Jeux vidéo indépendants : 5 histoires croisées de développeurs français

Audrey Oeillet
Publié le 02 novembre 2015 à 17h55
A l'occasion de la Paris Games Week, les développeurs français étaient rassemblés dans un espace dédié aux jeux made in France. L'occasion de prendre le pouls d'un secteur en plein essor, où l'on compte autant d'expériences que de studios.

A la Paris Games Week, il faut se rendre dans le hall 2.1, en marge des énormes stands bruyants des studios on trouvait l'espace « Jeux made in France ». Un espace clairement à part dans ce salon qui mettait principalement à l'honneur les franchises de poids. Pour savoir si ce que certains qualifient de « bande à part » est symbolique de la situation des développeurs indépendants français, nous sommes allés à la rencontre de certains d'entre eux. Et nous avons rapidement pu constater que s'il y a autant d'histoires qu'il existe de studios, on revient, la plupart du temps, à un même bilan d'incertitude.

« Vendre un jeu à 1 euro, c'est difficile »

Spinbot est un studio de développement de jeux mobiles fondé en 2014. Sur son stand, la petite équipe de développement présente Chouchou Puzzle Adventure, un jeu destiné aux smartphones et tablettes, au design enfantin, mais à la stratégie pourtant bien présente. Le public visé est celui qui joue en mobilité dans les transports, mais également, de façon plus large, la famille.

Lancé au printemps dernier sur iOS et Android, le jeu était initialement payant, au tarif de 0,99 euro. Mais la petite entreprise s'est rapidement retrouvée confrontée à la réticence des joueurs à payer... et au piratage. « On pensait qu'en mettant le prix le plus bas possible, les gens allaient adhérer et nous soutenir » explique Céline Hang-Nga Vo, qui s'occupe de la communication du studio. « En réalité, vendre un jeu à 1 euro, c'est difficile ».

Malgré une aide importante du CNC, qui a financé la moitié de la production, Spinbot vit aujourd'hui des moments difficiles, et ne sait pas trop comment va se passer la suite de son aventure. « Tout notre argent, on le met dans la production », ajoute Céline. En recherche active de fonds, le studio a décidé de basculer son modèle économique vers le gratuit, avec des micro-transactions, pour tenter d'enrayer le piratage du jeu.

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« Le mobile, en tant que studio indépendant, c'est vraiment difficile » déplore Céline Hang-Nga Vo. « Il y a quelques gros studios qui monopolisent le secteur, et lorsqu'on a peu de moyens d'exposition, c'est difficile d'exister. » Avec Chouchou Puzzle Adventure, Spinbot mise aujourd'hui sur un rythme épisodique, pour fidéliser les joueurs, et continuer d'exister.

Affaire à suivre

Le développement épisodique, un sujet récurrent chez les développeurs indépendants. Chez Celsius Online, on travaille sur Celsius Heroes, un RPG old-school et cross-platform qui bénéficie lui aussi d'un ajout constant de contenu. « On espère proposer un nouveau chapitre toutes les deux semaines » nous expliquent les développeurs, qui vont sortir leur jeu sur tablette, sur mobile mais également sur Facebook, dans l'optique d'offrir une expérience sociale.

Si Celsius Online existe depuis 2004, c'est la première fois que le studio français tente l'aventure sur mobile. Ses précédents jeux, March of History et Royaumes Renaissants, se jouent uniquement sur navigateur. Le parti pris des développeurs est principalement de miser sur leur communauté pour lancer de nouveaux jeux : « Nous avons énormément de joueurs qui nous soutiennent depuis longtemps. Nous sommes partisans des rencontres communautaires. C'est comme ça que nous avons présenté et développé Celsius Heroes. » Chez Celsius Online, on mise donc plus sur le bouche-à-oreille que sur un gros renfort marketing. « Nous n'avons pas autant de besoins que d'autres studios » estime Charles-Edouard Garcia, le responsable de la communication. Et si les achats in-app sont présents, le studio insiste sur le fait qu'ils ne sont jamais obligatoires pour progresser.

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« Aujourd'hui, on estime que le jeu payant est une voie de garage, à moins d'avoir une grosse licence. » Il n'y a pas de frilosité concernant le jeu mobile chez Celsius, en grande partie parce que le studio ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Le fait d'être arrivé sur le marché à une époque où le jeu sous navigateur était en forme, et avoir su développer une communauté solide, permet au studio de voir l'avenir d'une manière sereine, et de ne pas être dupe quant à la réalité du marché.

« Notre premier financeur, c'était Pôle Emploi »

Les épisodes, on les retrouve également dans Pankapu, le Gardien des Rêves. Ce jeu de plateforme, développé par Too Kind Studio, est quant à lui destiné au PC et aux consoles. Officiellement, le studio est très récent - il a été officialisé il y a seulement quelques semaines - mais les développeurs travaillent sur le jeu depuis près de deux ans.

