Ils sont parmi nous, ils nous entourent et nous suivent au quotidien. Pourtant, jamais nous ne les verrons. Qui ? Les Furtifs bien entendu !
Nous nous donnons 5 citations et 5 paragraphes pour vous convaincre.
Les Furtifs (2019)
Alain DamasioChers lecteurs amateurs de SF, j'ai une petite confidence à vous faire. La chronique de cette semaine a été pour moi l'une des plus difficiles à réaliser de ces derniers mois. En effet, je m'attaque aujourd'hui à un poids lourd de la fiction : Alain Damasio.
Pour tout vous dire, je ne connaissais pas du tout le bonhomme il y a deux ans de cela. Je l'ai découvert grâce à La Horde du Contrevent, son précédent roman de fiction chaudement recommandé par les trublions de la rédaction Clubic. Et là, je me suis pris une grande claque !
Après avoir dévoré la Horde et son style si particulier, je me suis donc jeté sur Les Furtifs dès sa sortie. Mais l'effet Damasio passé et bien intégré, ce nouveau bouquin garde-t-il la même saveur que son ainé ? Réponse dans cette chronique.
“En août 2030, la ville de vos parents, qui s'appelait Orange, a donc été rachetée par la multinationale du même nom, pour un prix dérisoire.”
Exit le monde étrange de la Horde, Damasio nous amène cette fois dans un univers très proche du nôtre, situé dans à peine 20 ans. Le monde est maintenant totalement globalisé et privatisé, pour le plus grand bonheur des actionnaires de tout poil. Cannes appartient à la Warner, Paris à LVMH et Orange à... Orange. Les GAFAM en rêvent, Damasio l'a fait !Futur proche oblige, le monde des furtifs est très similaire à celui que nous connaissons actuellement. Ainsi, les objets connectés éclosent à foison, chaque citoyen étant équipé d'un anneau le traçant 24/7... pour son bien, évidemment. Et je ne vous parle même pas des publicités, omniprésentes à chaque coin de rue.
Au fur et à mesure qu'on arpente cet univers aux côtés des protagonistes de l'aventure, on ne peut s'empêcher de trembler tant certaines choses semblent sur le point de vraiment se produire. Privatisation à outrance, score social, milices d'éducation, traçage de la population : un vrai cauchemar cyberpunk made in France !
“Lorsque l'armée a découvert les furtifs, l'erreur profonde de la Gouvernance a été de nous confier leur traque. À nous, les militaires !”
Si le monde créé par Damasio pouvait largement suffire à l'évolution d'une belle intrigue, le bougre n'hésite pas à aller plus loin. Dès lors, quoi de mieux dans un univers hyper-contrôlé et surveillé en permanence que d'introduire une espèce totalement invisible au commun des mortels ?Notre premier contact avec ces être mystérieux se fait dès le premier chapitre. Les lecteurs de la Horde y verront d'ailleurs pas mal de ressemblance avec les Chrones. Tout comme eux, les furtifs changent de forme en permanence et sont quasiment insaisissables. Seul le Récif, un groupe secret dédié à la chasse et à l'étude de ces étranges créatures a vent de leur existence. Et autant vous dire qu'étudier une chose invisible, c'est loin d'être simple !
Au final, il n'y a qu'un moyen d'attraper un furtif : réussir à le voir par surprise. La bestiole se transforme alors en statue de céramique, seul élément prouvant son existence et donnant une idée de sa forme réelle. Comme vous pouvez l'imaginer, n'importe quel gouvernement serait prêt à tout pour percer le secret de ces êtres.
“.. Elle . est venue. Elle passe devant les vitres du café, rayée par l'averse, sa jupe orange dépasse de sa cape sombre, elle relève la tête, comme si elle espérait que la pluie la lave, ses cheveux perlent - et elle entre dans le café.”
Coincés au milieu de ces deux mondes vivent nos deux héros. Lorca, chasseur de furtif et Sahar, professeure itinérante. La disparition de leur fille Tishka les a séparés. Elle refait sa vie tant bien que mal. Lui est persuadé que son petit ange est devenu une furtive. Je vous laisse deviner qui est dans le vrai...Le roman va ainsi s'axer autour de la recherche effrénée de la jeune Tishka. Tout comme dans la Horde, il va falloir composer avec de nombreux personnages. Et tout comme dans la Horde, le romancier use pour les différencier d'une police d'écriture propre à chaque intervenant. Si vous n'avez jamais lu de Damasio, c'est quelque chose qui peut déconcerter, même si l'effet est ici moins prononcé que dans son précédent ouvrage.
Dans tous les cas, je vous recommande vivement de vous accrocher, car il est parfois tentant d'abandonner en plein milieu ce livre tant il est touffu, parfois à la limite du supportable. Alain Damasio est clairement un écrivain de talent. Jamais je n'ai lu d'ouvrage qui semble si proche de la poésie, avec un style totalement unique. Mais je dois bien l'avouer, certains passages auraient gagnés à être raccourcis, voire éliminés... La chasse aux furtifs est une aventure de longue haleine qui risque de laisser pas mal de lecteurs sur le carreau avant le grand final.
“Vous mesurez que vous avez toutes les milices de cette ville aux fesses ?”
Pourquoi se contenter de capturer un furtif tout banal quand il existe un hybride humain/furtif ? On pouvait s'en douter, Tishka devient vite le centre d'intérêt d'à peu près toutes les multinationales de France et de Navarre. C'est néanmoins sans compter sur le Récif et son équipe de choc menée par Arshavin.Damasio nous refait ici le coup de la Horde avec une équipe au caractère bien trempé. L'ingénieur en charge de traquer les furtifs récupère ainsi le franc-parler de Golgoth. Lorca est un ersatz de Sov, idéaliste au grand cœur. Toni est un Caracole en puissance, véritable poète moderne adepte de graffitis et de fumette. Le panel de personnalité est large, rien à dire sur ça.
Mais encore une fois, les lecteurs de La Horde du Contrevent risquent d'y voir une certaine répétition. Pour ma part, je trouve les protagonistes du dernier roman de Damasio moins évolués que leurs homologues chasseurs de vent. Bien entendu, cela n'engage que moi. Mais ça montre le côté souvent tranché des œuvres de l'auteur français : on aime ou on n'aime pas.
“Poursuis le combat, protège Sahar ! Marseille doit être libérée !”
Bon sang, déjà la fin de cette chronique. Même avec une dizaine de paragraphes, il me serait impossible de vous décrire tous les détails du livre de Damasio tant il est dense. Avec plus de 700 pages, ce roman vous mènera d'Orange à Marseille à la découverte des furtifs. La poésie se mêlera à la tragédie, l'action côtoiera l'ennui.C'est indéniable, Les Furtifs ne vous laissera pas indifférent. Alain Damasio possède un talent unique pour mettre en forme l'écriture. Est-ce que j'ai aimé ce livre ? Oui, clairement. Est-ce que c'est mon préféré ? Non, je lui préfère largement La Horde du Contrevent. Pour tout avouer, il n'est même pas sûr qu'il vous plaise. Certains l'abandonneront probablement après deux ou trois chapitres, rebutés par l'écriture parfois alambiquée du romancier. Mais pour ceux qui s'accrocheront, alors ils découvriront un univers magique et engagé.
Les Furtifs est un vibrant appel à résister à notre société actuelle, pleinement orientée vers la globalisation et la surveillance de masse. Je vous le recommande si vous n'avez pas peur de sortir de votre zone de confort. Et j'attends impatiemment vos retours dans les commentaires !