La fameuse Haas 2CA et son moteur aerospike (vue d'artiste) © ARCA Space
La fameuse Haas 2CA et son moteur aerospike (vue d'artiste) © ARCA Space

Quelle odyssée, quelle aventure que celle d'ARCA Space. Incroyable, au sens premier du terme : 24 ans après sa création, la petite entreprise roumaine continue, inlassablement, de promettre plus grand, plus haut, plus économique, plus vert. Et pourtant, en un quart de siècle, presque rien n'a volé. Un écran de fumée ?

À première vue, la défiance de la majorité des acteurs et observateurs avertis des progrès de l'exploration spatiale envers ARCA Space pourrait paraître déplacée. Et en effet, les vidéos de l'entreprise montrent une équipe et un patron à la fois charismatique et engagé, passionné et enthousiaste, entouré d'une véritable collection de matériel spatial… Alors, pourquoi sourire ? Tout simplement parce qu'en plus de 20 ans, c'est la force de l'habitude avec cette petite entreprise : un schéma qui se répète, semble-t-il, à l'infini entre l'équipe roumaine et ses clients ou investisseurs. Mais jugez par vous-même.

Celle-ci n'a jamais volé, mais elle flottait vachement bien quand même © ARCA Space
Celle-ci n'a jamais volé, mais elle flottait vachement bien quand même © ARCA Space

ARCA, viser plus haut

ARCA Space ou ARCA (Asociația Română pentru Cosmonautică și Aeronautică en roumain) naît en 1999 avec une petite équipe sous l'impulsion de celui qui en prendra rapidement les rênes, Dumitru Popescu, à l'époque jeune diplômé.

L'objectif, qui précède de plusieurs années celui du NewSpace d'aujourd'hui, est déjà de construire, tester et faire voler des fusées. Le concept technique, lui, est moins ancré, mais l'équipe acquiert rapidement une excellente maîtrise de la fibre de verre, ce qui ne sert pas ou très peu un but spatial, mais permet de faire des maquettes à grande échelle de ses nouveaux designs. C'est là un élément déterminant pour attirer les investisseurs. La première fusée d'ARCA, Demonstrator, ne volera ainsi jamais, mais l'avoir baladée à Bucarest et ailleurs en Roumanie permet à l'équipe de faire parler d'elle, ce qui attire les fonds.

Projet d'appel ?

En 2003, ARCA se fait connaître par sa participation au « X-Prize », qui promet une somme importante à la première entreprise à dépasser les 100 kilomètres d'altitude avec un véhicule privé habité. Bien loin de Scaled Composites et de son SpaceShipOne, ARCA propose son propre avion-fusée suborbital, Orizont.

L'entreprise crée à nouveau une belle maquette, ce qui lui permet d'attirer les caméras et la presse pour un essai très médiatisé de sa toute petite fusée Demonstrator 2 (qui n'a rien à voir avec Orizont) et qui atteint à cette occasion les 1 200 mètres d'altitude. Le moteur rudimentaire, au peroxyde d'hydrogène, fonctionne, mais surtout, les visuels de la « future capsule » font mouche. ARCA attire l'attention. Assez pour ranger le projet Demonstrator, mais aussi Orizont au fond d'un hangar, ne plus y toucher et passer à autre chose. Étrange ? Oui et non. Ce n'est pas si inhabituel pour une start-up, y compris dans le spatial, d'utiliser un projet d'appel (on l'a vu avec XCOR…). Mais pour ARCA, c'est le début d'une longue habitude.

Une fusée ARCA exposée à Bucarest. Rien de mieux pour attirer le regard ! © ARCA Space

D'une démonstration à l'autre

Le prochain projet s'appelle donc Stabilo et démarre en 2004. L'objectif, cette fois, est d'avoir une capsule habitée pour une personne, attachée à une fusée, avec l'ensemble emporté d'abord jusqu'à presque 30 kilomètres d'altitude grâce à des ballons-sondes à l'hélium. Pour les ballons, les progrès sont rapides. Mais il faudra attendre fin 2006 pour un premier essai consistant à un « simple » essai de portage de matériel jusqu'à 22 kilomètres d'altitude. Puis, en septembre 2007, un deuxième ballon réussit à son tour à emporter une maquette de Stabilo et sa capsule jusqu'à 12 kilomètres d'altitude.

