L'e-sport pèse bien plus que vous ne l'imaginez

Thomas Pontiroli
Publié le 06 février 2016 à 10h02
Les moins férus de jeux vidéo ne l'ont peut-être pas vu venir : en 2015, l'e-sport pesait déjà 400 millions de dollars de chiffre d'affaires dans le monde. De quoi rivaliser avec le foot ou la F1 ?

En France, l'e-sport est tout juste en train d'être reconnu comme un sport digne de ce nom, mais à l'échelle mondiale, le phénomène est devenu si gros que le cabinet Deloitte a essayé de le comparer aux disciplines plus traditionnelles, telles que le foot ou le basket. Des marchés qui partagent d'étonnantes similitudes, mais dont la comparaison est limitée. Et qui amènent à la conclusion que l'industrie de l'e-sport est grosse et petite à la fois.

Un chiffre d'abord : 500 millions de dollars, soit le total des recettes du secteur attendu en 2016 par Deloitte.
En 2015, c'était 400 millions. Cette croissance folle de 25 % est bien plus élevée que dans la plupart des autres sports - qui, pour beaucoup, ont un ou plusieurs siècles d'existence. À cet égard, l'e-sport peut être vu comme un grand. Pourtant, même s'il atteint 1,5 milliard en 2020, il ne pèsera que 1 % de l'ensemble de l'industrie du sport.

« L'idée que des personnes en regardent d'autres en train de s'affronter dans des jeux vidéo, pour recevoir de grosses récompenses financières, peut en étonner certains, écrit Deloitte. Ces gens réduisent souvent la taille de ce marché à quelques millions de dollars. Réciproquement, les tenants de l'e-sport ont tendance à surestimer sa taille réelle, l'évaluant à plusieurs milliards de dollars, et rivalisant avec les principales fédérations de sport. »


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Revenus des principales ligues de sport, en milliards de dollars - Source : Deloitte.


De très loin le premier marché mondial, le football européen devrait atteindre 30 milliards de dollars cette année, suivi par la NFL aux États-Unis, à 11 milliards, puis le baseball (8 milliards), la NBA (5 milliards), la NHL (4 milliards) et enfin, l'e-sport, avec 500 millions de dollars sur l'année étudiée. Deloitte ne mentionne pas la Formule 1, qui se situe à environ 1,5 milliard de chiffre d'affaires annuel : une discipline à la portée de l'e-sport ?

Sa force : une colossale audience

Mais le poids d'un secteur se mesure aussi à son audience. Dans le cas de l'e-sport, elle est rapidement devenue prodigieuse. L'arrivée de la plateforme Twitch en 2011 - qui atteignait 100 millions de spectateurs uniques trois ans plus tard ! - a offert une « chaîne » mondiale, simple et gratuite aux compétitions de jeux - mais pas que -, et a aidé à doper les audiences. En 2016, 150 millions de personnes devraient suivre de l'e-sport, selon Deloitte.

Un seul événement peut rassembler 40 000 personnes sur place, et des millions en ligne. « Cela pourrait vouloir dire que l'e-sport est plus gros que le basketball. Et cela serait vrai, à l'échelle d'un événement », compare le cabinet d'analyse. La finale du championnat du monde de League of Legends a réuni 17 000 personnes dans le Mercedes-Benz Arena de Berlin - et 36 millions en ligne ! -, provoquant de drôles d'inquiétudes sur les forums.

En amont, « Heavenlot » écrivait : « 17 000 places en conditions concert ça me paraît vachement peu pour une finale comparé au stade de Séoul en 2014 et ses 45 000 places. Êtes-vous sûr que ce n'est pas celui de Stuttgart avec ses 54 000 places et au nom similaire ? » Un autre, « WorthIess », d'ajouter : « Quand tu vois qu'en France on arrive à remplir 6 000 places pour l'événement de Lille en une journée, pour un simple week-end de LCS, désolé, mais on peut faire mieux que 17 000 places pour la finale du championnat du monde... »


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Finale de League of Legends au Mercedes-Benz Arena de Berlin en 2015 - Crédit : Bild.


Côté français, la finale de Call of Duty au Zenith n'avait peut-être rassemblé « que » 4 500 personnes, mais sur Internet, 3 millions de fans l'avaient suivie, soit plus que le match PSG-OM qui s'était déroulé dans la foulée, et avait rassemblé 2,1 millions de téléspectateurs. Autre comparaison : à l'automne 2015, l'organisation de la coupe d'Europe de basket se félicitait du record établi en 8e de finale, avec une affluence de 26 135 spectateurs au stade de Villeneuve-d'Ascq. Le court Philippe-Chatrier, lui, plafonne à 14 911 places pour la finale de Roland Garos.

D'un point de vue profane, l'audience des compétitions de gaming peut paraître surprenante. Surtout lorsqu'on raisonne dans un référentiel classique, où le dieu absolu est la diffusion de la finale de la Coupe du Monde de foot à la télévision. La finale France/Argentine en 2014 avait réuni 13,6 millions de téléspectateurs en France. À peine plus que la vidéo la plus populaire de Squeezie (9 trucs chiants sur l'ordi), et ses 12,2 millions de lectures.

Des fans près à bourse délier

Ces communautés de fans sont-elles une caisse de résonance pour l'e-sport ? Deloitte pense au contraire qu'il n'existe pas de corrélation directe entre les deux. « Les contenus populaires (les vidéos de Youtubeurs, ndlr), ne concernent pas des compétiteurs de haut niveau, mais du divertissement. » Squeezie par exemple, décrit comme « gamer francophone le plus populaire » (5,4 millions d'abonnés), est plus là pour amuser la galerie.

L'e-sport n'a pas encore généré son premier milliard que ses audiences folles suffisent à nourrir les espoirs des publicitaires. D'autant que le public concerné (75 % de 18 à 34 ans, 82 % d'hommes) est l'un des plus prisés par les annonceurs. Fans, engagés, bavards sur les réseaux sociaux, prescripteurs... ce sont de « bons clients ». Ils sont plus enclins à acheter des produits dérivés, et à réaliser des achats dans les jeux, note le cabinet d'analyse.


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L'e-sport (pro et amateur), c'est aussi du matériel cher, comme ces claviers à plus de 200 euros - Crédit : Mad Catz.


Une « mine d'or publicitaire » que décrivait une étude de l'EEDAR (un spécialiste de l'industrie du jeu) en novembre 2015 : 35 % des compétiteurs achètent des items dans les jeux, 15 % des vêtements liés, et 12 % des périphériques de marque - les équipementiers comme Logitech, Razer ou Mad Catz sont d'ailleurs prompts à doter leurs claviers et souris de gadgets clignotants à même de faire gonfler la note, parfois à plus de 200 euros.

De nouveaux horizons porteurs

Face au succès galopant de l'e-sport et à sa professionnalisation (commentateurs, organisateurs d'événements, sponsors, agents...), l'industrie du Net s'organise pour en saisir les opportunités. En 2014, Amazon déboursait ainsi 1 milliard de dollars pour racheter Twitch, et réaliser par la même occasion une OPA sur la diffusion en direct de parties et compétitions de jeux. La même année en France, Webedia s'offrait le site Millenium.

Encore en pleine phase ascendante, l'industrie du sport en ligne se structure, et pourrait se métamorphoser. De l'avis des analystes de Deloitte, l'arrivée des casques de réalité virtuelle (Oculus Rift, HTC Vive et Playstation VR) au premier semestre 2016 ne dopera peut-être pas encore le secteur à court terme, mais esquissera un virage.


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