Des missions à foison ! Avec ses myriades de fusées et un record de lancements, 2022 n'aura pas déçu les amateurs de belles flammes. Et l'astronautique aussi est en fête, puisque l'on célèbre la fin d'année dans deux stations orbitales, à présent.
Transition pour certains, production industrielle pour les autres, tout s'accélère. Et il faut parfois gérer les échecs…
Les lancements dans le monde
Avec plus de 180 décollages vers l'orbite, 2022 est un véritable festival de moteurs-fusées décollant des quatre coins du monde. Que ce soit depuis de grandes bases historiques comme le Centre spatial Kennedy ou d'une plateforme-camion installée dans le désert à Jiuquan, de la jungle guyanaise jusqu'aux forêts de pins gelés à Plesetsk, le spatial a rugi en 2022. Et compte tenu de la quantité de tirs, il faut reconnaître que le nombre d'échecs est particulièrement limité : 5 seulement !
Les fusées s'élancent donc vers le ciel… mais pour y faire quoi ? Les usages évoluent. Il y a bien sûr les grandes constellations en orbite basse, Starlink en tête, OneWeb en embuscade ainsi qu'AST SpaceMobile et sa gigantesque antenne de 60 m². D'autres arrivent, comme Amazon qui a passé cette année une commande de 83 lancements à partir de 2024. Il y a aussi beaucoup de satellites étatiques, d'observation, de communication et de connectivité, toujours plus de connectivité pour les gens et les objets, et via une multitude d'orbites jusqu'en géostationnaire. On observe la Terre aussi, pour mieux la comprendre, pour en cerner les changements, pour gagner de l'argent. L'économie spatiale est source de titanesques investissements, mais peu d'entre eux dégagent une véritable rentabilité…
Mais tout cela génère un écosystème qui progresse toujours plus vite et qui repousse les limites. Stations-service en orbite, déployeurs, nanosatellites, observatoires, relais, transporteurs touristiques, et même de gigantesques vaisseaux en préparation… Le présent fonce et le futur accélère. Attention tout de même à ne pas trébucher : au fur et à mesure des déploiements par grappes, les pièges se multiplient. Débris en orbite, satellites en panne, les acteurs et les actions se multiplient pour contrer ces menaces qui, pourtant, gagnent en substance. En 2022, il n'y a eu qu'une réponse : allumer les moteurs et décoller.
Les États-Unis
Avec plus de 85 décollages cette année, il s'agit de la nation la plus prolifique du secteur. On peut citer quelques lancements significatifs de 2022, comme celui de la fusée super lourde SLS vers la Lune (après plus de 6 mois d'essais à l'extérieur), les deux décollages-largages de Virgin Orbit, ou encore les dernières aventures du lanceur Atlas V sur le site de Vandenberg qui sera prochainement transformé pour accueillir la prochaine génération de fusées Vulcan.
Malgré la crise avec la Russie (qui a stoppé ses exports de moteurs), le stock est suffisant pour qu'il y ait eu 7 décollages d'Atlas V et 2 décollages d'Antares 230+. D'ailleurs, pour ce dernier, une future version volera avec un premier étage américanisé à partir de 2024-2025. Rocket Lab a battu son record de lancements en un an avec 9 tirs d'Electron… mais aucun ne s'est fait depuis les États-Unis ! La fameuse campagne qui devait avoir lieu en fin d'année à Wallops, en Virginie, n'a pu aboutir à cause d'ennuis administratifs et d'une météo capricieuse. Plusieurs tirs ont eu lieu pour les « satellites espions » américains, comme le spectaculaire lancement de Delta IV Heavy ou celui de sa cousine de chez SpaceX, Falcon Heavy. Néanmoins, le grand lanceur de Blue Origin, New Glenn, n'a pas fait d'apparition surprise.
Les start-up s'en sortent moyennement, avec un lancement orbital d'Alpha (Firefly Aerospace) réussi et encourageant après leur échec de l'année dernière. Deux mises en orbite ratées pour Astra Space et sa fusée Rocket 3 ont presque scellé le destin de l'entreprise. Le lanceur est retiré du service, une partie de l'équipe a fait partie d'un plan de départ, et Astra mise désormais sur une fusée plus lourde et plus capable, avec des moteurs achetés à un fournisseur externe. Mais d'autres arrivent déjà sur le même marché malgré les retards, comme RS-1 d'ABL Space (plusieurs tentatives de lancement ont été annulées au dernier moment).
Mais parler des États-Unis, c'est aussi parler de SpaceX. L'entreprise dispose à présent d'une emprise tentaculaire sur le spatial américain. 60 vols pour la fusée Falcon 9, 33 vols et environ 1 500 satellites Starlink déployés en orbite en moins d'un an, avec une réussite insolente pour ses étages récupérés et réutilisés dans un format de « flotte » qui cumule, pour les plus anciennes unités, 15 vols à présent. De quoi baisser les coûts et afficher en cette fin d'année plus d'un million d'utilisateurs au service Starlink, mais aussi de quoi séduire les clients américains et internationaux au milieu de la crise des lanceurs européens ou de la guerre menée par la Russie.
