Deuxième site de lancement, essais de récupération, satellites, fusée Neutron… Rocket Lab a mis le pied au plancher pour conserver son avance sur les autres entreprises de son secteur des lanceurs légers. Il reste cependant à concrétiser ces progrès par des retours économiques et une meilleure cadence de vol.
Car l'arrivée sur les marchés n'était pas une incroyable réussite…
Des fusées et des milliards
Ce devait être l'événement de 2021 pour Rocket Lab : une entrée en bourse à travers un dispositif SPAC (Special Purpose Acquisition Company, un dispositif d'investissement et d'introduction rapide). Mais à l'instar des autres entreprises qui se sont engagées dans le même processus, Rocket Lab déchante. Sa valorisation à 4,1 milliards de dollars n'a pas suffi à conserver les actions, alors même que la firme traversait une année techniquement passable. Après une rapide hausse, les titres ont plongé. Car comme toutes les « jeunes » entreprises encore considérées comme des moteurs du secteur NewSpace, Rocket Lab doit lever des fonds car elle perd de l'argent, investit massivement et tente d'étouffer la concurrence avec des effets d'annonce. Certes, mais l'entreprise qui est aujourd'hui autant américaine que néo-zélandaise peut se targuer d'avoir des bases solides. Et des ambitions qui tiennent peut-être mieux la route que celles de ses adversaires.
Made in New Zealand
Rocket Lab, qui existe depuis 2006, est une entreprise privée, fondée par le charismatique Peter Beck… qui, contrairement à d'autres patrons du secteur, n'était pas milliardaire lorsqu'il s'est lancé dans l'aventure, et pas plus aujourd'hui. Basée en Nouvelle-Zélande, à Auckland, la firme comprend vite que le climat est favorable à l'émergence des « petits lanceurs » aux Etats-Unis. Elle installe donc des bureaux et une ligne de production à Long Beach à partir de 2013 (le changement pour devenir une entreprise américaine ne sera effectif qu'en 2020). Surtout, elle démarre le développement du lanceur Electron, aux capacités limitées de 150 kg en orbite basse dans sa version initiale… mais qui dispose de nombreuses percées technologiques, comme la structure des étages en fibre de carbone, des moteurs « imprimés en 3D » et des turbopompes alimentées par des packs de batteries éjectables. Le tout dans une optique de décollages à bas coûts (objectif 6 à 7,5 millions de dollars par tir).
Electron fut la première petite fusée privée en une décennie, depuis l'introduction de Falcon 1 (SpaceX). Et si son vol inaugural en mai 2017 se termine en queue de poisson, les réussites suivantes forgent une solide réputation pour Rocket Lab. D'une part, parce qu'elle est la seule initialement sur son segment : les autres lanceurs sont plus lourds, plus chers, moins adaptables… ou tout simplement, leur développement est en retard. Virgin Orbit, Astra, Firefly, devront attendre des années avant de pouvoir rivaliser avec le petit lanceur Electron. Ce dernier décolle 6 fois en 2019, avant de connaître son premier échec opérationnel en 2020. Et un deuxième en 2021. Ennuyeux… et surtout limitant. Car à présent que la concurrence est là, il faut prouver qu'Electron est capable de voler régulièrement, avec fiabilité et souplesse d'usage (en passant par exemple commande quelques mois à peine avant le décollage).
Plus de fusées, plus de pas de tir
Pour répondre au défi de la cadence, il y a d'abord l'aspect important de la production. De ce côté, Rocket Lab a déjà montré que le matériel nécessaire est en place pour un rythme égal ou supérieur à un décollage par mois. C'est plus complexe sur les sites de lancement… Il est donc utile d'en avoir plusieurs ! L'idée n'est pas nouvelle, mais l'entreprise est au prise avec les autorités américaines sur le site de Wallops, en Virginie (USA). En effet, le site de lancement est prêt depuis deux ans, mais l'administration a bloqué le projet pour une période indéterminée le temps de valider le système de sauvegarde (et destruction) automatisé de la fusée. Un délai de quelques mois qui pouvait sembler cocasse en 2020, mais qui ne fait plus rire grand monde chez Rocket Lab en 2022… Forcée de prévoir une solution de secours, la firme a doublé les moyens de son site de lancement en Nouvelle-Zélande : le 28 février 2022, le 24e tir d'Electron a eu lieu depuis le nouveau pas de tir LC-1B à Mahia.
