Vue d'artiste de la sonde Mariner 2. Crédits : NASA
Vue d'artiste de la sonde Mariner 2. Crédits : NASA

C'est une époque où la NASA a besoin de succès face aux prouesses soviétiques. Pourquoi pas un survol de Vénus ? L'opération est plus complexe qu'il y paraît, et comme toujours à cette époque de pionniers, la concurrence est forte. Mais le 14 décembre 1962, la petite sonde active croise la voisine de la Terre…

Ses capacités étaient cependant très limitées.

La planète la plus proche

Peu après les toutes premières prouesses spatiales des grandes puissances en 1957 et 58, la question de l'expansion vers les destinations les plus évidentes a fait son chemin, en URSS comme aux États-Unis. La destination incontestable après l'orbite était bien sûr la Lune, avec l'arrivée des vols habités. Mais ensuite ?

Dès les premiers satellites, la visite des autres planètes du Système solaire est sur la table. Vénus est la plus proche d'entre elles… mais comme pour Mars, Vénus ne se rapproche de la Terre qu'à intervalles réguliers, en l'occurrence de 19 mois. Pour des nations spatiales qui ont énormément de problèmes dus aux retards de ces toutes nouvelles technologies et de leurs lanceurs, viser une « fenêtre » particulière est complexe…

Et que dire des sondes ! La majorité des satellites scientifiques ont une durée de vie très courte, alors même qu'un voyage vers Vénus expose à des radiations bien plus importantes pour une électronique fragile.

Sans oublier la surface de Vénus, littéralement l'un des pires endroits où se trouver de tout le système solaire. Crédits : N.A./URSS
Sans oublier la surface de Vénus, littéralement l'un des pires endroits où se trouver de tout le système solaire. Crédits : N.A./URSS

Des opportunités ratées

La première opportunité réaliste a lieu en juin 1959, mais aucune des deux puissances spatiales de l'époque n'a les moyens d'envoyer de véhicule vers Vénus. La Lune elle-même est encore en ligne de mire. La deuxième prend place en février 1961, mais la NASA fait face à tellement de problèmes dans les mois qui précèdent avec ses missions lunaires, qui échouent à cause des lanceurs, qu'aucune tentative ne peut avoir lieu.

Cependant, l'URSS, elle, tente le coup. Elle prévoit deux décollages de véhicules impacteurs à seulement une semaine d'écart, avec un design identique et la même mission. La prévoyance paie, puisque le premier des deux tirs échoue lors de la dernière phase du lancement, et la sonde reste bloquée en orbite basse. La deuxième tentative, elle, réussit et les Soviétiques la nomment Venera-1. La sonde est même la première à survoler Vénus… Enfin, peut-être. En effet, à environ 100 000 km du but, les stations terriennes perdent le contact.

Un succès de mission très relatif, donc, puisqu'il n'apporte rien sinon beaucoup de leçons pour la prochaine tentative.

Tout le monde sur le pont !

La fenêtre de tir suivante vers Vénus s'ouvre à l'été 1962, et cette fois les deux grandes puissances veulent signer une première. La NASA fait un choix risqué dès juillet 1960, en confiant au Jet Propulsion Laboratory (JPL) la tâche difficile de concevoir une sonde capable de survoler la planète-enfer. Car à l'époque, ce dernier n'a pas la réputation d'excellence qu'il a aujourd'hui… C'est même plutôt l'inverse !

Le centre base ses deux sondes jumelles sur le design des véhicules du programme Ranger, qui est utilisé pour tenter de photographier la surface lunaire de près avant d'aller s'y écraser. Problème, alors que 1962 commence, les trois premières missions sont de retentissants échecs, et la quatrième rejoint le groupe au mois d'avril. Ce n'est pas de très bon augure pour Vénus !

Détail des éléments de la sonde Mariner 2. Crédits : NASA/JPL-Caltech

Recette pour réussir une bonne marinade

Mariner 1 et 2 (appelées aussi Mariner-R, il y en a trois finalement, avec un modèle destiné au sol), qui sont donc identiques, sont des plateformes de 202 kg environ, dont 22 kg sont dévolus à l'instrumentation. La plateforme est lourde, mais c'est normal : ce sont les balbutiements de sondes interplanétaires ! L'électronique, notamment, est protégée au maximum. En plus, il y a la nécessité de manœuvrer et de garder en permanence des moyens de communication orientés vers la Terre : la sonde doit donc être stabilisée sur trois axes, ce qui est complexe.

Le JPL choisit d'utiliser des jets d'azote (gaz inerte) et un pointeur solaire pour disposer d'une référence permanente. Les sondes Mariner-R sont aussi équipées de deux panneaux solaires qui se déploient sur les flancs, et de plusieurs antennes dont la plus importante située à l'arrière est une parabole d'1,2 mètre de diamètre. À bord on retrouve un radiomètre micro-onde (mesure du rayonnement émis par Vénus), un radiomètre infrarouge (température de la planète), un magnétomètre, un détecteur de particules cosmiques, un analyseur de vent solaire et d'une expérience gravitationnelle basée sur la mesure des ondes radio émises par la sonde.