SpaceX a aussi dirigé de nombreuses missions commerciales en orbite basse, moyenne et géostationnaire, sans oublier les décollages des capsules Crew Dragon et cargo. Le grand absent du dossier est le lanceur géant Starship-SuperHeavy. Le duo, malgré les affirmations d'Elon Musk, le fondateur de SpaceX, l'an dernier, puis en février, n'a pas décollé cette année, même si les essais progressent avec de nombreux allumages moteur. Ce retard est significatif alors même que la NASA compte dessus pour que les astronautes de l'agence foulent le sol lunaire…
L'Europe
Alors qu'Arianespace annonçait en grande pompe prévoir 17 lancements orbitaux cette année (dont 9 Soyouz au service de la constellation OneWeb), l'invasion russe de l'Ukraine a condamné une partie de ses prévisions, et le total tombe à 5 lancements. Ariane 5, en fin de carrière, n'a pas déçu avec trois décollages aussi importants les uns que les autres, mais pour le reste, les difficultés s'accumulent.
D'abord, Vega-C, après un décollage inaugural réussi, a subi un important échec en ce mois de décembre. Ensuite, Ariane 6, malgré des progrès cette année avec un exemplaire de test assemblé en Guyane et de premiers essais moteurs sur le 2e étage menés en Allemagne, est très en retard. Les essais de mise à feu statique n'ont pas encore eu lieu au Centre spatial guyanais, et le premier décollage vers l'espace n'est plus attendu avant la fin d'année 2023… si tout se passe bien ! Les programmes de démonstration de lanceurs réutilisables (Callisto, Themis) subissent des délais similaires.
Le secteur européen est actuellement en souffrance, à cause de la crise des lanceurs, mais également parce que, du côté industriel et institutionnel, la demande est très forte. Les satellites Galileo sont coincés au sol, comme ceux de la constellation Copernicus, faute de fusées. Ainsi, le télescope Euclid partira depuis les États-Unis, et il faudra que le nouveau client record, Amazon et sa commande de 18 lanceurs Ariane 64+ (une version améliorée d'Ariane 6), se montre particulièrement patient.
Malgré des budgets très inférieurs à ceux des acteurs industriels, les start-up, de leur côté, envoient des signaux encourageants. PLD Space (Espagne), Latitude (France), Orbex et Skyrora (Royaume-Uni) ainsi que Rocket Factory Augburg, HyImpulse et ISAR Aerospace (Allemagne) ont toutes progressé cette année sans baisser les bras. Mais l'orbite se rapproche-t-elle ?
La Russie
Sur le papier, le secteur spatial russe n'a pas tant tremblé des sanctions de 2022. Le pays compte à son actif 22 décollages, dans leur extrême majorité consacrés à l'État, et aucun échec, ce qui est remarquable. Soyouz est toujours là et toujours aussi fiable dans ses différentes versions. La fusée Angara 1.2 a réalisé ses deux premiers vols opérationnels avec succès, et malgré le retard, le programme progresse lui aussi.
Malgré tout, le pays, refermé sur lui-même, pâtit déjà de sa nouvelle réputation. Ainsi, il n'a qu'un seul décollage commercial de prévu après le 24 février pour l'Angola, plus de revenus à venir des ventes de moteurs, pas de nouveau vol annoncé pour des touristes orbitaux ou des puissances étrangères (exceptée la Biélorussie). Soyouz 5, en partenariat avec le Kazakhstan, est en retard, la grande Angara A5 n'a pas volé de l'année, et le nouveau site de lancement à Vostochny n'est pas encore prêt. Avec le conflit en cours, la grande transition entamée vers des moyens nouveaux semble de plus en plus dirigée uniquement vers l'intérieur du pays.
Toutefois, un succès significatif est passé sous les radars. Il s'agit de celui du petit satellite Skif-D, un satellite de démonstration de la partie connectivité de la future constellation Sfera russe.
L'Inde et le Japon
L'Agence spatiale indienne (ISRO) poursuit sa réorganisation, qui avait eu le malheur d'avoir le même calendrier que l'arrivée de la crise sanitaire en 2020-2021, pour transférer une partie de ses activités vers le secteur privé. Si le rythme de croisière n'est pas encore atteint, avec 5 décollages en 2022, la promesse est tenue avec les éléments du lanceur qui constitue la colonne vertébrale indienne, le PSLV. Son cousin beaucoup plus puissant, le GSLV Mk 3, a réussi son premier vol commercial international en accueillant un premier lot de satellites OneWeb pour une campagne très réussie. Mais le plus petit de la famille, le nouveau SSLV (destiné à de petites charges de quelques centaines de kilos en orbite basse) a raté son entrée en scène. Qu'importe, le marché est là et se développe.
