La mission Crew-1 est la première des rotations « régulières » de la capsule de SpaceX au service de la NASA. Les quatre astronautes sont en route pour l'ISS, qu'ils devraient rejoindre mardi matin. Après une intense préparation, Crew Dragon est à présent certifiée !
La mission devrait durer entre cinq et six mois.
Après Demo-2, une course contre la montre
Le 2 août, dès que la capsule Crew Dragon fut installée à bord du navire de récupération de SpaceX, au milieu d'une flotte improbable de plaisanciers dans le Golfe du Mexique, le processus de certification « final » du véhicule pouvait commencer. Bien sûr, la NASA surveille, spécifie, vérifie et accompagne SpaceX depuis que la capsule a été sélectionnée en janvier 2015. Ce fut une longue route, parfois semée d'obstacles…
On se souviendra qu'il y a cinq ans, la réutilisation n'était pas une réalité, ni pour les capsules ni pour les étages du lanceur de SpaceX. Que de remplir la fusée avec ses ergols une fois les astronautes assis dans Crew Dragon fut un casse-tête technique pour la sécurité. Que les moteurs Merlin ont dû être adaptés suite à la découverte de microfissures. Tout ceci fait partie des inévitables embûches liées à la mise au point d'un nouveau véhicule pour transporter des astronautes.
Le vol de démonstration avec Bob Behnken et Douglas Hurley ayant été une croisière sans incident, il ne restait plus qu'à inspecter toutes les données récupérées avant de constituer le dossier final de certification. Ce qui semble n'être qu'un coup de tampon est en fait une étape capitale : elle assure que la NASA juge à présent SpaceX capable d'assurer le transport des astronautes.
Les mauvaises langues pourront dire que l'agence américaine n'a pas eu beaucoup le choix. Le programme Commercial Crew, à cause de difficultés techniques et d'un sous-financement initial attribué à SpaceX et Boeing, est très en retard. Chaque « achat de sièges » et chaque décollage d'un américain au sein d'une capsule Soyouz de ces dernières années est venu souligner cette lacune. La NASA a donc changé d'agenda. Avec une première rotation régulière prévue sur l'ISS dès l'automne 2020, juste après la démonstration, il fallait que les équipes combinées de SpaceX et de l'agence puissent terminer leur étude du dossier sans griller les étapes ou mettre l'équipage de quatre astronautes en danger. La capsule Crew Dragon n'est donc certifiée que depuis le 10 novembre.
Un premier équipage « régulier »
Bien sûr, le contexte sanitaire n'a rien arrangé, que ce soit pour la certification comme pour la préparation de l'équipage. La capsule est commandée par Mike Hopkins, lieutenant-colonel de l'US Air Force (qui d'ailleurs changera de casquette pour la Space Force au cours de son vol), vétéran qui a déjà passé 166 jours sur la station en 2013-2014. Le pilote sera le « bleu » de l'équipe, Victor Glover (USA), sélectionné par la NASA en 2013 et qui s'envolera pour la première fois vers l'orbite. En place passager, on retrouve Shannon Walker (USA) qui elle aussi a déjà vécu une mission longue sur l'ISS en 2010, et le japonais Soichi Noguchi. A 55 ans celui-ci est le premier a avoir volé sur navette américaine (Discovery en 2005), sur Soyouz pour une mission longue sur l'ISS (TMA-17 en 2009-2010) et maintenant sur Crew Dragon.
Chaque membre de l'équipage a reçu une intense formation sur les systèmes de vol et de sécurité au cours des derniers mois. Malgré les restrictions de déplacement, ils sont allés s'entraîner à Hawthorne (Californie), Houston (Texas) et au Centre Spatial Kennedy (Floride) pour ce lancement… En plus de tout ce qu'il faut préparer pour une mission de six mois au sein de la Station Spatiale Internationale. Les dernières semaines, ils ont été soumis à des procédures de quarantaine, qui ont d'ailleurs été durcies durant les derniers jours. Et pour de bonnes raisons : un article de Reuters dévoile qu'en avril, l'équipage de Soyouz MS-16 est passé à deux doigts de la contamination, tandis que pour ce weekend, Elon Musk lui-même a été contrôlé positif (puis négatif). Lors du vol Demo-2, il était à proximité immédiate des astronautes juste avant leur décollage…
Corriger et évoluer
Côté technique, en plus de la certification, la préparation du lancement lui-même a aussi réservé son lot de surprises. Le 3 octobre dernier, SpaceX tente d'envoyer en orbite le satellite GPS-III numéro 4 pour le gouvernement américain. Le tir est annulé in extremis par l'ordinateur de bord, qui détecte un problème de valve au sein d'une turbopompe d'un moteur. Le lanceur doit être ramené dans son hangar, puis les 9 moteurs démontés… Sous l'œil scrutateur de la NASA, qui s'inquiète de voir des astronautes sur le vol suivant de la série sortie d'usine !