Récupérer les fusées : pas plus facile qu'hier
L'autre levier que Rocket Lab souhaite mettre en place pour augmenter ses cadences passe par la réutilisation de ses lanceurs. Mais là encore, SpaceX a mis la barre très haut. Avec sa petite fusée Electron, Rocket Lab ne peut se permettre d'embarquer assez de carburant pour rallumer ses moteurs et la faire ralentir à travers l'atmosphère. Il faut donc renforcer la fusée pour lui permettre de freiner par sa seule action aérodynamique (un véritable défi) puis la récupérer alors qu'elle descend sous parachutes pour la ramener sur un navire de récupération. Les essais démarrent fin 2019, puis la première récupération (amerrissage sous parachute) a lieu en novembre 2020. Elle entraine des modifications sur Electron, qui devient également plus puissante pour soutenir cette future réutilisation. Deux essais supplémentaires sont menés en 2021, et les moteurs Rutherford d'Electron gagnent encore 5% de puissance pour le premier tir de 2022. La première opération de récupération « complète » se fait encore attendre…
Vendre des bouts de satellites
Pour aller plus loin que les décollages et prospérer dans un secteur spatial qui se développe vite, Rocket Lab a étendu depuis plusieurs années ses opérations vers l'orbite en proposant, à partir de l'étage supérieur de sa fusée, une « plateforme satellite » sur laquelle le client n'a plus qu'à disposer sa charge utile (tout est fourni, de la télémesure à l'énergie électrique et aux batteries), mais aussi en mettant à la vente des composants de satellites ou en rachetant des acteurs déjà installés de cette industrie, comme Planetary Systems Corporation (systèmes d'éjection) ou SolAero (panneaux solaires). Une stratégie qui rapporte, ces PME reconnues dans l'industrie étant déjà à maturité technologique ou en forte expansion. Rocket Lab en profite d'ailleurs pour sa communication, l'entreprise pouvant dès à présent se targuer de participer à des missions emblématiques comme Psyche (ils fournissent les cellules solaires, justement via SolAero).
Neutron, un pas vers l'inconnu
Mais l'enjeu pour Rocket Lab n'est pas que l'augmentation des cadences et la rentabilité économique. Les petits lanceurs représentent une facette intéressante du secteur, mais sont contraintes à des coûts et donc des marges très faibles, notamment du fait de la concurrence. Pour étendre ses opérations, Rocket Lab, comme d'autres acteurs du NewSpace (Relativity Space, entres autres), compte sur un lanceur plus grand, plus capable et encore mieux adapté à la réutilisation. Il s'appellera Neutron, et il est pour l'instant prévu pour 2024, avec une capacité d'envoi de 8 tonnes en orbite basse (similaire à Soyouz, par exemple).
Utilisant un design original incluant une coiffe intégrée qui laissera sortir tout le deuxième étage et le satellite, de nouveaux réservoirs, de nouveaux moteurs fusée fonctionnant au méthane (et oxygène liquide), Neutron sera conçue et assemblée… en Virginie, pour un décollage sur le site de Wallops. Oui, celui-là même qui bloque les décollages d'Electron depuis deux ans. Rocket Lab a dévoilé le 28 février sa future grande usine qui sera installée sur place avec un site de lancement et de récupération des lanceurs (Neutron se posera à terre). Sera-t-il prêt dans si peu de temps ? La question est ouverte, le développement d'un tel lanceur et de ses moteurs étant très coûteux.
Quitte ou double ?
D'ici là, 2022 représente une année charnière pour Rocket Lab. L'entreprise va tenter de prouver qu'elle peut dépasser les 7 à 8 décollages par an. Même si c'est mal parti pour le moment, elle fera beaucoup parler d'elle avec la petite sonde Capstone à destination de l'orbite lunaire qui doit décoller en mai, et poursuivra sans doute son expansion dans le domaine satellitaire.
L'étoffe d'un géant, ou un appétit trop gourmand ?