Pour le Japon en revanche, non seulement il n'y a eu qu'un seul décollage cette année, mais la petite fusée Epsilon n'a pas pu réussir sa mission. Un échec difficile pour le pays qui faisait face à un retard important pour la mise en service de son lanceur lourd pour remplacer H-2A et H-2B, la fusée H-3. Cette dernière devrait décoller en février 2023.
La Chine
Il s'agit du pays avec la plus grande flotte de fusées en activité, un florissant ensemble de lanceurs tantôt d'anciennes générations mises en service dans les années 90, tantôt de modèles neufs et même à la pointe technologique. On compte plus de 62 tirs vers l'orbite et une extraordinaire diversité entre l'impressionnante CZ-5 (l'un des plus puissants lanceurs au monde) qui a emporté les deux derniers modules de la Station spatiale chinoise SSC vers l'espace, mais aussi CZ-2C, 2D, 2F, 3B, 4B, 4C, 6, 6A, 7, 8 et 11… ce qui ne regroupe que la famille « Longue Marche » !
Les acteurs semi-privés et les start-up ne sont pas en reste avec des décollages sur barge pour la nouvelle Jielong-3, depuis un camion pour Kuaizhou-1A et depuis un site privé à Jiuquan pour le nouveau lanceur au méthane Zhuque-2 (l'un des rares ratés cette année avec Hyperbola-1). Le pays prévoit de poursuivre son ambitieuse montée en puissance avec des fusées toujours plus capables, mais aussi réutilisables à l'avenir. En tout cas, ces progrès, s'ils existent, n'ont pas été montrés en 2022.
L'État a toujours la mainmise sur le secteur spatial, avec un nombre impressionnant de satellites « espions », malgré de nombreuses entreprises privées et d'énormes sommes investies par des banques et de grands groupes. De plus, les superconstellations arrivent doucement sur le devant de la scène, pour la connectivité, mais aussi au service de grands groupes automobiles comme Geely. L'opérateur de satellites d'observation Jilin dispose lui aussi d'un nombre record d'unités. Enfin, l'ouverture n'est pas toujours au rendez-vous. En 2022, la Chine s'est refermée sur elle-même avec la suppression de forums et de sites dédiés au spatial local, tandis que certaines campagnes de vol font à peine l'objet de publications.
L'astronautique
2022 fut une année faste pour l'humain dans l'espace. On compte ainsi 24 passagers vers l'orbite. 7 décollages de véhicules Crew Dragon, Soyouz et Shenzhou ont tous été réussis, et les astronautes ont voyagé en sécurité entre leurs sites de départ et leurs stations spatiales. C'est en effet la nouveauté de l'année : il y a désormais deux stations habitées en continu ! La Station spatiale chinoise avait accueilli ses premiers occupants en 2021, mais ce n'est que depuis juin dernier que les équipages se succèdent sans discontinuer. Dans leurs deux très grands nouveaux modules, les équipes chinoises préparent les expériences à venir, mettent en place de nombreux programmes de moyen et long terme, sortent sur les flancs de la station, éjectent des satellites…
L'ISS a quant à elle passé les 22 ans d'occupation continue… Mais la communauté spatiale a tremblé plusieurs fois face aux déclarations de certains responsables russes après l'invasion de l'Ukraine au printemps dernier. Finalement, la raison prévaut, et la coopération se poursuit, avec même une reprise notable, celle des échanges d'équipages : la Russe Anna Kikina a décollé sur Crew Dragon et l'Américain Francisco Rubio avec Soyouz. Il y a 10 astronautes en orbite en cette fin d'année… et quelques doutes à la suite de la découverte, mi-décembre, d'une fuite de liquide de refroidissement sur le véhicule orbital Soyouz MS-22. Impact de micro-météorite ? Problème de conception ? La situation n'est pas encore élucidée, et si les équipes sont en sécurité pour l'instant, le doute subsiste sur un possible échange de véhicules en début d'année. Il faut signaler aussi deux autres véhicules habitables, mais non habités qui ont réussi leurs missions : Starliner et Orion.
Et pour terminer, un encart particulier sur le tourisme spatial qui a bénéficié d'un premier semestre sur les chapeaux de roues avec 3 touristes en orbite grâce à la mission Axiom-1 et 3 vols de la capsule New Shepard avec à chaque reprise 6 passagers pour un « saut » à plus de 100 kilomètres d'altitude avec Blue Origin. Ce nombre croît, mais n'a pas progressé au deuxième semestre. Aucune capsule Crew Dragon n'a ainsi décollé au service du tourisme.
Néanmoins, au début d'année, le milliardaire Jared Isaacman a tout de même annoncé un programme spatial privé en partenariat avec SpaceX. De plus, New Shepard a été victime d'un accident lors d'un vol inhabité le 12 septembre. Même si d'éventuels passagers auraient survécu, le programme a été stoppé le temps de l'enquête… Virgin Galactic, de son côté, n'a fait voler ni avion porteur ni avion-fusée, les deux étant en modification prolongée avant un éventuel retour en 2023.