Des essais sont menés, les défauts sont vite isolés et certains moteurs seront remplacés sur les boosters neufs : GPS-III, Sentinel-6 et Crew-1. L'incident a servi de leçon, et les inspections à la production à Hawthorne seront sans doute encore plus poussées à l'avenir. C'est une bonne chose, car c'est comme cela que la fiabilité peut progresser.
La NASA, de son côté, sait aussi évoluer. En un an environ, l'agence a réévalué le programme pour permettre à SpaceX de réutiliser ses matériels, en se pliant toutefois à des inspections drastiques. Cela ne change rien pour le matériel de Crew-1, dont le lanceur ainsi que la capsule (baptisée « Resilience » par les astronautes) sont neufs. Mais à partir de la rotation suivante Crew-2, pour l'instant prévue pour un décollage fin mars-début avril, cela va changer. Le lancement utilisera le même premier étage que ce lundi, et la même capsule que l'été dernier. Une expérience de vol qui, si les consignes ont été respectées à la lettre, ne devrait absolument rien changer. Ajoutons que SpaceX réutilise ses capsules cargo Dragon, dont certaines ont volé trois fois, sans aucune incidence sur leur mission.
Une fin d'après-midi pas comme les autres
Les astronautes ont décollé dans un joli début de soirée floridien, presque au milieu de la nuit en Europe. A 21h50 (Paris), Shannon, Soichi, Mike et Victor étaient en tenue. Ils ont pu échanger quelques minutes avec l'administrateur de la NASA Jim Bridenstine et la directrice opérationnelle de SpaceX Gwynne Shotwell, avant de prendre le chemin du pas de tir.
A 22h30, les trois teslas Model X se sont garées au pied de la tour d'accès à la capsule, laissant le temps aux quatre membres d'équipage de contempler leur fusée depuis le sol, avant de grimper à presque 60 mètres d'altitude. Un dernier appel (c'est une tradition) avant d'embarquer dans la capsule, et les voilà sanglés les uns après les autres, 2h30 avant leur décollage.
Le compte à rebours s'est déroulé comme prévu, à l'exception de la fermeture de l'écoutille qui a eu lieu deux fois (le test d'étanchéité n'était pas parfait). Puis, une fois Falcon 9 remplie de carburant, le décollage a eu lieu à 01h27 (Paris). Les astronautes ont rejoint l'orbite en un peu moins de 9 minutes, dans un vol sans encombre. SpaceX a également réussi à récupérer le premier étage du lanceur comme prévu. Une fois éjectée, la capsule Crew Dragon a correctement ouvert son « nez » pour déployer le dispositif d'amarrage. Arrivée sur l'ISS prévue le 17 novembre à 5h du matin (Paris), après un peu plus de 27 heures de vol !
Crew Dragon en permanence sur l'ISS ?
Avec environ un an de retard sur SpaceX, les véhicules CST-100 Starliner de Boeing ne peuvent pas transporter d'astronaute vers la station pour le moment. Conséquence directe, la NASA s'organise pour la rotation des équipages en fonction de Crew Dragon, au moins jusqu'à l'automne 2021. De ce fait, d'après les commentaires des responsables de SpaceX ce 10 novembre, il devrait y avoir en permanence au moins une capsule Crew Dragon amarrée à la station, et ce pendant au moins un an… et probablement plus.
Car aux équipages de la NASA (ou d'autres agences) il faudra ajouter les touristes de l'espace, qui (re)feront leur apparition dès le second semestre 2021. Ainsi, Axiom Space organise déjà son vol de l'année prochaine avec l'astronaute ex-NASA Michael Lopez-Alegria, Tom Cruise et le réalisateur Doug Liman (un quatrième passager n'est pas encore spécifié), tandis que d'autres candidats pour des vols se sont déjà manifestés.
Alors qu'elles n'avaient jamais transporté d'astronaute au début de l'année, les Crew Dragon pourraient bien devenir incontournables sur la station !