© Ink Drop / Shutterstock.com
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Des hackers ont mis en place un réseau de blanchiment d'argent à l'aide des Bits de Twitch et avec la complicité de centaines de streamers turcs. Ces derniers aidaient les pirates en l'échange d'une commission sur les sommes blanchies.

C'est une histoire - vraie hélas - et rocambolesque qui ne va pas aider Twitch à quitter le petit monde de la polémique, dans lequel la plateforme est plongée depuis la fuite, entre autres, de son code source. Cette fois, l'affaire est d'autant plus grave qu'elle implique directement des streamers basés en Turquie, un affront suffisant pour faire réagir des politiciens sur place, appelant la Commission d'enquête sur les délits financiers (MASAK) à se saisir du dossier. Mais que s'est-il passé en détail ?

Des centaines de streamers turcs ont facilité le blanchiment d'argent d'escrocs à la carte bancaire

L'affaire de blanchiment d'argent dont nous parlons concernerait 2 400 streamers turcs. Actifs sur Twitch, ils sont accusés aujourd'hui d'avoir coopéré avec des hackers pour les aider à blanchir quelque 9,8 millions de dollars, soit environ 8,5 millions d'euros. À la question « comment », nous disposons de deux éléments de réponse.

D'abord, on peut se demander d'où provient cette somme avoisinant les 10 millions de dollars. Les escrocs, en amont, étaient parvenus à dérober les données de cartes bancaires de victimes dont on ignore aujourd'hui le nombre exact, mais on peut facilement imaginer qu'elles doivent être des centaines. Une fois les cartes de crédit en main, les pirates ont procédé à l'achat de Bits, cette monnaie virtuelle propre à Twitch que l'on peut acheter sur la plateforme, pour encourager et soutenir des streamers. Sauf qu'il ne s'agissait pas de streamers choisis au hasard.

Les complices avaient en effet reçu et accepté une proposition faite à l'avance, leur expliquant qu'ils allaient recevoir une certaine quantité de Bits, équivalent à un don, un pur acte de générosité, soi-disant… Les hackers avaient ainsi conclu un marché avec les streamers. Les joueurs devaient remettre aux pirates la somme versée, et en échange, ces derniers leur promettaient de leur laisser une gracieuse commission. Certains streamers ont rapporté des propositions leur permettant par exemple de conserver entre 20 et 30 % des « dons ». Sauf qu'évidemment, il ne s'agissait que d'une manœuvre 3.0 de blanchir de l'argent en récompensant l'intermédiaire ayant rendu possible l'opération, à savoir le streamer.

Le Leak Twitch et son effet - ici - salutaire !

Ce qui a mis la puce à l'oreille de certains utilisateurs, de certains gros streamers turcs et de politiciens, c'est le Leak Twitch. Si vous avez bonne mémoire, vous vous souviendrez qu'outre le code source de la plateforme furent révélées les sommes perçues par de nombreux streamers, leur chiffre d'affaires. Et il se trouve que certains se sont aperçus que des streamers à l'audience tout à fait confidentielle avaient gagné des milliers et des milliers de dollars, grâce à ces fameux Bits. Et alors même que Twitch ne verse que 1 % des revenus en Bits aux joueurs individuels (1 dollar gagné chaque 100 Bits), certains streamers parvenaient à gagner jusqu'à 2 000 dollars par jour, en n'ayant qu'une base de 40 ou 50 viewers. Aujourd'hui, certains streamers se dédouanent, indiquant avoir cru que ce moyen de gagner de l'argent était tout à fait légal, ignorant d'où il provenait et pensant - sans se poser plus de questions que cela, évidemment - à de simples actes de générosité.

Le Leak Twitch a donc eu ici un effet salutaire, oui ! Il a en effet mis sous les yeux les incohérences décrites, et a permis aux langues de se délier. Grimnax, un streamer turc aux 300 000 followers, a par exemple expliqué que la pratique du blanchiment ne date pas d'hier. Lui-même avait reçu des propositions de pot-de-vin. « Nous sommes beaucoup à être au courant de cela, et ce depuis longtemps », a-t-il déclaré. « Nous avons attendu que les grands noms de la plateforme parlent de ce problème, car moi-même et les influenceurs de niveau intermédiaire comme moi ne faisions pas assez de bruit ».

Le blanchiment d'argent durerait en effet depuis deux ans sur Twitch. Jahrein, éminent streamer turc aux 1,7 million d'abonnés, s'est mué en lanceur d'alerte, appelant Twitch à faire cesser cette pratique sournoise et un temps discrète, certes, mais purement illégale. Gürsel Tekin, député turc et vice-président du CHP (Parti républicain du peuple) qui a rencontré le streamer Jahrein, a déposé une mention au parlement et demandé à ce que le MASAK soit saisi. Twitch, de son côté, indique avoir pris des mesures décisives contre les comptes se livrant à des comportements frauduleux. Plus de 150 streamers ont été sanctionnés (on ne sait pas à quelle hauteur) rien qu'en septembre et en Turquie, a précisé la plateforme américaine.