La sonde Mariner 1 en préparation. Crédits : NASA

On pourra remarquer qu'il n'y a pas de dispositif imageur. En effet, la charge utile est limitée, les équipes ne savent pas si le débit leur permettra de reconstruire une photographie correcte et surtout, les connaissances sont déjà suffisamment avancées pour savoir que Vénus a une dense atmosphère, il n'y a donc pas « grand-chose » à photographier dans les bandes visibles à très basse résolution.

Il valait mieux en faire deux

Le 22 juillet 1962, Mariner-1 décolle, et les ingénieurs de la NASA sont aux anges : ils ont de l'avance sur leurs concurrents soviétiques ! Mais le lanceur dévie de sa trajectoire très rapidement et les équipes au sol n'ont d'autre choix que le détruire. Légende urbaine ou non, cet échec est régulièrement attribué à une erreur dans le code informatique du calculateur de trajectoire de la fusée Atlas-Agena : une mauvaise recopie d'un tiret aurait bloqué le programme tout entier. Toujours est-il que Mariner-1 est désintégré, et les États-Unis n'ont pas beaucoup de temps pour pouvoir envoyer la deuxième sonde.

Cette fois, les Américains ont de la chance ! En effet, l'URSS n'avait pas moins de trois sondes prêtes à partir pour Vénus entre la mi-août et début septembre 1962… mais les Soviétiques sont toujours confrontés à d'énormes problèmes sur l'étage supérieur de leur fusée, qui doit être allumé en orbite basse pour « viser Vénus ». Et ces derniers vont subir trois échecs en trois tentatives, cela en quatre semaines. Problème de moteur, problème de vanne, problème de bulles dans les ergols… Vénus est hors de portée. La voie est libre pour la NASA, qui réussit à faire décoller Mariner-2 le 27 août 1962.

Décollage de Mariner 1, juste avant que ça se passe mal. Crédits : NASA.

44 minutes après son lancement, la sonde Mariner 2 a réussi à étendre ses panneaux solaires, et elle peut communiquer avec le sol. C'est un grand succès, car elle est effectivement en route pour Vénus ! Reste à savoir à quelle distance elle pourra survoler notre planète voisine. Les calculs sont difficiles, non seulement parce que la sonde est difficile à détecter, mais aussi parce que cette dernière a quelques problèmes de pointage.

Selon les premières estimations, l'écart lors du survol de Vénus pourrait atteindre 400 000 km. C'est trop, il faut donc une manœuvre de correction. Ce qui était prévu… et qui constitue aussi un dilemme. Plus elle est réalisée tard dans la mission, plus il sera possible d'être précis. Mais plus elle est repoussée, plus elle a de risques d'échouer à cause de la durée de vie limitée des systèmes. Les propulseurs seront finalement allumés dans la nuit du 4 au 5 septembre 1962, et réduisent la distance à 41 000 km. Ce n'était pas la valeur voulue, mais c'est déjà mieux.

Vénus, vidi, vici

Le voyage vers Vénus ne fut pas de tout repos. Deux pannes du système de stabilisation en septembre sont attribuées à des impacts avec des micrométéorites (ce qui paraît douteux 60 ans plus tard), s'en suit la défaillance d'un panneau solaire, qui finit par être définitivement en panne… Mais la proximité de Vénus et du Soleil permettent d'obtenir suffisamment d'énergie avec un seul des deux en fonctionnement.

Le 12 décembre, les opérateurs au sol s'aperçoivent que le logiciel à bord sera probablement incapable de déclencher automatiquement les prises de données, il faut donc envoyer les commandes manuellement. Mais le 14 décembre, malgré les problèmes (et la saturation d'une partie des capteurs), le survol se déroule comme prévu, à une distance estimée à 34 854 km d'altitude ! Les mesures peuvent avoir lieu et les données sont transférées jusqu'au 3 janvier. Mariner-2 est la première sonde active à avoir survolé une autre planète du Système solaire.

Les vraies « belles » images de Vénus viendront bien plus tard. Crédits : JAXA/K. M. Gill

La mission est placée sur un piédestal par les Américains, qui ont bien besoin de ce succès après les tentatives infructueuses vers la Lune, leur retard sur les vols habités face au programme soviétique Vostok et les coûts annoncés pour la course à la Lune qui démarre tout juste, mais qui promet déjà d'engouffrer des milliards de dollars.

Cela reste un accomplissement majeur… mais ironiquement, alors même que les États-Unis ont réussi cette première, il s'agissait essentiellement d'une prouesse technique sans suite majeure. L'URSS de son côté poursuivra durant deux décennies son programme Venera avec plus d'une dizaine de missions et des succès majeurs jusqu'à la surface de Vénus.

1959, la course à l'espace : Luna-1, le loupé soviétique transformé en succès
C'est qu'en plus, l'objectif n'était pas petit... © Wikipedia Commons