Ces deux succès retentissants ne sont une fois de plus pas vraiment liés à des fusées… Toutefois, ils suffisent à assurer aux investisseurs et aux médias qu'ARCA est une start-up spatiale avec une équipe solide, des moyens et de la volonté. Dans la foulée, évidemment, Stabilo est mis au garage (le petit moteur, néanmoins, sera testé au sol plus tard).

Le jardin à maquettes et à étages et à concepts chez ARCA en 2022 © ARCA Space

Et pourquoi pas la Lune ?

En 2008, ARCA rejoint cette fois le Google X-Prize, qui vise à envoyer un rover sur la Lune, et investit ses efforts et sa communication sur son nouveau lanceur, le Haas (rien à voir avec l'équipe de Formule 1). Il s'agit d'une fusée à 3 étages à propulsion hybride, et elle aussi doit décoller depuis la stratosphère à 18 000 mètres, portée jusque-là par un gigantesque ballon. Mais, faute de fonds, ARCA veut d'abord démontrer son concept avec un prototype plus petit, la fusée Helen.

Malgré des investissements privés, le design des énormes ballons ne parvient pourtant pas à passer l'épreuve de la réalité, et deux tentatives, en 2009 et 2010, échouent. L'entreprise recentre alors ses efforts pour ne porter que le 2e étage de la fusée Helen. En gros, un démonstrateur du démonstrateur… Ce dernier réussit son vol d'abord porté par un ballon, puis une fois largué avec son propre moteur. Il accélère à 2 300 km/h et grimpe jusqu'à presque 40 kilomètres d'altitude ! Une prouesse… avant la suite ? Non, Helen et le projet Haas prennent aussitôt le chemin de la remise.

Demonstrator, Executor, Jaipasfaitletestor

En décembre 2010, ARCA présente un projet d'avion-fusée (l'IAR-111) capable d'emmener la fusée Haas 2 jusqu'à 18 kilomètres d'altitude, puis de la larguer avant qu'elle continue et prenne le chemin de l'orbite seule. Cette fois, seul le cockpit sera testé, ou du moins son système d'éjection avec parachute (il fonctionne). Là encore, les moulages en fibre de verre sont de toute beauté.

L'entreprise poursuit le projet durant 2 ans, présentant même son moteur fusée « low cost » et à forte puissance, l'Executor. Il ne verra jamais le banc de test, mais des moulages des nouvelles Haas 2B et Haas 2C seront montrés au public, en particulier à Bucarest. Pourtant, le clivage avec l'agence spatiale roumaine ne cesse de s'approfondir. Il passe cependant au second plan, car ARCA obtient, à la surprise générale, un contrat avec l'agence spatiale européenne pour tester les parachutes du projet ExoMars Schiaparelli en 2012. Le début d'une grande aventure avec l'ESA et l'entrée d'ARCA dans le spatial européen ? Pas vraiment.

L'entreprise réussit un premier test avec ballon pour valider les conditions de vol des suivants… qui n'auront jamais lieu. Entre-temps, la Russie annexe la Crimée après sa première guerre masquée en Ukraine, et l'entreprise évoque des problèmes de sécurité. Le nom d'ARCA reviendra d'ailleurs sur plusieurs lèvres après le crash de l'atterrisseur Schiaparelli sur Mars en 2016.

Le test sous parachute au service de l'ESA, avec son container étanche © ARCA Space

Ceci est une révolution (euh)

Pourtant, vous l'aurez compris, l'avion spatial, l'Executor, les tests ballons… Tout est déjà bien rangé au garage alors que les tests devaient avoir lieu. En 2014, ARCA est passée à autre chose et tente de vendre un grand drone, l'AirStrato (7 mètres de long et 16 mètres d'envergure) capable, selon l'agence, d'aller voler jusqu'à 20 heures en très haute altitude.

