Découverte d'ondes gravitationnelles : les raisons de ne pas y croire

Frédéric Cuvelier
Publié le 14 janvier 2016 à 08h50
La rumeur enfle-t-elle bien plus que l'espace-temps ? C'est la question que l'on peut se poser après les « révélations » d'un scientifique concernant la prétendue découverte des ondes gravitationnelles qu'Einstein avait prédites. L'enthousiasme n'est pas forcément de mise, voici pourquoi.

La communauté scientifique est en ébullition : une équipe de chercheurs américains aurait enfin décelé des ondes gravitationnelles, dont on ne faisait que supposer l'existence jusqu'alors. Pourquoi cette découverte serait importante ? Parce qu'elle contribuerait à valider une théorie vieille d'un siècle et élaborée par Albert Einstein, juste après que ce dernier a publié sa théorie de la relativité générale.

Cette dernière prédit que lorsqu'un corps se déplace, il génère une déformation de la structure de l'espace-temps, et à la manière d'une pierre jetée dans un lac, cette déformation se propage dans le cosmos. En théorie, vous ou moi créons des ondes gravitationnelles. Mais elles sont tellement ridicules qu'aucun instrument ne pourrait les détecter.

Il n'en est pas de même pour les phénomènes extrêmement énergétiques comme l'effondrement d'un système binaire (étoile dans un trou noir, deux étoiles à neutrons qui se percutent), l'explosion d'une supernova, ou évidemment la phase d'expansion brutale qui a suivi le Big Bang.

Avoir accès aux ondes gravitationnelles, c'est pouvoir observer indirectement, et à très longues distances, ces phénomènes extrêmes, pour mieux en comprendre le fonctionnement.

La découverte de ces ondes serait donc une avancée fantastique pour les scientifiques, et la rumeur née il y a quelques jours a de quoi enthousiasmer. Pourtant, voici le top 5 (à la Thomas N'Gijol) des raisons de ne pas y croire.

Number 1 : parce que la source n'est pas « proche du dossier »

Le ramdam autour de cette hypothétique découverte émane de Lawrence Krauss, cosmologiste de renom et spécialiste de la physique théorique. Une gageure ? Pas vraiment, parce que de l'aveu même de l'intéressé, il ne fait pas partie de l'équipe de chercheurs, ou même des autres chercheurs gravitant (sans mauvais jeu de mots) autour de cette étude.

Oui, mais voilà, avec près de 200 000 followers, un tweet et tout va très vite. Et même si Krauss a déclaré au Guardian qu'il n'y avait que 60% de chances pour que cette découverte soit vérifiée (un chiffre bien trop faible pour qu'un scientifique digne de ce nom ne crie victoire), même si le Krauss a tenté de rattraper le tir sur le réseau social (en rappelant que ce n'était qu'une rumeur), le mal était fait.




Number 2 : parce qu'il n'y a encore eu aucune annonce

Le fait de voir un scientifique évoquer une découverte majeure à la place des équipes travaillant sur le projet est tout à fait extraordinaire. « Si c'est vrai, vous essayez de voler leur gloire. Si c'est faux, vous endommagez la crédibilité scientifique », a répondu sur son compte Twitter le professeur Michael Merrifield, l'université de Nottingham

D'autant qu'en 2014, les équipes du LIGO, le détecteur américain qui serait à l'origine de la découverte, et celles de VIRGO, son pendant européen, ont conclu que toutes communications à propos de leurs travaux communs devaient être faites ensemble. L'intervention de Krauss est donc extrêmement mal venue.

Number 3 : parce que les exercices de vérification n'ont pas eu lieu

Échaudés par des annonces spectaculaires, mais trop hâtives car démenties par la suite, les scientifiques ont mis en place des vérifications systématiques des mesures, particulièrement lorsque ces dernières ne supportent aucune approximation, tant elles doivent être précises.

On se souvient, en 2014, d'une annonce prématurée de chercheurs travaillant sur l'expérience BICEP 2, portant, déjà, sur les ondes gravitationnelles, ou encore des fameux neutrinos supraluminiques, dont l'origine était... un câble mal branché.

Number 4 : parce que parfois, les scientifiques faussent leurs résultats

Oui, mais c'est pour la bonne cause. Jean-Yves Vinet, directeur de recherche au CNRS et membre de l'équipe VIRGO, a avoué que des injections secrètes de données, placées pour altérer les résultats, avaient été mises en place.

Un procédé qui permet de valider le processus d'exploitation des données brutes, mais aussi de se prémunir d'annonces prématurées, car les données falsifiées ne sont retirées que quelques heures avant l'envoi de la publication.

And number 5 : parce que tout de même, c'est petit une onde gravitationnelle

Le détecteur LIGO s'est perfectionné ces dernières années et, en théorie, il est bel et bien prévu pour déceler les ondes gravitationnelles. Mais cette détection demeure un défi scientifique. Pour bien comprendre la difficulté de la mesure, sachez qu'un cercle dont le diamètre est celui de la Terre subirait une déformation dont l'amplitude ne serait que de 10-13m, soit mille fois inférieur à la taille d'un atome. On comprend pourquoi il n'y a pas de place à l'approximation.

Malgré tout, il y a des raisons d'espérer : comme nous le disions plus haut, LIGO est paré pour dénicher les ondes gravitationnelles, et Advanced VIRGO (l'évolution du VIRGO européen) sera en service au printemps prochain. Autant de chances de détecter, dans un futur proche, ces fameuses ondes. C'est en revanche les phases de vérification qui pourraient prendre du temps. Et c'est pourquoi la sortie inopportune de Krauss ne doit déclencher qu'un enthousiasme très modéré.
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