Boudé pendant et après l'élection présidentielle, le numérique a fait son retour sur le devant de la scène lors du discours de politique générale d'Élisabeth Borne, mercredi à l'Assemblée nationale.
Le numérique fut coincé dans un placard ministériel après la nomination du premier gouvernement d'Élisabeth Borne, le 20 mai dernier. Celui-ci a été remis au goût du jour à l'occasion du remaniement du 4 juillet 2022 et presque sacralisé lors de la déclaration de politique générale de la Première ministre mercredi devant l'Assemblée nationale. Celle-ci va même jusqu'à qualifier la France de « grande nation numérique », un jugement peut-être volontairement un poil exagéré aujourd'hui. Pour mieux apaiser un secteur historiquement boudé par les gouvernements successifs ?
Le numérique, une position toujours inconfortable au sein du gouvernement
Il n'échappe à personne que le numérique, au sens large, inonde littéralement nos vies ainsi que l'ensemble des secteurs de notre société. Mais alors que la dématérialisation s'accélère et que la cybersécurité constitue un marché d'enjeu planétaire pour aujourd'hui et pour demain, le numérique a clairement été boudé ces dernières semaines.
Rappelez-vous, le 20 mai dernier, personne n'incarnait le numérique dans le premier gouvernement Borne, si ce n'est Bruno Le Maire, nommé ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Pas de ministère ni de secrétariat d'État dédié donc, ce qui avait été très mal pris par le secteur, ses acteurs ayant pour beaucoup le sentiment d'être totalement laissés pour compte. En « off », de nombreux professionnels de la Tech et de la cyber ne cachaient alors pas leur déception, voire leur dépit face à ce manque de prise de conscience et de considération.
Le coup de gueule semble avoir été entendu. Il y a quelques jours, le gouvernement remanié a mis (un peu plus) en lumière le numérique. Si Bruno Le Maire, premier ministre dans l'ordre protocolaire, conserve officiellement les portefeuilles de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, voilà que Jean-Noël Barrot a fait son apparition.
Le député MoDem de 39 ans est en effet le tout nouveau ministre délégué à la Transition numérique et aux Télécommunications. Le « nouveau Cédric O », pourrait-on dire. Dans nos colonnes, nous vous le présentions il y a quelques jours comme « diplômé de HEC Paris et de Sciences Po Paris, ayant enseigné au MIT, où il a mené des recherches dans l'innovation et le financement des entreprises ». On découvre ainsi un profil plutôt économique, orienté vers l'investissement et le monde de l'entreprise, sans trace d'intérêt notable pour le vaste monde des nouvelles technologies et encore moins de la cybersécurité. Mais peut-être sera-t-il l'une des bonnes surprises de ce gouvernement ? Le secteur ne demande qu'à voir.
Un discours sur la Tech qui a du mal à évoluer
Si ce gouvernement remanié laisse donc davantage de place au numérique, est-ce réellement une priorité ? Le président Emmanuel Macron a récemment affirmé sa volonté d'atteindre les 100 licornes (ces start-up valorisées à plus d'un milliard de dollars) d'ici 2030. Mais les licornes sont-elles suffisantes à faire de la France une « grande nation numérique » ? Ou n'est-ce pas ce fameux arbre qui cache la forêt ?
Dans son discours de politique générale d'un peu plus d'une heure et demie, la Première ministre a évoqué pour la première fois le numérique au moment de parler du chantier du plein emploi et de la formation, au bout d'une vingtaine de minutes. « Grâce à cela, ces prochaines années, nous pourrons former un million de jeunes dans les métiers d'avenir, dont la moitié dans le numérique », a-t-elle lâché. Puis plus rien pendant 45 minutes.
Au-delà du fait que lâcher l'expression « métiers d'avenir » et la notion de « numérique » dans la même phrase semble révélateur du fait que la France a toujours plusieurs trains de retard en la matière, on aimerait en savoir plus. Et pour cela, il a fallu attendre le dernier quart d'heure de la déclaration d'Élisabeth Borne, lorsqu'elle a évoqué le sujet de la « souveraineté » au sens large, puis la souveraineté industrielle et numérique un peu plus tard. Enfin. « Une France plus forte dans une Europe plus indépendante, c'est la souveraineté industrielle et numérique ».
« Accélérons aussi en tenant notre rang de grande nation numérique. Une nation qui soutient sa French Tech. Une nation capable d'apprendre à ses jeunes les bons usages, capable, à travers la régulation, de lutter contre le cyber-harcèlement et la haine en ligne […]. Nous lutterons contre la fracture numérique. Nous irons au bout de la couverture mobile et très haut débit de notre territoire. Nous accélérerons les formations et l'accompagnement aux usages numériques ».
Il y a évidemment des points intéressants à soulever de ces dernières déclarations, toutes arrivées, insistons là-dessus, dans le dernier quart d'heure du discours. La lutte contre la fracture numérique, contre le cyber-harcèlement et la haine en ligne sont évidemment des chantiers majeurs et indispensables. Soutenir la French Tech paraît impératif aussi.
Mais prenons un peu de hauteur là-dessus, car finalement rien n'a été dit, au grand dam des acteurs du secteur, sur la façon dont la France pourrait s'affirmer en tant que vraie nation numérique. La France justement, aujourd'hui et à l'image de toute l'Union européenne, est prise dans une sorte d'étau technologique entre le précurseur bloc nord-américain, emmené par les États-Unis et ses géants du numérique, et le mastodonte chinois et ses BATX.
Plutôt que de réglementer (attention, cela ne signifie pas que réguler est une mauvaise chose) toujours plus un secteur qui peine à véritablement émerger en Europe, les professionnels des nouvelles technologies et de la cybersécurité aimeraient peut-être davantage être entendus sur les besoins réels du secteur. Sans doute attendent-ils aussi les solutions qui pourraient faire enfin émerger de vrais champions technologiques. Mais il est peut-être, et sans doute, déjà trop tard…