Les capsules Crew Dragon de SpaceX sont amarrées en permanence à l'ISS depuis 4 ans © NASA
Les capsules Crew Dragon de SpaceX sont amarrées en permanence à l'ISS depuis 4 ans © NASA

Depuis ce 11 septembre et pour quelques jours, il y a 19 astronautes en orbite en même temps. C'est une première, et cela montre un intérêt accru des agences, des entreprises et de riches clients pour aller autour de la Terre et au-delà. Mais c'est aussi une augmentation en trompe-l'œil : il n'y a quasiment que SpaceX qui en profite pour l'instant.

Ce mercredi à Baïkonour, une fusée Soyouz 2.1a a fait rugir comme prévu ses moteurs et s'est envolée dans la nuit noire, s'orientant avec précision pour éjecter sa capsule en orbite quelques minutes plus tard.

La mission Soyouz MS-26, qui a rejoint ensuite l'ISS trois heures plus tard, a fait basculer le compteur du nombre d'astronautes en orbite à 19, un chiffre inédit et un record qui va se prolonger jusqu'au 15 septembre, avec le retour d'une autre capsule, celle de la mission privée Polaris Dawn.

Soyouz, ne l'oublions pas, restera encore longtemps la capsule qui a emmené le plus d'astronautes en orbite. Il y en a actuellement deux amarrées à l'ISS © NASA
Soyouz, ne l'oublions pas, restera encore longtemps la capsule qui a emmené le plus d'astronautes en orbite. Il y en a actuellement deux amarrées à l'ISS © NASA

5 véhicules, 19 astronautes

Il y a donc 19 astronautes au-dessus de nos têtes. Une évolution significative lorsqu'on regarde dans le rétroviseur au-delà de quelques années. À la retraite des navettes en 2011, et jusqu'à ce que les Américains retrouvent une capacité pour envoyer des astronautes en orbite, il était commun qu'il n'y ait que 3 à 6 occupants de l'ISS au-dessus de nos têtes.

À partir de 2021 sont venus s'ajouter les équipages de trois astronautes chinois qui évoluent dans leur propre station, chiffre qui monte jusqu'à 6 lors des rotations d'équipages avec deux capsules Shenzhou amarrées simultanément.

En ce mois de septembre 2024, ce n'est pas le cas. Il y a actuellement une Shenzhou, deux Soyouz que l'on doit à un changement d'équipage russe et deux capsules Crew Dragon (une au service de la NASA, une autre à l'initiative de SpaceX et du programme Polaris). En faisant l'addition, on grimpe à 17… Mais il faut encore ajouter Barry Wilmore et Suni Williams, les deux astronautes de la capsule Starliner, laquelle est redescendue se poser sans eux. Leur véhicule, que l'on considère ou non qu'ils sont coincés sur l'ISS, arrivera le 25 septembre.

De plus en plus nombreux

Il faut bien préciser que ce chiffre de 19 astronautes est un record qui ne se reproduira peut-être pas avant plusieurs mois ou années. La plupart du temps, depuis 2021, il y a 10 astronautes qui évoluent tout au long de l'année sur des missions de longue durée (6 mois environ) : 3 sur la CSS et 7 sur l'ISS (3 en Soyouz, 4 en Crew Dragon). C'est déjà une progression impressionnante lorsqu'on compare ce chiffre à celui d'il y a une décennie.

Et pourtant, depuis l'an 2000, il y a eu en permanence au moins 2 astronautes en orbite de la Terre. 24 années en continu, c'est déjà un exploit notable. Ce chiffre de 19 astronautes pourrait être dépassé dans des conditions particulières, si par exemple la station chinoise accueillait des équipages permanents ou temporaires en plus (le projet est en discussion, au gré d'un agrandissement de la CSS).

Peut-être aussi au cours des missions Artemis, ou lors des futures missions habitées indiennes Gaganyaan ? Mais pour l'instant, le grand tournant qui a véritablement augmenté le nombre d'astronautes, c'est la mise en place de la capsule Crew Dragon de SpaceX.

Crew Dragon peut désormais décoller depuis le Centre spatial Kennedy (que l'on voit ici) ou depuis Cape Canaveral, à quelques kilomètres de là © spaceX

Crew Dragon a dépassé son plafond

Développée dans le cadre du programme Commercial Crew de la NASA (qui a déboursé 2,6 milliards de dollars pour aider l'industriel), la capsule Crew Dragon est un véhicule de SpaceX qui peut accueillir 4 astronautes. Les capsules, qui sont au nombre de 4 aujourd'hui (Endeavour, Resilience, Endurance et Freedom), sont réutilisables au moins cinq fois et sont certifiées pour rester au moins jusqu'à 6 mois en orbite.