Anciens du studio Ankama, les deux fondateurs du studio ont eu l'envie de voler de leurs propres ailes et de développer leur propre univers, malgré d'évidentes difficultés, financières pour commencer. « Comme je le dis toujours, notre premier financeur, ç'a été Pôle Emploi ! » résume Jimmy Kalhart, développeur à l'origine du studio. Les poches vides, pas facile de développer un jeu. C'est pour cette raison que Pankapu va sortir de manière épisodique, d'abord sur PC début 2016, puis, si tout se passe bien, sur console en fin d'année. « On va proposer un Season Pass, ce qui permettra aux joueurs d'avoir du contenu neuf pendant plusieurs semaines, et de commencer à rentabiliser le jeu. »

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Mais la perspective d'une rentrée d'argent à la sortie du jeu n'évite pas les soucis sur la fin du développement, et ce, même si Square Enix a « approuvé » le jeu via son programme Square Enix Collective. Ce qu'offre l'éditeur, c'est de la visibilité, et non des deniers. Les développeurs du titre ont donc décidé de lancer un Kickstarter, avec pour objectif de récolter 40 000 euros en un mois. En ligne depuis le 27 octobre, la campagne est bien partie.

L'éditeur salvateur

Kickstarter et la question de l'éditeur, chez Enigami, on y a été confronté. Ce studio de jeunes développeurs travaille depuis plusieurs années sur Shiness, un RPG qui s'inspire fortement des productions japonaises.

Le développement de Shiness est une longue histoire. « On a commencé en pointillé en 2010 », explique Kevin Pollaert, développeur 3D. La petite équipe a beaucoup appris sur le tas, en travaillant sur le projet pendant son temps libre. Ce qui n'est plus suffisant, à un moment, pour vraiment concrétiser les ambitions d'un J-RPG « à la française ». Mais pour s'investir à plein temps, il faut de l'argent. En 2014, le studio naît vraiment : « le vrai développement a débuté en mai 2014, en parallèle de la campagne Kickstarter » informe Samir Rebib, directeur créatif du jeu. Et la campagne s'avère être un succès, au-delà des espérances des développeurs, avec 140 000 dollars récoltés sur les 100 000 espérés.

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Mais on ne fait pas un jeu de ce type avec 140 000 dollars : développer coûte bien plus d'argent. Et c'est pour pallier ce gros problème que les développeurs de Shiness vont, de leur propre aveu, frôler la catastrophe. Et cette cata porte un nom : Steam Early Access, un système de prévente qui permet aux joueurs d'acheter un jeu encore en développement, pour pouvoir y jouer très tôt.

« On allait droit dans le mur » résume Hazem Hawash, le producteur du jeu. « Notre version prévue pour l'Early Access n'était pas bonne. On risquait de perdre tout le côté positif de Kickstarter. Sur Kickstarter, les gens donnent de l'argent pour soutenir un projet. Sur Steam, les gens qui paient pour l'Early Access paient pour jouer. On n'était pas au niveau à ce moment-là. »

Heureusement pour le studio Enigami, c'est à ce moment précis que l'éditeur français Focus les a pris sous son aile. Une arrivée salvatrice pour l'équipe, qui admet sans détour qu'elle n'existerait probablement plus sans l'aide de Focus. « On avait peur d'être moins libre avec un éditeur. Mais on dispose aujourd'hui d'un vrai accompagnement marketing. Quand on est développeur, on n'est pas formé à ça. »

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Shiness est toujours en cours de développement et l'avenir du jeu est plus serein. A la Paris Games Week, le titre a d'ailleurs fait son petit effet.

« On a fait une croix sur les salaires »

Le soutien marketing, l'équipe d'AnarTeam connait bien. Ces cinq étudiants de SupInfoGame Valenciennes présentaient leur jeu, Anarcute, dans un espace bien différent du salon, à savoir sur le stand Microsoft Xbox. « On devrait être en cours en ce moment » plaisante David Rabineau, l'un des développeurs du titre proposé par Microsoft dans son programme ID@Xbox.

« A la base, on a commencé le jeu il y a deux ans pour l'Imagine Cup France, organisé par Microsoft. On a gagné la médaille d'or, et c'est là qu'on a eu envie de sortir du cadre strictement étudiant » explique-t-il. Plusieurs autres prix ont suivi par la suite.

Racontée comme ça, l'histoire d'Anarcute et de ses développeurs fleure bon la success story. Mais la réalité est un peu moins rose : comme du côté de Pankapu, intégré dans le programme indé de Square Enix, Anarcute est valorisé par Microsoft, mais pas financé. Encore une fois, la question de l'argent a vite fait son apparition.

