L'entrée dans la capsule Mercury sur le pas de tir, à Cape Canaveral. Il fallait un peu de souplesse... © NASA
L'entrée dans la capsule Mercury sur le pas de tir, à Cape Canaveral. Il fallait un peu de souplesse... © NASA

Elle était la dernière mission pour la minuscule capsule de la NASA, et celle qui devait remplir tous les objectifs de ce premier programme habité. Dans un véhicule spécialement modifié, Gordon Cooper s'élance vers l'orbite basse en mai 1963. Mais comme d'habitude, les vols des pionniers réservent leur lot de surprises.

Pilote d'essai, ce n'est pas qu'une ligne sur le CV.

Au-delà du Mercure

Au retour de la mission Mercury-Atlas 8, les interrogations politiques demeuraient : fallait-il vraiment poursuivre les missions Mercury alors que le véhicule et son lanceur limitaient toute nouvelle ambition ? Pour cette fin du programme, la réponse est arrivée rapidement. Mercury a été mise en place pour effectuer des vols spatiaux capables de s'étendre sur plus d'une journée, l'Union soviétique a fait voler plusieurs missions plus d'une journée, il n'est donc pas question d'attendre encore deux ans supplémentaires pour un « vol long ». Et qu'importe s'il faut pour cela un véhicule spatial « désossé » par rapport à ses prédécesseurs !

Dès le retour de Walter Schirra en octobre 1962 après son vol de 9 heures, les équipes travaillent avec pas moins de 183 modifications sur la capsule Mercury. Leur objectif : passer au moins 27 heures, idéalement 22 orbites dans l'espace. Il ne faut pas qu'elles prennent trop de temps, la « course à la Lune » est lancée et personne ne sait ce que préparent les Soviétiques pour leur prochain vol orbital.

Mais qui est Gordon Cooper ?

Le pilote choisi pour cette dernière mission est Gordon Cooper, 36 ans au moment de son vol. Il est le plus jeune des « Mercury Seven » et a patiemment attendu son tour. Ce dernier est un pilote jusqu'au bout des ongles : son père volait déjà après la Première Guerre mondiale, et ses parents ont acquis un biplan sur lequel il maniait déjà le manche à l'âge de 12 ans.

Né trop tard pour piloter durant la Seconde Guerre mondiale, Cooper se marie avec une pilote avant de s'engager pendant ses études dans l'US Air Force. En 1956, il entre par la grande porte au centre de formation de pilotes d'essai sur la base d'Edwards. Il va y piloter une multitude de jets jusqu'à être « présélectionné » parmi 100 pilotes pour aller passer les entretiens et intégrer la petite liste des astronautes de la NASA. Il devra cette ascension en partie à une petite filouterie établie avec son épouse. Tous deux sont en effet séparés depuis quatre mois quand Gordon postule pour le poste, mais le pilote sait bien que l'agence américaine ne prendra que des « pères de famille modèle ». Ils décident tous les deux de jouer la comédie pour changer de vie.

Pendant la mission Faith 7, Deke Slayton et Chris Kraft ont l'air de douter un peu... © NASA
Pendant la mission Faith 7, Deke Slayton et Chris Kraft ont l'air de douter un peu... © NASA

Travaux sur capsule

Gordon Cooper n'a pas attendu son vol pour s'investir dans le programme Mercury. Il participe aux travaux sur le lanceur Redstone. Il devient ensuite responsable des communications (CapCom) pour Alan Shepard, puis Scott Carpenter avant d'être le remplaçant désigné pour Sigma 7, la mission avant la sienne.

D'ailleurs, il faut bien la baptiser aussi, mais comment ? Cooper choisit Faith 7 (« faith » signifie la foi ou l'espérance en anglais), une décision qui ne plaît qu'à moitié au management de la NASA. Avec un nom si fort, que se passerait-il si la mission était un échec ? Le nom reflète peut-être aussi une certaine inquiétude, car la capsule a bel et bien été modifiée, mais son lanceur aussi.

D'ailleurs, le 30 janvier 1963, la fusée Atlas toute neuve et sortie de l'usine pour ce vol bien particulier ne réussit pas à passer l'inspection à cause d'un câblage défectueux. Ce problème va retarder le vol de plusieurs semaines, puisque le lanceur ne sera finalement prêt pour être réceptionné que le 15 mars ! L'attente va presque coûter sa place à Cooper, qui entre plusieurs fois en conflit avec sa hiérarchie et finit par outrepasser les limites avec un passage en rase-mottes à bord d'un F-102 moteur hurlant à Cape Canaveral. Malgré cela, il conservera finalement sa place. Pas de vagues !

