Après six mois de travaux et d'auditions, le Sénat dresse un rapport inédit et accablant du monde de pornographie. Il livre ainsi 23 recommandations pour enfin encadrer une industrie trop libertine.
Le Sénat l'indique lui-même : c'est une première dans l'histoire parlementaire. Les Sages ont en effet publié un rapport d'information entièrement consacré aux pratiques de l'industrie pornographique. Ce dernier a nécessité « plus de six mois de travaux [et] des dizaines d'heures d'auditions » de nombreuses victimes de violences issues du milieu de la pornographie. Le rapport tacle avec sévérité « une industrie qui génère des violences systémiques envers les femmes de façon générale ». Il évoque « l'hypocrisie et le cynisme des représentants du secteur », outre des représentations « sexistes, racistes, homophobes et inégalitaires » lors de l'élaboration du document. Par le biais de ce rapport, les sénateurs entendent sensibiliser aussi bien l'opinion publique que le gouvernement.
Porter dans le débat public le sujet des violences pornographiques
Le premier axe autour de ces recommandations porte sur la nécessité d'imposer dans le débat public la lutte contre les violences pornographiques. Le Sénat veut faire de la lutte contre ces violences et la marchandisation des corps une priorité de politique publique. Pour aller plus loin, et cette fois sur le plan de la justice, les élus veulent faire des violences commises dans un contexte de pornographie un délit d'incitation à une infraction pénale : comprenez viol ou agression sexuelle.
Le rapport soutient aussi l'idée d'imposer des messages d'avertissement aux sites pornographiques « concernant des contenus violents, précisant qu'il s'agit d'actes sexuels non simulés, pouvant constituer des infractions criminelles ou délictuelles ». Le Sénat veut, dans le prolongement, favoriser l'émergence de plaintes des victimes de violences commises dans le cadre de la pornographie.
De plus, le Sénat entend, comme deuxième axe de recommandations, faciliter les suppressions de contenus illicites ainsi que le droit à l'oubli. On peut ici parler d'amendes qui seraient imposées aux diffuseurs, plateformes et réseaux sociaux qui partageraient des contenus illicites. Il s'agirait de faire en sorte que toute condamnation d'un producteur de contenus pornographiques violents soit assortie d'une disposition indiquant que les vidéos incriminées sont illégales, et qu'elles doivent donc être définitivement supprimées.
De même, la création d'une catégorie de « violences sexuelles » dans les signalements de la plateforme Pharos est aussi fortement suggérée, tout comme le fait d'imposer aux plateformes d'accéder aux demandes de retrait de vidéos dans lequelles apparaissent les personnes filmées, pour renforcer l'accès au droit à l'oubli. Aujourd'hui, seuls les propriétaires de vidéos ont le droit de formuler ces demandes de retrait.
Protéger la jeunesse et interdire l'accès aux mineurs aux contenus pornographiques
C'est évidemment un épineux sujet, qui plus est d'actualité, en ce que les mineurs ont aujourd'hui un accès facilité, pour ne pas dire direct, aux contenus pornographiques violents et toxiques. « Deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers de ceux de moins de 12 ans ont déjà été exposés à des images pornographiques, volontairement ou involontairement », rappelle le Sénat.
Ces recommandations interviennent dans un contexte où l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) se bat pour imposer un contrôle à l'entrée des sites pornographiques, pour empêcher les mineurs d'y accéder. L'ARCOM, qui a mis en demeure 7 sites parmi les plus importants du secteur, a saisi le tribunal judiciaire qui, le 8 septembre, a décidé qu'il y aurait une médiation. « Nous souhaitons que cette médiation soit relativement courte, parce que le temps depuis l'adoption de la loi [Ndlr : votée en 2020] s'est écoulé, et s'écoule vite. La balle est dans le camp des sites », expliquait ce mercredi matin le président de l'ARCOM Roch-Olivier Maistre aux sénateurs. Et ce dernier d'ajouter, en réponse à leurs questions, qu'« aucun site étranger ne s'est mis en conformité avec la loi française en deux ans ».
Le Sénat recommande justement de confier aux agents de l'ARCOM le pouvoir de constater eux-mêmes les infractions des sites pornographiques accessibles aux mineurs. Il souhaite confier au régulateur la possibilité de prononcer des sanctions pécuniaires « aux montants dissuasifs » à l'encontre des sites qui demeurent accessibles aux mineurs. De plus, il préconise d'imposer un écran noir sur les sites pornograhiques, tant que l'internaute n'a pas fait vérifier son âge par le biais d'un tiers de confiance.
De façon plus large, les Sages du Palais du Luxembourg soutiennent eux aussi la mise en place de dispositifs de vérification d'âge, « avec un système de double anonymat comme proposé par le PEReN et la CNIL ». Ils veulent également l'activation par défaut d'un contrôle parental, dès lors qu'un abonnement téléphonique est souscrit pour l'usage d'un mineur. Voilà un vrai début de réponse à la lutte contre les dérives engendrées par la pornographie.
Source : Rapport du Sénat