À une époque où l'envoi de satellites autour de la Terre était encore entouré d'incertitudes, envoyer une sonde viser la Lune et s'y écraser était un incroyable défi. Pourtant, en 1959, les deux grands blocs de l'exploration spatiale pensaient y arriver, après une série de déboires et des réussites pleines de promesses.
Pioneer 4 et Luna 2 ont toutes les deux été des réussites, soulignant les progrès de cette période.
Rater la Lune, réussir la comm'
En janvier 1959, l'Union soviétique a bien cru une poignée de minutes qu'elle serait la première à envoyer une sonde percuter la surface lunaire, après des mois d'efforts et trois échecs consécutifs. Mais à l'époque, pas facile de viser la Lune. En dehors de leur fusée porteuse, les satellites et sondes ne sont pas encore équipés de propulsion. Résultat, celle qui fut baptisée Luna 1 en cours de route devint un véritable faux succès. Elle est la première à avoir survolé la Lune, à une distance relativement proche de 6 000 kilomètres seulement. Pour cette époque balbutiante, cela reste un véritable exploit !
Les Soviétiques savent déjà que s'ils finissent par maîtriser à la perfection leur fusée, ils vont réussir leur projet d'impacteur. Naturellement, la vraie « course à la Lune », celle des astronautes, n'est pas encore lancée (il faudra attendre au moins deux ans de plus). Néanmoins, l'URSS et l'ingénieur principal Sergei Koroliov ne manquent pas d'idées pour rejoindre et explorer notre satellite. Ils ont déjà comme projet d'envoyer des sondes pour entrer en orbite et même s'y poser !
URSS 1959
Mais une chose après l'autre. D'abord, des progrès dans le guidage du lanceur, mais aussi dans la conception des véhicules permettent de produire deux engins un peu plus capables que Luna 1, et aussi plus lourds d'une vingtaine de kilogrammes. Cette variante, malgré ses 390 kg, reste basique : il s'agit d'une grosse sphère de 80 cm de diamètre faite de métal, pressurisée avec une atmosphère à l'hélium, d'où dépassent les antennes de communication de la sonde qui sont capables d'émettre sur plusieurs fréquences.
À l'intérieur, on ne trouve ni radar ni électronique complexe, mais quelques capteurs, dont un compteur Geiger pour tenter de mesurer une éventuelle magnétosphère lunaire, un système de ventilation et les émetteurs pour les données. Il y a aussi trois sphères que l'on peut comparer à des « ballons de foot » en acier inoxydable, constituées de pentagones en titane avec un message simple gravé dessus : « URSS 1959 » (si jamais vous en trouvez un à la surface de la Lune, comme ça, vous saurez d'où il vient).
N'étant pas une évolution fondamentale par rapport aux quatre exemplaires produits en 1958 (et surtout par rapport à Luna 1), la sonde ne pose pas spécialement de problème pour sa fabrication. Mais pour ce qui est de son lancement, ce n'est pas la même affaire. Il faut préciser qu'il y a alors très peu de fusées de type R-7 disponibles, et que le programme est à l'origine militaire. Avant d'être une fusée efficace, elle était un missile intercontinental.
Ce sont donc les essais balistiques qui sont à l'ordre du jour en ce début 1959, et tant pis pour une sonde censée s'écraser sur la surface lunaire. Il n'y a ainsi aucun vol spatial vers l'orbite prévu au premier trimestre. Voilà qui donne un peu de temps aux Américains pour rattraper leur retard.
Pionniers de pas grand-chose
Si les Soviétiques ont réussi à envoyer un impacteur vers la Lune avec Luna 1 en janvier 1959, c'est aussi parce que les Américains ont fait leurs propres essais de missions vers notre satellite naturel. Avec des résultats catastrophiques. Pioneer 1 (orbiteur lunaire) rate son objectif en octobre, Pioneer 2 rate l'orbite en novembre, et Pioneer 3, malgré un petit mieux, ne dépasse pas les 102 000 kilomètres d'altitude… C'est certes bien pour l'époque (et cela permettra d'étudier les ceintures de Van Allen), mais largement insuffisant pour une mission lunaire.
