Dans la nuit du 14 au 15 novembre, la Russie a testé une arme anti-satellite, détruisant Cosmos 1408, en orbite autour de la Terre depuis 1982. Les réactions se multiplient autour du monde, les États-Unis ayant d'ores et déjà détecté plus de 1 500 débris, tandis que les astronautes de l'ISS ont dû stopper leurs activités pour se protéger dans la journée.
L'essai, au-dessus de 400 km d'altitude, va augmenter les tensions et les potentielles collisions.
Un lundi pas comme les autres
Non, ce n'est pas Gravity, et non, la Station spatiale internationale n'est pas en perdition. Mais ce 15 novembre au matin, les astronautes ont dû cesser leurs activités pour fermer les écoutilles des différents modules et rejoindre leurs capsules spatiales… À plusieurs reprises. Il arrive que des débris détectés tard passent à proximité de l'ISS et forcent ainsi les astronautes à prendre refuge, mais un tel événement forçant les occupants de la station à changer leur planning pour toute la journée est rarissime.
Il se trouve qu'il ne s'agit pas que d'un débris, mais d'un « nuage », une zone complexe au sein de laquelle de nombreux débris (certains avec plus d'énergie que d'autres) sont encore non identifiés et ont une trajectoire incertaine. L'ISS ne passe pas directement dans cette zone, mais à proximité, aussi les différentes agences ont-elles pris un maximum de précautions.
Et un mardi tendu aussi ?
En attendant ce mardi 16 novembre, une possible manœuvre de la station, plusieurs modules vont rester fermés durant la nuit (en particulier ceux qui sont « à l'avant » et n'offrent pas de protection spécifique) comme le module japonais Kibo et l'européen Columbus. Les astronautes vont dormir « dans l'axe » de la station. En cas d'urgence, les membres de la mission Crew-3 rejoindront Crew Dragon, tandis que Mark Vande Hei, Anton Shkaplerov et Piotr Dubrov gagneront leur Soyouz.
Au risque d'insister sur ce point, face à différentes rumeurs, les sept astronautes de l'ISS vont bien, la station n'a rapporté aucun impact de débris dans la journée, il s'agit de mesures de sécurité. L'Allemand Matthias Maurer a plaisanté en affirmant qu'il allait exprès dormir en compagnie d'un scaphandre EMU (ceux qui sont utilisés pour les sorties spatiales).
On se serait passés d'ASAT
Cette journée très ennuyeuse pour les astronautes n'est cependant pas due au hasard. Car si ces dernières années les risques de collisions entre satellites ont augmenté (en parallèle avec les moyens de détection), il ne s'agit pas ici d'un accident.
En début de soirée, le département d'État américain a confirmé les rumeurs qui couraient depuis la fin de la matinée : le nuage de débris suivi en orbite basse est bel et bien dû à un test ASAT russe, réalisé dans la nuit du 14 au 15 novembre et très probablement mené depuis la base russe de Plesetsk. La situation, qui a généré un important mouvement diplomatique ce soir, est suivie de près car elle est problématique : ce sont au moins 1 500 débris qui sont suivis par les antennes américaines, sur une zone qui s'étale déjà sur plus de 40 kilomètres d'altitude.
Les capacités de détection n'étant pas infaillibles, les États-Unis s'attendent à plusieurs milliers de débris supplémentaires plus petits. Une majorité d'entre eux resteront en orbite durant plusieurs années, et il faudra du temps pour cataloguer l'ensemble des pièces les plus importantes… Qui viennent s'ajouter à une grande population de satellites en orbite, en pleine expansion.
Dans la joie et la bonne humeur
Un test ASAT (pour arme Anti SATellite) consiste le plus souvent à faire décoller un missile depuis le sol, qui va approcher le satellite grâce à un suivi de ses systèmes internes soutenus par des radars au sol. Il se fragmente juste avant d'atteindre son but, afin de s'assurer que le satellite visé sera dans son « cône de destruction ».
Ce sont des armes universellement considérées comme problématiques, car lorsque le projectile ASAT frappe le satellite, les débris générés s'éparpillent sur une quantité impressionnante d'orbites différentes, et dérivent au cours du temps. Pourtant, malgré les protestations de l'ensemble des grandes agences, des organismes internationaux et des départements d'État sur la question, les USA et la Chine ont déjà réalisé ce genre d'action, ainsi que l'Inde en 2019, et maintenant la Russie. Les débris des tests américains et indiens n'encombrent cependant plus l'orbite, le « modèle à ne pas suivre » était unanimement considéré comme la destruction du satellite Fengyun-1 à 865 km d'altitude : des milliers de débris sont encore là 14 ans plus tard.
À l'épreuve de la diplomatie
Le test ASAT russe de ce mois de novembre a détruit le satellite Cosmos-1408, une grosse unité de 2 tonnes envoyée en orbite en 1982 et désactivée depuis des décennies. Il faisait partie de la famille de satellites Tselina, dédiée à l'écoute de signaux électroniques et radio (ELINT), et son orbite était estimée entre 465 et 490 km d'altitude pour une inclinaison de 85°.
L'impact à moyen terme de cette opération sur les activités de l'ISS n'a pas été estimé, mais les États-Unis ont précisé que « ce test augmentera significativement les risques pour les astronautes et cosmonautes de la station spatiale internationale, ainsi que les autres activités habitées ». L'influence sur la station spatiale chinoise, sur une orbite à plus basse altitude, n'a pas encore été précisée non plus. Le Royaume-Uni a également fait savoir son mécontentement en début de soirée. Les échanges risquent de se refroidir.
Source : Space News