Le projet n'a pas d'écho en Roumanie… Alors, pourquoi ne pas entreprendre ailleurs ? Auréolé d'une réputation d'entrepreneur spatial, Dumitru Popescu déménage avec une grande partie de son équipe au Nouveau-Mexique, à Las Cruces. S'ensuit une période étrange durant laquelle ARCA a visiblement enterré l'AirStrato qui, pourtant, avait trouvé quelques clients ou prospects. Elle tente de vendre en 2015 un hoverboard (oui, vous avez bien lu) capable de se soulever du sol durant 6 minutes. Le prix d'appel de 20 000 dollars ne séduira aucun investisseur.

En revanche, faire des annonces sur des fusées, ça marche ! Encore faut-il être ambitieux. En mars 2017, ARCA met le paquet et dévoile sa nouvelle maquette de lanceur, le Haas 2CA. Il est équipé d'un moteur révolutionnaire qui fonctionne sur le principe aerospike. Dimitru et son équipe promettent un vol suborbital de leur démonstrateur dès l'été 2017, puis un vol orbital dans la foulée et… Vous l'avez sans doute déjà deviné, le moteur ne sera jamais testé, le démonstrateur n'a pas volé, pas plus que la fusée Haas 2CA.

Il faut dire qu'à l'automne 2017, l'équipe s'est retrouvée sur le carreau. Le patron a officiellement été accusé de fraude et menacé d'une grosse amende, et même d'une peine de prison. Il sera innocenté plus tard. L'investisseur qui a porté plainte a pour sa part visiblement eu gain de cause, car ARCA a quitté les États-Unis.

Test d'un petit démonstrateur de l'EcoRocket et son moteur à eau en 2021. C'est le seul vol de l'entreprise côté fusée ces dernières années © ARCA Space

Retour en Roumanie

En 2018 et 2019, puis en 2020, l'entreprise vit de campagnes de financement participatif et continue d'appliquer sur le long terme le modèle tâtonnant mis en place durant les deux décennies précédentes : promettre gros, montrer des maquettes, promettre un premier démonstrateur, faire de premiers tests beaucoup plus petits que prévu, puis, après quelques mois, promettre gros sur un autre projet. Ainsi, le moteur aerospike laisse sa place à un moteur qui fonctionne à l'eau chaude (véridique !), puis à tout un étage de fusée propulsé à l'eau chaude, accompagné de magnifiques vidéos de test sur un banc d'essai en Roumanie, ce qui donne une fois de plus à l'entreprise quelques crédits médiatiques.

La fusée s'appelle successivement LAS, puis EcoRocket, ce qui sonne encore mieux, puisque ARCA attaque frontalement « toutes les entreprises spatiales qui polluent tant ». Naturellement, une fusée à l'eau chaude qui ne vole pas, excepté un test sur un étage en 2021, ça pollue peu. Il faut également concéder à l'agence un sens inné du timing, puisque le vol initial de sa fusée (qui décolle immergée dans la mer), décalé plusieurs années durant, ne put avoir lieu au printemps 2022 : il y avait à nouveau les navires de guerre russes dans la zone !

On en est là (c'est une véritable image sur le site d'ARCA) © AMi Exploration / ARCA Space

Le cycle continue, tant qu'il y a des investisseurs. Un essai de mise à feu devait avoir lieu « début décembre » dernier, mais lui non plus n'a pas vu le jour. En revanche, l'entreprise a presque tenté de se faire oublier en utilisant un nouveau nom, AMi Exploration, avec encore quelques belles maquettes en fibre de verre et de superbes promesses. Cette fois, il est question d'une fusée avec rien de moins que 540 boosters, de l'EcoRocket Heavy et d'un véhicule qui partira miner des astéroïdes, parce que pourquoi pas.

De plus, pour s'adosser à un nouveau public, AMi n'a pas oublié les nouvelles technologies et s'est mise à vendre des crypto-tokens. Après 24 ans d'existence, c'est une firme spatiale bien peu spatiale, mais qui a bien compris comment attirer l'attention. Et, malgré une liste incroyable de projets abandonnés, elle a tout de même à son actif quelques impressionnantes démonstrations et maquettes.