Mais il faut se souvenir qu'à la sélection par la NASA en 2014, les perspectives pour cette capsule n'étaient pas aussi larges qu'elles le sont devenues : elle devait voler pour la NASA une fois par an, en alternance avec le véhicule Starliner de Boeing, et l'agence américaine ne s'était engagée que pour un minimum de 6 vols, avec une spécificité de ce contrat public-privé.

En effet, comme les capsules appartiennent toujours à SpaceX, libre à l'entreprise de proposer des vols à d'autres entités. En moins de 5 ans, Crew Dragon a déjà transporté des astronautes à 14 reprises, et 2 à 3 décollages supplémentaires sont attendus d'ici la fin de l'année.

L'arrivée remarquée des missions privées

Si Crew Dragon a déjà volé autant, et transporté plus de 50 passagers (54, dont 2 ont volé 2 fois), ce n'est pas uniquement grâce aux déboires de Starliner, mais bien grâce à l'émergence d'une filière privée, qui a surpris une ample frange de l'industrie.

En effet, s'il y avait eu quelques « touristes spatiaux » dans les années 2000, la perspective de passer 3 à 4 mois d'entraînement en Russie, mais aussi et surtout des tarifs impressionnants avaient progressivement fait baisser l'intérêt pour ces vols. D'autant qu'ils influaient sur les rotations au sein de l'ISS, et que le rythme des décollages de capsule Soyouz est calculé très à l'avance.

La capsule Crew Dragon, à l'inverse, a montré avec la mission Inspiration4 qu'elle pouvait voler pour de courtes durées avec un équipage formé entièrement hors agence spatiale, aucun de ses quatre passagers n'étant un astronaute de carrière. Et comme elle est réutilisable, la planification des opérations peut être programmée pour quelques mois, voire à l'année. C'est ainsi que SpaceX a pu annoncer cet été la nouvelle mission Fram2, financée par un magnat des cryptomonnaies, qui partira sur une trajectoire polaire d'ici la fin de l'année 2024.

Les 4 passagers de la mission Inspiration4 lors d'un selfie dans la "coupole" installée sur leur capsule. À gauche, le milliardaire Jared Isaacman, qui a financé la mission © Inspiration4

SpaceX a réussi à attirer plusieurs richissimes personnalités et les a séduites en les faisant participer à ses progrès pour des premières remarquées. Le vol Inspiration4 était le premier avec des passagers entièrement non professionnels, avec une coupole et un objectif caritatif, Polaris Dawn a vu une première sortie spatiale avec les nouvelles combinaisons de l'entreprise, et Fram2 sera la première à survoler les pôles.

Jared Isaacman, milliardaire convaincu que sa fortune est mieux employée à financer les progrès spatiaux, finance même une large part du programme privé Polaris (4 missions) sur ses fonds propres.

L'essor des vols pour les petites agences

À ces personnalités particulières, il faut ajouter un partenariat important avec une entreprise intermédiaire, Axiom Space. C'est là un pari intéressant, Axiom a créé des liens avec la NASA pour qu'elle autorise sous conditions des visites de courte durée sur la Station spatiale internationale, et avec SpaceX pour la formation et l'envoi de ses astronautes, recrutant au passage plusieurs préretraités prestigieux des agences américaines, japonaises et européennes.

Or, si Axiom Space pensait à l'origine séduire les super-riches, ce sont finalement les « petites » agences spatiales qui se pressent pour obtenir des vols de courte durée, à la fois pour le prestige et pour des expériences sur la station. Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Turquie, Suède, Italie en ont déjà profité, l'Inde, la Pologne et la Hongrie devraient être les suivants.

Axiom Space fait toujours voler un astronaute professionnel (ici, Michael López-Alegría, deuxième à gauche) avec 3 passagers. La formule rencontre un succès, avec déjà 3 missions au compteur, et une quatrième dès 2024 © SpaceX / Axiom Space

Résultat, Crew Dragon, qui n'aurait pu voler qu'une seule fois par an comme c'était envisagé en 2014, vole désormais entre 3 et 5 fois par an. Et la demande est toujours là. Avec l'apparition, avec la fin programmée de la Station spatiale internationale, d'une ou de plusieurs stations développées de façon publique-privée, il y a fort à parier que cette success-story se poursuive sur une bonne décennie. Jusqu'à ce que Starship prenne le relais ?

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