, c'était l'enfer"
En réponse d'un article de GamesIndustry.biz soulignant lui aussi le problème, on a pu lire de nombreux témoignages de développeurs de tous bords qui racontent leur point de vue sur ces fameuses semaines de crunch.Dylan Wildman, testeur au service qualité de Rockstar entre 2012 et 2014, se définit par exemple comme un "survivant du crunch de GTA V". "C'était l'enfer", ajoute-t-il à son tweet.
En France, c'est le fondateur et directeur créatif du studio Mi-Clos (à qui l'ont doit l'excellent Out There) qui prend la parole et raconte son expérience. "C'est ce que j'ai fait pendant plus d'un an pour sortir Out There", déclare-t-il en réaction aux semaines de 100 heures encaissées par les développeurs de Rockstar, et d'ajouter :"Donc oui, j'ai sorti un bon jeu, mais je me remets encore d'une dépression intervenue suite à la sortie du jeu, 4 ans après. Ça ne vaut pas le coup".
Voyant la polémique enfler sur les réseaux sociaux, Rockstar et Dan Houser ont fait parvenir une déclaration à Kotaku. Un numéro d'équilibriste, dans lequel le patron du studio tente d'éteindre les flammes en admettant s'être mal exprimé. "Après 7 années de développement, l'équipe scénaristique senior, constituée de 4 personnes dont je fais partie (...), nous sommes lancés dans trois semaines de travail intensif. Trois semaines, pas des années", précise la missive envoyée à Kotaku. "Nous n'attendons évidemment de personne d'autre de travailler de cette manière".
Omerta
Mais les problèmes posés par les cadences imposées aux développeurs de jeux vidéo ne datent pas d'hier. Rockstar est par ailleurs coutumier du fait. Comme le rappelle l'article de GamesIndustry.biz, en 2010, déjà, Gamasutra publiait une lettre ouverte signée des "Rockstar Spouse" - les épouses des développeurs travaillant sur Red Dead Redemption premier du nom.Le texte, signé d'une coalition d'épouses de développeurs de Rockstar San Diego, ne dit pas autre chose que l'inquiétude de la famille des personnes travaillant sur le projet. On y apprend que les équipes sont mises sur le pied de guerre 12 heures par jour même le samedi, et que tout contrevenant s'exposait à des sanctions disciplinaires. Selon les auteures de la lettre, la situation a commencé à se dégrader en mars 2009. La lettre a été publiée le 1er juillet 2010, quelques temps après la sortie du jeu le 18 mai de la même année. À en croire les épouses du texte, ils sont nombreux à être ressortis de l'épreuve dépressifs. "Au moins l'un d'entre eux a des pensées suicidaires", lit-on encore.
Dans l'Hexagone, la vie des petites mains qui nous permettent de nous évader dans des univers virtuels n'est pas plus rose. En janvier 2018, une enquête conjointe du Monde, de Canard PC et de Mediapart mettait en lumière les pratiques managériales toxiques au sein de Quantic Dream (Heavy Rain, Detroit : Become Human), l'un des plus gros développeurs français. Ici encore, ce sont des semaines de travail intensives et des attitudes déplacées de la part de la direction qui est épinglée par les journalistes.
De tous les jeux à succès jamais conçus par Rockstar Games, Red Dead Redemption 2 "a été le plus dur" à mener à bien, avait déclaré Sam Houser, le frère de Dan, à Vulture plus tôt dans l'année. Un effort coordonné de la part de milliers de développeurs pendant 7 ans, qui a permis au studio d'accoucher d'un jeu massif. Plus de 60 heures de jeu, 300 000 animations, 500 000 lignes de dialogues enregistrées par quelques 700 acteurs. "Même les passants disposent d'un script de 80 pages chacun", confie l'un des scénaristes au journaliste de Vulture.
Un souci du détail poussé à son degré le plus absurde... qui permettra, peut-être, aux milliers de personnes ayant travaillé sur le projet de s'évader le temps de quelques cavalcades au Far West.
Retrouvez notre test complet de Red Dead Redemption 2.