Un vol sans histoires (ou presque)

Le lancement de Faith 7, qui pèse désormais 1 400 kilos (soit presque 40 de plus que sur le vol précédent), n'aura pourtant pas lieu avant le mois de mai. Le 14, Gordon Cooper est solidement attaché à son siège au sommet de la fusée, mais il attend… longtemps. Un problème de radar d'une station de suivi dans les Bahamas, puis un problème de moteur sur l'un des systèmes de tour mobile causent d'importants retards.

À tel point que Gordon Cooper devient le premier astronaute à dormir pendant un compte à rebours. La tentative sera annulée ce jour-là et reportée au lendemain. Faith 7 décolle finalement le 15 mai à 14 h 04 (heure de Paris) et atteint une orbite de 163 x 265 kilomètres d'altitude, assez pour maintenir un vol stable sur plus de 20 orbites. L'objectif est réussi côté lanceur !

Faith 7, le décollage de la dernière capsule Mercury © NASA

À l'exception de quelques expériences qui comprennent par exemple l'éjection d'un petit ballon équipé de lumières stroboscopiques, de photographies (la météo sur la majorité des continents survolés est excellente ce jour-là) et le passage des orbites, les activités de Gordon Cooper sont limitées. Pour économiser un maximum de carburant de manœuvre, sa capsule est en vol libre, sans contrôle d'attitude actif la majorité du temps.

Il mange et boit, et pour la première fois, la NASA lui demande s'il peut dormir à partir de l'orbite numéro 9. Mais l'excitation du jour couplée à l'envie de profiter au maximum de la vue en orbite l'empêchent de s'assoupir complètement. Il va toutefois somnoler durant les quatre orbites consacrées à son repos, en alternant avec des instants photographiques.

Il y a 22 orbites prévues, et aux 14e et 15e, l'astronaute passe du temps à régler les instruments de bord, y compris les communications. Il prend une fois de plus beaucoup de photos, y compris de la luminescence de l'atmosphère dans les zones de nuit (phénomène de halo ou airglow mieux documenté aujourd'hui). De plus, il passe à la télévision en direct au cours de l'orbite 17. Une caméra à transmission bas débit a en effet été embarquée dans la capsule. Jusqu'à l'orbite 19, les 30 premières heures de sa mission se passent particulièrement bien.

Un vol avec histoires (finalement)

Tout commence par un capteur qui se comporte mal, ce qui n'est pas si inquiétant. Puis, à la 20e orbite, toute une partie du tableau de bord tombe en panne, et ce n'est qu'un début, car ce n'est pas qu'une question d'affichage. Un court-circuit, probablement lié à un problème d'humidité ambiante mal dissipée, cause une panne électrique sur la quasi-totalité de la capsule Mercury.

Mais Gordon Cooper garde son calme et prépare tout de même la rentrée atmosphérique avec l'aide des équipes au sol. Le système de Radio utilise un bus différent qui n'est pas affecté par la panne, une aubaine ! Il passe une orbite complète à préparer son retour, qu'il décrira comme la victoire du pilote sur les systèmes automatiques. En effet les astronautes étaient quasiment des « passagers » dans Mercury. Mais lui a dû gérer l'ensemble des paramètres à la main à cause de la panne des systèmes de bord.

La fine atmosphère terrestre dans toute sa splendeur, photographiée par Gordon Cooper © NASA

Le coup de la panne

Synchronisé à l'aide de sa montre au poignet, des équipes au sol et avec un référentiel tracé à la règle sur son hublot pour rester aligné sur les bonnes constellations et garder une orientation fixe, Cooper attend le compte à rebours. Il déclenche ensuite manuellement les rétrofusées au top horaire avant de traverser l'atmosphère sans incidents et d'ouvrir ses parachutes pour amerrir à seulement 6 kilomètres du point prévu. C'est là une occasion en or pour la NASA de vanter la qualité de ses pilotes, mais aussi la fiabilité globale de ses systèmes, même en cas de panne.

Côté interne toutefois, les dents grincent : le drame n'était pas si éloigné. Heureusement, même avant le vol, le gouvernement américain, considérant toutes les options pour freiner et se désorbiter en cas de problème, avait déployé un contingent record en mer : 28 navires, 171 avions et 18 000 militaires !

La classe et le sourire © NASA

Mercury, c'est fini

Ce dernier vol de la capsule Mercury reste comme un succès, avec 34 heures et pratiquement 20 minutes de vol. Il est loin des capacités des véhicules soviétiques Vostok, mais dans l'esprit du public, la NASA a réussi à communiquer sur « un vol de plus d'une journée ».

Surtout, le programme se clôture sans drames et avec un optimisme renouvelé pour Gemini, qui reprend les mêmes bases avec un véhicule plus grand et plus capable. Le tout alors que l'URSS n'en a pas encore terminé avec Vostok et prépare en coulisses et dans le plus grand secret le premier vol féminin. Gordon Cooper, lui, peut fanfaronner (et profiter de sa Corvette, qu'il conduisait fort vite) avant de s'investir à son tour dans Gemini. Il reverra bien l'espace…