Mais, le 6 mars 1959, la minuscule sonde Pioneer 4 va permettre aux États-Unis de relever un peu la tête. Pioneer 4 est un étonnant petit cône alimenté par batterie et dont la surface sert d'antenne pour ses transmissions vers le sol. Les capacités américaines étant encore très éloignées de celles de l'URSS, la sonde ne pèse que 6 kg et ne consiste, en gros, qu'en un transmetteur avec un petit capteur de luminosité destiné à s'activer lors de son survol lunaire.
Le décollage de Pioneer 4 se passe très bien (pour une fois), et la minuscule sonde fonce vers la Lune. Mais les équipes se rendent compte juste après son départ que la fusée est restée allumée trop longtemps cette fois, et que par conséquent, le survol se fera à une altitude de plus de 50 000 kilomètres. C'est assez pour annoncer un succès (et encore, il ne recevra pas toute la publicité voulue), mais trop peu pour déclencher même le capteur photométrique.
Reste que la toute jeune agence américaine semble à l'époque relever le gant par rapport au succès soviétique de janvier. Un trompe-l'œil, mais réussi ! Ironiquement, ce petit succès sera le seul pour la NASA, qui va ensuite rater toutes ses missions lunaires, et en particulier le programme Ranger, jusqu'à 1964.
Pour une fois qu'on avait une fusée !
Les mois passent, et les équipes soviétiques redoutent qu'après leur succès du mois de mars, les États-Unis réussissent à envoyer un impacteur frapper la Lune. En réalité, elles peuvent dormir tranquilles. La NASA prépare bien un projet d'orbiteur lunaire, mais il n'est pas encore prêt et ne tentera l'aventure qu'en automne.
Les militaires mobilisent les fusées R-7 jusqu'en juin, et l'URSS n'envoie aucun satellite durant presque 5 mois. Mais, le 18 juin, la sonde E-1 n° 5 est prête à aller frapper la Lune. Elle, oui, mais son lanceur… non. Après 2 minutes et 33 secondes de vol, le système de guidage inertiel décide de lui-même d'aller visiter le Kazakhstan, et l'équipe de contrôle au sol doit stopper les moteurs. C'est un échec coûteux, mais qui ne va pas jusqu'à remettre en cause l'objectif d'aller frapper le sol lunaire. Malgré cela, il ne reste qu'un exemplaire de sonde E-1.
On s'éclate (sur le régolithe)
Il faudra à nouveau attendre un créneau jusqu'au mois de septembre et prendre patience pour les équipes du programme lunaire soviétique. Le 12 septembre, leur attente est enfin terminée, et à peine plus d'une dizaine de minutes après l'allumage des moteurs, Luna 2 est en route pour la Lune. L'étage de la fusée largue, pour mieux pouvoir suivre la sonde, un nuage de sodium. Couplé avec la triangulation des signaux radio de Luna 2, cela permet de bien la retrouver dans le ciel, et donc d'orienter les antennes de suivi au sol.
Les premiers relevés montrent heureusement que le véhicule est bien en route pour la Lune. Comme ses prédécesseurs, la sonde n'est pas équipée de propulsion et ne peut pas changer d'orientation. Elle tourne lentement sur elle-même et fonce vers la surface lunaire. Et, après 33 heures et 30 minutes de vol, elle s'écrase sur notre satellite naturel. Pour la toute première fois, un objet fabriqué par l'Homme a atteint un autre corps céleste. Environ une demi-heure après la sonde, c'est au tour de l'étage supérieur de la fusée d'atteindre lui aussi la Lune.
Évidemment, il convient d'être prudent avant de faire une annonce officielle. Mais l'étude des signaux radio montre bien que Luna 2 a atteint la Lune et s'y est écrasée. D'autant plus qu'elle n'a détecté aucun rayonnement particulier lors de son approche : la Lune n'aurait ainsi pas de champ magnétique spécifique.
Pour l'occasion, les scientifiques russes ont même reçu l'autorisation, après le décollage, d'envoyer un message à un éminent expert anglais, Bernard Lowell. Ce dernier réussit au cours du vol à capter les signaux de la sonde grâce aux éléments qui lui ont été transmis et en calcule même sa position, tout en déterminant grâce à ses calculs le lendemain que la sonde s'est bel et bien crashée sur la surface. Dès lors, le succès soviétique ne peut plus être remis en doute. Il signe en cette fin d'été 1959 le début d'une période humiliante pour les États-Unis, qui vont encore avoir à supporter de gros revers dans l'exploration spatiale. En effet, l'URSS prépare déjà Luna 3…