Peu d'entreprises ont mis en place un système de poste de travail partagé. Mais la formule pourrait bien préfigurer l'open space de demain. Une telle initiative s'accompagne généralement de l'aménagement d'espaces collectifs variés. Mais la démarche n'est pas sans risques.
Le salarié moderne est un nomade. Y compris au sein de son entreprise. Il ne dispose ni de bureau personnel ni de caisson pour ranger ses dossiers. S'il a besoin de travailler au calme, il reste chez lui. Sinon, il vient occuper un des bureaux de l'espace ouvert en libre-service ou, en cas de réunion d'affaires, réserve une salle. Il ne passe jamais plus de quelques heures au même endroit.
Ce scénario est encore futuriste pour beaucoup. Mais certaines sociétés ont déjà remisé le bureau attribué. La pratique, baptisée selon les cas « poste de travail partagé » (ou desk sharing), Flex Office ou encore « espace de travail dynamique », n'en est qu'à ses débuts. « En l'état actuel, le poste de travail partagé concerne un nombre réduit d'entreprises. On en est aux prémices » analyse Flore Pradère responsable recherche entreprises chez JLL France, société de conseil en immobilier d'entreprise « Ce sont surtout les sociétés de services informatiques et de conseil qui l'adoptent ».
Logique, dans un domaine où les employés sont habitués à être en déplacement et maîtrisent depuis longtemps les outils mobiles. Selon le baromètre annuel d'Actineo/CSA, une proportion de 9% de salariés ne dispose plus de bureau personnel en 2015.
Le desk sharing systématiquement à l'étude
Mais ce modèle issu des pays anglo-saxons fait des émules dans d'autres secteurs : Siemens, Sanofi, la Société Générale, Axa Group Solutions, Swiss Life, Crédit Agricole, Engie l'ont déjà testé. Et le concept est dans tous les esprits. « Désormais, le desk sharing est systématiquement à l'étude dans les projets d'aménagement d'espace. Même si in fine le cap n'est pas forcément franchi » observe Flore Pradère.Mobilité des salariés, travail en mode projet, réunion plus fréquentes, utilisation des technologies mobiles etc... Finalement, le salarié passe de moins en moins de temps assis à son poste. Le poste de travail partagé est souvent envisagé comme moyen d'optimiser les surfaces de bureaux non utilisées. « En Ile-de-France le poste de travail n'est occupé que 50 à 60% du temps en moyenne sur l'année » rappelle Cécilia Durieu directrice associée du cabinet de conseil Greenworking « La formule du desk sharing est d'autant plus intéressante que le taux d'occupation des locaux est faible ».
Mais le souci d'économiser des mètres carrés n'est pas le seul moteur, loin de là. « Un changement d'environnement est aussi une promesse d'évolution des méthodes de travail » poursuit Cécilia Durieu. Le passage au poste de travail partagé sert aussi à transformer les pratiques managériales. « Le cas classique est celui d'une entreprise qui veut casser les silos » illustre Flore Pradère. « L'enjeu est alors de travailler de façon plus transversale, souvent dans un contexte d'innovation afin de raccourcir le délai de mise sur le marché ».
Un environnement de travail à la carte
L'argument financier est d'autant moins intéressant que l'espace gagné - et donc la baisse de coût - sera au final minime. La raison ? Ce que l'entreprise gagne en surface dédiée aux bureaux individuels, elle le ré-alloue généralement en espaces collectifs aménagés. Un projet de partage de bureaux réussi suppose en effet qu'en contrepartie de la perte de son bureau individuel le salarié dispose d'une variété d'environnements adaptés à ses différents besoins au cours de la journée. Box, espace lounge, bibliothèque, salle de créativité, salle de repos, cabines téléphoniques, cafétéria dernier cri, salles de réunion de différentes tailles, les entreprises rivalisent d'imagination en la matière.- Sur le sujet : Ce petit appareil dit à vos collègues de se taire
En réalité, le concept s'inscrit dans une philosophie plus générale d'un environnement de travail à la carte. En caricaturant, l'employé reste chez lui s'il a besoin de se concentrer sur un dossier, et ne vient au bureau que pour des réunions ou des moments de travail collaboratif.
L'attachement au bureau individuel reste fort
Mais la démarche n'est pas dépourvue d'embûches. Il faut surmonter les réticences des salariés réfractaires de prime abord à l'idée de perdre leur bureau personnel. Surtout en France ou l'attachement affectif est fort. « Vous touchez à la notion de territoire individuel ; l'aspect d'un bureau témoigne à l'origine de la place de la personne dans l'entreprise » souligne Flore Pradère. Il faut également ménager les repères sociaux. En clair, faire en sorte que les employés conservent un port d'attache au sein d'un département de quelques dizaines de personnes maximum. Si un salarié s'assoit régulièrement auprès des mêmes 20 à 30 collègues, il peut nouer des relations. Au-delà, il bascule dans l'anonymat.Le cas extrême étant celui d'Accenture. La société de conseil avait installé à l'origine de grands open space dans lesquels il fallait réserver son bureau le matin. Un fiasco. « Le modèle Accenture des origines a servi de repoussoir » rappelle Alain d'Iribarne, responsable du conseil scientifique d'Actineo. « Les bureaux étaient désertés », précise t-il
Au final, les salariés passés au partage de bureaux semblent globalement satisfaits. « Ils veulent rarement revenir en arrière » selon Flore Pradère. Surtout s'ils occupaient auparavant des « open space » bruyants sans possibilité d'échappatoire devrait-on ajouter. Car au fond le partage ou espace de travail dynamique ce n'est que l'open space revu et corrigé.
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