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« On a rapidement décidé de faire une croix sur les salaires » explique David Rabineau. « Mais quand on développe un jeu, il y a, au-delà de ça, des frais incompressibles. Il faut du matériel, des licences... » Autre point essentiel, auquel on ne pense pas : les classifications d'âges. « Le PEGI, par exemple, ce n'est pas gratuit. Et ça coûte beaucoup d'argent. Ils ont certes un tarif pour les indépendants mais ils le fixent eux-mêmes, selon un critère qui n'a pas vraiment de sens : le poids du jeu en mégaoctets ! »

La petite équipe d'AnarTeam a fait le nécessaire pour disposer d'assez d'argent pour ces frais incompressibles, et vit son aventure avec pas mal de pragmatisme : « On est encore dans la phase où l'on apprend. Si on gagne de l'argent à la sortie du jeu, on partagera. On ne sait pas si on gagnera assez pour lancer un autre projet. Pour le moment, on est étudiant, on fait ça sur notre temps libre, on n'a pas de pression. »

Pour autant Anarcute a attiré moult curieux sur le salon, et a plutôt bonne presse. Sortie prévue début 2016 sur Xbox One et PC, « et peut-être ailleurs plus tard » ajoute David Rabineau.

Le développeur indé français, une espèce en voie de disparition ?

Cinq équipes de développement rencontrées, et cinq histoires différentes. Néanmoins, on ne peut pas nier d'évidents recoupements : la question financière, celle de la plateforme choisie, ou encore celle de la visibilité. Et puis, il y a la notion d'indépendance, qui n'est pas vécue pareille selon les développeurs.

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Alors qu'il est toujours étudiant, David Rabineau porte un regard assez pessimiste sur le secteur : « Aujourd'hui, il y a trop de développeurs indépendants. Le marché commence à saturer, et c'est pour ça qu'il y a beaucoup d'indé qui s'intéressent aux consoles car c'est un marché qui est encore assez peu ouvert. Sur PC, c'est un peu plus compliqué. »

Quand on lui parle du jeu mobile, le développeur d'Anarcute s'insurge : « Il faudrait qu'on m'explique en quoi c'est intéressant d'aller sur le mobile quand on n'a pas de budget marketing. Il y a eu une bulle dans laquelle tout le monde s'est engouffré et qui est en train d'éclater. Ça complique les choses pour ceux qui ont mis tous leurs œufs dans le même panier. » Et de conclure : « Peut-être que dans six mois, j'irai frapper aux portes d'Ubisoft pour qu'ils m'embauchent. Et ça ne sera pas grave, on aura quand même fait un jeu complet pendant nos études ! »

Dans la plupart des cas, on attend surtout de sortir son jeu et de voir venir pour évoquer l'avenir. Le but premier étant de tenir jusqu'à la fin du développement. Hazem Hawash, d'Enigami, estime que la précarité dans laquelle se trouvent certains jeunes studios indépendants est creusée par l'Etat. « Il y a encore une image péjorative du jeu vidéo en France. L'Etat donne de l'argent pour faire des serious games, mais quand vous bossez sur un jeu de baston, c'est plus difficile. » Les développeurs de Shiness évoquent également la concurrence des grands studios sur Kickstarter, qui lèvent beaucoup d'argent, au détriment des plus petits, davantage dans le besoin.

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Malgré les difficultés, Jimmy Kalhart de Too Kind Studio ne regrette pas l'aventure de l'indépendance. « On ne voit que les bons côtés » affirme-t-il, positif. Quant à la perspective de voir son jeu récupéré par un gros éditeur, il pointe la question de la propriété intellectuelle : « On aimerait ne pas perdre nos droits sur le jeu. » L'ancien d'Ankama a l'air d'apprécier être son propre patron.

Mais tous s'accordent sur un point : satisfaire, au final, le joueur. « On a développé une belle communauté autour de Shiness » explique l'équipe d'Enigami. « On veut leur offrir le plus beau jeu possible. » Même chose chez AnarTeam : « Voir les gamins s'amuser sur le salon avec notre jeu, ça nous booste. » Au final, c'est avant tout au joueur de récompenser les développeurs, dont la plupart consacrent plusieurs années de leur vie à développer un titre qui risque de passer inaperçu, dans l'ombre des grandes productions. Une perspective qui donne clairement envie de s'intéresser à une scène indépendante plus riche que jamais.
Audrey Oeillet
Par Audrey Oeillet

Journaliste mais geekette avant tout, je m'intéresse aussi bien à la dernière tablette innovante qu'aux réseaux sociaux, aux offres mobiles, aux périphériques gamers ou encore aux livres électroniques, sans oublier les gadgets et autres actualités insolites liées à l'univers du hi-tech. Et comme il n'y a pas que les z'Internets dans la vie, j'aime aussi les jeux vidéo, les comics, la littérature SF, les séries télé et les chats. Et les poneys, évidemment.

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