L'AR-1 de Skully devait être le casque dont rêvent tous les motards, connecté, confortable et muni d'un afficheur tête haute exploitant la réalité augmentée pour que jamais le pilote n'ait à quitter la route des yeux. Ce ne sera finalement qu'une déception pour les soutiens financiers du projet : le 5 août, les fondateurs ont en effet annoncé sur Indiegogo que Skully cessait immédiatement toutes ses activités, que les livraisons promises ne seraient pas assurées et que les contributeurs ne seraient pas remboursés.
La société dit avoir réclamé son placement en liquidation (chapter 7), ce qui ne laisse qu'un maigre espoir à ses créanciers d'obtenir une contrepartie, même si Skully appelle ses ex-clients à remplir une demande. Le recours en direction de la plateforme de financement paraît également compromis, dans la mesure où Indiegogo et consorts se présentent comme de simples intermédiaires et se désolidarisent dès le départ de la conduite des projets financés.
Skully semblait pourtant placée sous de bons augures. La start-up, basée à San Francisco, a mené à l'été 2014 une campagne de financement participatif au succès record, avec près de 2,5 millions de dollars réunis auprès d'internautes ayant précommandé son casque. Début 2015, elle avait levé plus de 10 millions de dollars supplémentaires auprès de fonds américains pour financer l'entrée en production de son casque. D'après Techcrunch, elle avait le projet de conduire un nouveau tour de table à l'été 2016 pour un montant d'environ 6 millions de dollars, mais le renflouage n'aura finalement pas eu lieu.
Les acheteurs pourraient bien avoir de bonnes raisons d'en vouloir à Marcus et Mitchell Weller, les fondateurs de Skully. Quelques jours après l'annonce de la fermeture, Buzzfeed révèle cette semaine une plainte déposée par Isabelle Faithhauer, une ancienne employée qui, entre autres pratiques litigieuses, révèle comment les deux hommes mésusaient de l'argent de la société.
Le document, déposé à San Francisco le 27 juillet (et accessible en ligne, pdf), est une demande en dommages et intérêts, justifiée par une douzaine de motifs allant du non paiement des heures supplémentaires à la diffamation en passant par une rupture injustifiée du contrat de travail.
Une Dodge Viper, puis deux...
Au-delà des aspects « RH », elle décrit aussi et surtout comment dans son poste d'assistante, en charge notamment de la tenue des livres comptables, elle a assisté à de nombreux abus financiers commis par les deux frères. Si l'on en croit ce rapport, ces derniers auraient mené grand train sur les fonds de la société.D'après elle, Skully aurait pourvu à l'essentiel de leurs dépenses personnelles, qu'il s'agisse de bouche, de logement ou d'équipement, de l'iPhone à la TV du salon. Le faste ne s'arrête cependant pas là. « Fin 2015, Marcus Weller et Mitchell Weller ont réservé des billets non remboursables pour les Bermudes. Marcus Weller n'a pas aimé les Bermudes, il a donc réservé dans la journée un vol vers Hawaï, en première classe, aux frais de Skully », affirme la plaignante.
Skully aurait également financé l'achat d'une Dodge Viper pour Mitchell Weller, puis d'une seconde, après qu'il a accidenté la première, diverses locations de berlines et voitures de sport luxueuses, l'achat de quatre motos et d'oeuvres d'art, le versement de pots de vin à un journaliste ou le règlement d'une amende récoltée au volant d'une Audi R8... elle-même imputée aux finances de l'entreprise. Aux largesses s'ajoutait l'élégance, puisqu'en dernier grief, Isabelle Faithhauer rapporte comment son fils, récemment diagnostiqué autiste, a été comparé à un chien devant être tenu en laisse par l'un des deux frères.
Sur Indiegogo, Skully se montre nettement plus pragmatique. « Notre équipe de direction a travaillé dur ces dernières semaines à réunir des fonds supplémentaires, mais des circonstances imprévues et des challenges hors de contrôle ont rendu cet effort impossible. Ce que cela signifie, c'est que Skully ne sera plus en mesure de livrer les AR-A ou d'opérer des remboursements ». Le 18 juillet, soit neuf jours avant le dépôt de cette plainte, elle assurait pourtant que ses premiers clients seraient bientôt livrés.